L’annonce de décès liés à des tirs policiers sur des occupants de véhicules depuis le début de l’année 2022 a déclenché une vague d’indignation et replacé, à nouveau, la question des conditions d’usage des armes des policiers dans le débat public.
Les attentats de Paris de 2015 ont provoqué une modification substantielle du cadre légal d’usage des armes. Tous les militaires de la gendarmerie disposent désormais des mêmes droits, on ne distingue donc plus les officiers et sous-officiers de gendarmerie des autres militaires.
Quatre documents régissent l’usage des armes des militaires de la gendarmerie : la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (dont l’article 2 consacre le droit à la vie comme valeur fondamentale des sociétés démocratiques constituant le Conseil de l’Europe), le code pénal (CP), le code de la sécurité intérieure (CSI) et le code de la défense.
Le principe de légitime défense s’applique à tous les citoyens, y compris les policiers, les gendarmes et les militaires des armées. Avant la loi du 3 juin 2016, le Code de la sécurité intérieure renvoyait les policiers uniquement au principe de légitime défense inscrit dans le Code pénal.
Si les six conditions sont respectées, la personne qui se défend « n’est pas pénalement responsable ». « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
Lire aussi: Le tir de sommation en France
Vous devez savoir quel a définition d’une arme(art.132-75CP) est extensive: « Est une arme tout objet conçu pour tuer ou blesser. Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer. Est assimilé à une arme tout objet qui, présentant avec l’arme définie au 1er alinéa une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser. L’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l’usage d’une arme. »
N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.
Les conditions légales de la légitime défense des biens sont similaires à celles de la légitime défense d’une personne ; cependant :
De façon globale, l’usage des armes chez les policiers et gendarmes est réglementé par l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure. La loi stipule bien que les militaires et les fonctionnaires peuvent « faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ».
Le code de la sécurité intérieure prévoir cinq cas :
Lire aussi: Nouvelle munition pour le GIGN : le 6,5 Grendel
La loi prévoit des conditions particulières de mise en œuvre de ces droits selon les cas. On peut les récapituler ainsi :
« Constitue une zone de défense hautement sensible la zone définie par le ministre de la Défense à l’intérieur de laquelle sont implantés ou stationnés des biens militaires dont la perte ou la destruction serait susceptible de causer de très graves dommages à la population ou mettrait en cause les intérêts vitaux de la défense nationale » (art. L4123-12 du code de la défense).
Si l’usage d’une arme est nécessaire, une sentinelle doit faire des sommations à voix haute puis procéder à l’arrestation de l’auteur de l’intrusion (décret n° 2005-1320 du 25 octobre 2005 art.
La loi du 3 juin 2016 “renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale” marque une première étape dans l’évolution du cadre d’usage des armes des policiers. Elle est élaborée dans un contexte particulier, puisque depuis 2015 la France est frappée par des attentats terroristes meurtriers.
L’article 51 de la loi insère un nouvel article dans le Code pénal. Le législateur a ainsi tiré les leçons des attentats de 2015. Car, à Dammartin-en-Goële, c’est parce que les frères Kouachi qui s’étaient retranchés dans une imprimerie en sont sortis en tirant sur les gendarmes du GIGN que ces derniers ont pu ouvrir le feu en riposte, au titre de la légitime défense.
Lire aussi: Stands de Tir en France
La loi du 28 février 2017 a, elle aussi, été votée dans un contexte sensible. L’agression violente de policiers, en octobre 2016, à Viry-Châtillon, ainsi que les manifestations policières qui s’en sont suivies, amènent le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve à étendre le cadre d’usage des armes par les policiers. Le projet de loi est porté devant le Parlement par son successeur, Bruno Le Roux. Le texte prévoit d’aligner le cadre d’usage des armes des policiers sur celui des gendarmes.
Ce sont notamment les troisième et quatrième alinéas qui sont mis en cause par plusieurs chercheurs et politiques. Le quatrième alinéa, qui renvoie aux situations de refus d’obtempérer, est d’autant plus critiqué que depuis le début du mois de janvier, au moins onze décès ont été causés par des tirs policiers sur son fondement.
Les trois chercheurs balayent les chiffres avancés par le ministre de l’Intérieur qui justifie l’augmentation des tirs dans le cadre de refus d’obtempérer par l’augmentation même de ces refus : un toutes les trente minutes, pour un total de 27 700 refus.
Or, dans le cas de la première donnée, la base horaire ne rendrait “pas compte du risque moyen par policier” : “plus un pays est grand, plus il compte de policiers, plus un phénomène sera fréquent”. Pour la seconde donnée, les chercheurs estiment que comptabiliser les situations qui ne présentent pas de danger pour les policiers ne permet pas de mesurer véritablement le phénomène.
Ainsi, Roché, Le Derff et Varaine réfutent “la croyance selon laquelle le comportement du policier peut être expliqué de manière satisfaisante par les caractéristiques d’une confrontation”.
Sebastian Roché : On peut constater cette différence entre la police et la gendarmerie, non seulement concernant l’ouverture du feu, mais aussi concernant le nombre de personnes tuées par des tirs. C’est un fait statistique, et probablement un fait social (une réalité qui a des déterminants). Cela dit, on ne connaît pas de manière certaine les causes de la fréquence des tirs et du nombre de personnes tuées par chacune des deux forces en France, ni l’explication de cette différence.
Dans la littérature spécialisée qui est composée de revues comme Homicide Studies ou Policing and Society, les homicides policiers sont associés au niveau d’homicides dans la société. Ainsi, dans les pays où les niveaux de violences mortelles par armes sont très élevés, la violence policière par arme est elle aussi très élevée, comme au Brésil ou aux États-Unis. Et inversement, comme en Europe. Mais ces explications ne permettent pas de rendre compte des différences entre la police et la gendarmerie en France.
En effet, si l’on regarde l’évolution du nombre de refus d’obtempérer présentant un risque grave entre la période d’avant la loi de 2017 (cinq années) et celle d’après (cinq années), on remarque que les gendarmes y sont exposés comme les policiers. On attendrait donc que les évolutions du nombre des tirs mortels soient les mêmes. Pourtant, ce n’est pas le cas : l’usage mortel des armes est devenu un peu plus fréquent pour la gendarmerie et beaucoup plus fréquent pour la police.
Il se peut que les signaux envoyés par la haute hiérarchie, le contrôle interne et la qualité de l’encadrement intermédiaire en fassent partie.
Sebastian Roché : Les agents sont sensibles au cadre légal d’une part, mais également à la « culture d’entreprise” d’autre part. Dans le cas français, le ministre s’implique dans les opérations de police, au contraire du Royaume-Uni par exemple. Il participe activement à la culture professionnelle d’une double manière. Par les instructions qui orientent l’activité des agents, mais aussi par les signaux symboliques qu’il envoie. Il s’agit par exemple des cérémonies et des distributions de médailles et récompenses, mais également des discours où il présente le jugement de la hiérarchie. Il peut donc légitimer ou délégitimer l’usage des armes.
En 2021, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a recensé 290 cas d'usage de l'arme individuelle par des fonctionnaires de police, en légère hausse (+2%) par rapport à 2020. La majorité de ces usages concerne des tirs sur des véhicules (en moyenne 60% de l'usage d'arme individuelle sur les cinq dernières années). Le nombre de tirs en direction de véhicules en mouvement augmente légèrement depuis 2019, et s'établit à 157 en 2021, selon l'IGPN.
Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, 26.320 refus d'obtempérer ont été recensés en 2021.
Par deux fois en l’espace de quelques jours, des policiers en patrouille ont tiré sur des automobilistes se soustrayant à des contrôles. Samedi 4 juin 2022, des policiers ont tué la passagère d’une voiture qui refusait de se soumettre à un contrôle, à Paris.
Un homme tué à Nice, une femme décédée à Rennes: depuis la nuit de mardi à mercredi, deux personnes sont décédées à la suite de tirs de policiers. A Nice, ce mercredi, un équipage de la Brigade de Sécurité Routière s'est mis à la poursuite d'un véhicule "qui prenait des risques sur la voie rapide à la sortie Nice Ouest".
L'automobiliste a "percuté" le véhicule de police, "apparemment à deux occasions", a-t-elle précisé. Un des fonctionnaires de police a alors tiré "une fois", selon une source policière. En arrêt cardiaque, le conducteur a succombé à ses blessures.
A Rennes, une femme de 22 ans a été tuée et un homme de 26 ans blessé au cours d'un contrôle de police dans la nuit de mardi à mercredi. Un agent a ouvert le feu après avoir été percuté par le conducteur du véhicule.
tags: #tir #de #sommation #gendarmerie #conditions