Deux personnes sont décédées cette semaine à la suite de tirs de policiers. Par deux fois en l’espace de quelques jours, des policiers en patrouille ont tiré sur des automobilistes se soustrayant à des contrôles. L’annonce de décès liés à des tirs policiers sur des occupants de véhicules depuis le début de l’année 2022 a déclenché une vague d’indignation et replacé, à nouveau, la question des conditions d’usage des armes des policiers dans le débat public. Que dit la loi sur l’usage des armes chez les forces de l’ordre ?
Samedi 4 juin 2022, des policiers ont tué la passagère d’une voiture qui refusait de se soumettre à un contrôle, à Paris. Un policier a tiré sur un adolescent de 17 ans à Nanterre après un refus d'obtempérer, mardi 27 juin. Deux enquêtes ont été ouvertes par le parquet de Paris pour faire toute la lumière sur les faits.
En France, l'usage des armes par les forces de l'ordre (police et gendarmerie) est encadré par le Code de la sécurité intérieure. De façon globale, l’usage des armes chez les policiers et gendarmes est réglementé par l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure. La loi stipule bien que les militaires et les fonctionnaires peuvent « faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ». Cet article L. 435-1 est susceptible d’entraîner des difficultés d’interprétation, notamment dans l’évaluation de la menace réelle.
Il précise que les agents peuvent faire usage de leurs armes "en cas d'absolue nécessité" et "de manière strictement proportionnée".
En France, il existe cinq situations dans lesquelles l'usage des armes par les forces de l'ordre est permis :
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D’abord, les policiers et gendarmes peuvent faire usage de leur arme « lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique » sont menées ou menacent les agents ou des tiers.
La légitime défense est aussi encadrée par la loi, dans l’article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
Enfin, autre cas de figure, « lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules », qui risqueraient de porter atteinte « à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».
Avant la loi du 3 juin 2016, le Code de la sécurité intérieure renvoyait les policiers uniquement au principe de légitime défense inscrit dans le Code pénal. Le principe de légitime défense s’applique à tous les citoyens, y compris les policiers, les gendarmes et les militaires des armées.
Les règles encadrant l'usage des armes par la police et la gendarmerie ont été assouplies par une loi de 2017. Une étude publiée à la rentrée 2022 conclut que ces tirs mortels auraient été multipliés par cinq depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2017 relative à la sécurité publique. L’article 51 de la loi insère un nouvel article dans le Code pénal. Le législateur a ainsi tiré les leçons des attentats de 2015.
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Le texte prévoit d’aligner le cadre d’usage des armes des policiers sur celui des gendarmes. Ce sont notamment les troisième et quatrième alinéas qui sont mis en cause par plusieurs chercheurs et politiques. Le quatrième alinéa, qui renvoie aux situations de refus d’obtempérer, est d’autant plus critiqué que depuis le début du mois de janvier, au moins onze décès ont été causés par des tirs policiers sur son fondement.
Concernant la loi, ce qui est certain, c’est qu’une législation plus permissive en matière d’usage des armes est un cadre favorable à l’usage des armes. Le cas français montre que la règle fonctionne en sens inverse : plus de latitude dans l’usage des armes provoque plus d’homicides policiers. Il est possible que la formation soit en cause, mais on ne dispose d’aucun élément qui le démontre formellement.
En 2021, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a recensé 290 cas d'usage de l'arme individuelle par des fonctionnaires de police, en légère hausse (+2%) par rapport à 2020. La majorité de ces usages concerne des tirs sur des véhicules (en moyenne 60% de l'usage d'arme individuelle sur les cinq dernières années). Le nombre de tirs en direction de véhicules en mouvement augmente légèrement depuis 2019, et s'établit à 157 en 2021, selon l'IGPN. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, 26.320 refus d'obtempérer ont été recensés en 2021.
Depuis 2017, le nombre de tirs sur des véhicules en mouvement a augmenté par rapport aux années précédentes, selon le dernier rapport de l'IGPN. Ainsi, 202 ouvertures du feu ont été recensées en 2017 contre 137 en 2016. Depuis trois ans, le recours à l'arme s'est stabilisé autour de 150 tirs annuels.
En 2021, le ministère de l'Intérieur les chiffrait à 27.756 par an, rapporte l'AFP, contre 25.822 en 2022.
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On peut constater cette différence entre la police et la gendarmerie, non seulement concernant l’ouverture du feu, mais aussi concernant le nombre de personnes tuées par des tirs. C’est un fait statistique, et probablement un fait social (une réalité qui a des déterminants). Cela dit, on ne connaît pas de manière certaine les causes de la fréquence des tirs et du nombre de personnes tuées par chacune des deux forces en France, ni l’explication de cette différence.
Dans la littérature spécialisée qui est composée de revues comme Homicide Studies ou Policing and Society, les homicides policiers sont associés au niveau d’homicides dans la société. Ainsi, dans les pays où les niveaux de violences mortelles par armes sont très élevés, la violence policière par arme est elle aussi très élevée, comme au Brésil ou aux États-Unis. Et inversement, comme en Europe. Mais ces explications ne permettent pas de rendre compte des différences entre la police et la gendarmerie en France.
En effet, si l’on regarde l’évolution du nombre de refus d’obtempérer présentant un risque grave entre la période d’avant la loi de 2017 (cinq années) et celle d’après (cinq années), on remarque que les gendarmes y sont exposés comme les policiers. On attendrait donc que les évolutions du nombre des tirs mortels soient les mêmes. Pourtant, ce n’est pas le cas : l’usage mortel des armes est devenu un peu plus fréquent pour la gendarmerie et beaucoup plus fréquent pour la police.
Ces écarts sont par exemple vérifiés pour les contrôles d’identités, moins brutaux et moins discriminatoires envers les minorités côté gendarmerie GN, comme le montre l’étude que j’ai publiée dans “La Nation inachevée. Les jeunes face à l’école et la police”. Il se peut que les signaux envoyés par la haute hiérarchie, le contrôle interne et la qualité de l’encadrement intermédiaire en fassent partie.
Les agents sont sensibles au cadre légal d’une part, mais également à la « culture d’entreprise” d’autre part. Dans le cas français, le ministre s’implique dans les opérations de police, au contraire du Royaume-Uni par exemple. Il participe activement à la culture professionnelle d’une double manière. Par les instructions qui orientent l’activité des agents, mais aussi par les signaux symboliques qu’il envoie. Il peut donc légitimer ou délégitimer l’usage des armes.
Je souligne au passage que le ministère de l’Intérieur n’a pas, jusqu’à présent, produit de document d’analyse des déterminants des tirs, et notamment des tirs mortels. Présenter des taux annuels n’est pas une analyse, c’est une description.
Les policiers peuvent également procéder à la «prise en charge du véhicule», c'est-à-dire «“chasser” le véhicule jusqu'à l'interpellation», explique le syndicaliste.
Le policier, confronté à un véhicule roulant vers son collègue et mettant sa vie en danger, qui tire sans sommation sur le conducteur qui devient paraplégique, justifie sa riposte par la légitime défense au sens de l’article 122-5 du Code pénal. L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre lui le droit à la vie.
La Cour européenne estime déjà que le cadre légal français de la légitime défense est conforme à la Convention. Bien qu’un tir de sommation n’ait pas été effectué, il ressort des faits que les policiers ne disposaient pas de suffisamment de temps pour effectuer un tel tir (pt. 108). La Cour affirme aussi qu’elle ne saurait spéculer sur l’opportunité des policiers d’employer d’autres moyens de défense tel qu’un tir sur les roues du véhicule.
Année | Nombre de refus d'obtempérer |
---|---|
2021 | 27 756 |
2022 | 25 822 |
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