Adieu Brindavoine suivi de La Fleur au fusil offre l'occasion de découvrir deux facettes de l'œuvre de Tardi, l'un des maîtres actuels de la bande dessinée. La première, son goût pour le roman-feuilleton et les récits échevelés ; la seconde, sa dénonciation de la guerre. L'étude de ces deux récits permettra d'appréhender la richesse et la spécificité de la bande dessinée, notamment à travers l'analyse des notions d'anti-héros, d'ellipse et de registres de langue, dans un récit centré sur la Première Guerre mondiale. L'appareil pédagogique complet est suivi d'un lexique BD.
« Adieu Brindavoine » (1974) est une bande dessinée française signée Jacques Tardi qui préfigure la série-phare de l'auteur, « Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec ». « Adieu Brindavoine » est une des toutes premières œuvres de Tardi. Et ça se voit. Non pas que cette B.D soit mauvaise, loin de là, elle est néanmoins un peu inaboutie et fait preuve de quelques maladresses. Ce n'est donc pas la meilleure B.D de Tardi mais pour ceux qui aiment cet auteur, elle vaut largement le détour.
Jacques Tardi eut la malignité de faire reparaitre cet album entre les quatrième et cinquième tome d'Adèle Blanc-Sec, entre lesquels il vient s'intercaler temporellement (le tome 4 se terminant par la déclaration de la première guerre mondiale) et dans le fil d'Ariane de l'histoire puisque des éléments d'Adieu Brindavoine vont intégrer les futures aventures d'Adèle.
« Adieu Brindavoine » est sorti en prépublication (N&B probable) dès le n° 680 (novembre 1972) de « Pilote, le journal qui s'amuse à réfléchir » tout du long de quelques numéros consécutifs. On le trouva ensuite en album Casterman (1974) cartonné et agrémenté de quadrichromie. L'exemplaire lu pour la présente chronique est une réédition couleurs de 1987 incorporant, en sus des 44 planches d'origine, 12 autres embarquant le même héros dans les combats de 14, ceux encore hors des tranchées, en képis, uniformes bleu garance et pantalons rouge. Ce supplément a un titre : « La Fleur au fusil ».
Paris, mai 1914. Un inconnu est assassiné alors qu'il vient de promettre à Brindavoine un destin extraordinaire. Ce dernier part alors pour Istanbul afin de donner du piment à son existence. Accompagné de Carpleasure, un Britannique excentrique, Brindavoine va connaître l'aventure, mais il n'est pas certain qu'il la goûte avec autant de plaisir que le lecteur...Quelque part sur le front, novembre 1914. Brindavoine a perdu de son insouciance. Il tente de sauver sa peau dans l'enfer de la Première Guerre mondiale où le rouge du sang se mêle à la teinture des pantalons.
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Mai 1914, depuis son pavillon de banlieue, Lucien Brindavoine, rentier et photographe "d'art", se retrouve embarqué dans un incroyable périple, qui l'emporte d'Istanbul aux déserts de l'Asie centrale, à la recherche de la mystérieuse Iron-City. Puis de retour en France, et la Première Guerre mondiale ayant éclaté, il débute sa carrière militaire dans La Fleur au fusil.
On y retrouve tout ce qui fait l'ADN de l'œuvre de Tardi : une succession d'aventures rocambolesques, une grosse dose d'étrangeté, une touche de surréalisme et déjà un antimilitarisme affirmé. « Adieu Brindavoine » est le premier album publié par Jacques Tardi. deux ans avant le premier album des ventures d'Adèle Blanc-Sec. L'essentiel est déjà là. Une histoire rocambolesque, avec des personnages baroques et bon nombre d'éléments flirtant avec le fantastique. Enfin, un graphisme extraordinaire.
Toutes les composantes du cycle à venir (1976) sont déjà au rendez-vous d'« Adieu Brindavoine ». On y trouve, déjà : un univers Vernien cousin du steampunk (même s'il n'est pas encore officiellement né) ; un humour de situation décalé mais omniprésent, comme prisonnier de l'époque ; l'impression d'une uchronie figée dans les prémisses de la Première Guerre Mondiale ; des aventures rocambolesques, foutraques, loufoques, oniriques et farfelues en contraste avec le réalisme graphique apporté aux décors (mobilier Art Déco, Paris urbain de la Belle époque méticuleusement dessiné ; désert afghan à l'aplomb d'un soleil brûlant.
Il me semble trouver une parenté graphique entre Brindavoine et Monsieur Même. Silhouettes longilignes, comme désarticulées et dégingandées, chapeau-melon étroit. Ni « Adieu Brindavoine », ni « La fleur au fusil » ne sont, encore, à l'apex de la carrière de Tardi. Ils laissent transparaitre les deux tendances principales de l'œuvre à venir ; ce sont deux bourgeons à la bifurcation entre « Adèle Blanc-Sec » et « La guerre des tranchées ». le premier, pour le fun et le rire, en roman-feuilleton tout en couleurs chatoyantes, avance à l'instinct, à l'envie, à l'intuition, souvent à la « va-comme-j'te-pousse ».
Quand Lucien Brindavoine revient en France, repêché en mer Noire par la marine impériale russe, la guerre a éclaté. A son corps défendant, il est contraint de rejoindre les 1eres lignes histoire de se faire amputer l'avant-bras gauche en 1916. Le fabuleux talent graphique de Tardi se met en place. L'idée de prédestination de l'existence, de fatalité est prégnante comme le thème récurrent de la boucherie pendant la guerre de 14-18.
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Bien avant de jouer un rôle clé dans Les Extraordinaires Aventures d'Adèle Blanc-Sec, Lucien Brindavoine apparaît avec tous ses défauts et ses faiblesses : lâche, faible, profiteur... mais tellement humain !
Toile de fond : le Paris de la Belle Epoque. La page de garde d'« Adieu Brindavoine » illustre merveilleusement le background de l'ouvrage sur une double-page d'anthologie où pullulent les détails auxquels se référer : lorgnons et moustaches fines, képis et pélerines sombres, chapeaux-melons et casquettes apaches, faux-cols amidonnés et cravates ficelle, gilets étriqués et montres à gousset, pavé luisant, fiacres clopin-clopant et taxis de Dion Bouton pétaradants, « Café de la Paix » et affiches publicitaires géantes sur les murs borgnes de part et d'autre d'une grande avenue. Une carte postale typique de ce début de XXème siècle qu'affectionne l'auteur.
Mai 1914. Jeune dilettante, Brindavoine est photographe d'art. le pavillon luxueux de Neuilly sur Seine, sorte de cabinet de curiosité où il semble vivre seul, contribue à poser socialement notre bonhomme. Une succession d'aventures exotiques aux accents coloniaux suivent, toutes aussi loufoques qu'improbables, à grands renforts de rappels historiques et artistiques : Sarah Bernhardt et sa ménagerie burlesque, les constructions métalliques de Gustave Eiffel, l'art nouveau d'Alphons Mucha et d'Hector Guimard...
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