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L'armement utilisé en Ukraine fait l’objet de nombreux commentaires, mais aussi de questions qui montrent leur méconnaissance. Cet article apporte quelques explications simples pour permettre de juger par soi-même de l’importance et du sens de certaines informations, notamment sur les livraisons d’armes ou sur l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine.

Missiles de croisière et balistiques

Les Russes ont développé toute une panoplie de missiles, tirés du sol à partir de camions, lancés de navires voire de sous-marins, ou à partir d’aéronefs (avions et hélicoptères). Au contraire des armes de saturation (canons et roquettes), les missiles sont des fusées sophistiquées qui vont chercher à détruire un objectif précis.

Le missile Kalibr

Moscou continue de faire pleuvoir ses terribles missiles Kalibr sur le sol ukrainien. Le ministère russe de la Défense a diffusé pour la première fois une vidéo montrant un de ses navires en train d’envoyer huit missiles de croisière sur des cibles en Ukraine. L’armée russe a affirmé avoir détruit des dépôts de munitions, des batteries anti-aériennes mais aussi des postes de commandement.

Le missile de croisière 3M-14 ou SS-N-30A, communément appelé missile Kalibr, a été développé puis fabriqué par le bureau d'études Novator. Cet engin peut être tiré depuis des navires ou des sous-marins vers des cibles terrestres. Il peut parcourir une distance maximale d'environ 2.000 kilomètres.

"Ce type d’arme est l’un des plus grands atouts militaires de la Russie", a soutenu au Washington Post, Mark Cancian, conseiller principal pour le programme de sécurité internationale au sein du think tank américain Center for Strategic and International Studies. "La Russie les utilise pour attaquer les objectifs les plus prioritaires. Elle semble s'en servir davantage dans l'ouest de l'Ukraine. Moscou vise en priorité des cibles logistiques stratégiques qui sont d’une importance vitale dans une guerre d’usure”, a également précisé l’analyste.

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En effet, ce missile est conçu pour pénétrer dans l’espace aérien de l’ennemi sans se faire intercepter. Cet appareil est faiblement détectable en raison de son faible diamètre pour un missile de croisière (53 centimètres) et de l’utilisation d’un revêtement absorbant les émissions radar. Cet engin vole de façon autonome et à basse altitude ce qui rend sa trajectoire extrêmement difficile à prédire. De plus, son itinéraire peut être actualisé à mi-parcours par communication satellite. Enfin ce missile de croisière peut être très précis par rapport aux missiles balistiques.

Ce n’est pas la première fois que la Russie utilise ses missiles Kalibr dans un conflit. Moscou a testé l’efficacité de sa nouvelle arme lors de son intervention en Syrie en octobre 2015. La marine russe avait lancé 26 missiles depuis des navires situés en mer Caspienne, contre des groupes combattant le gouvernement du président syrien Bachar el-Assad. Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, avait loué la puissance du Kalibr et affirmé que cet engin gardait son potentiel dévastateur au-delà de 1.500 kilomètres.

Le missile Kinjal

C’est probablement l’arme la plus emblématique utilisée par les Russes. Le Kinjal - «dague» ou «poignard» en français - fait partie des armes qualifiées d’«invincibles» par le président russe lors de son discours annuel de 2018. Il s’agit d’un missile balistique hypersonique tiré depuis un chasseur Mig-31K. «Hypersonique» est une convention fixée à cinq fois la vitesse du son (Mach 5, soit plus de 6125 kilomètres par heure).

Des vitesses «hypersoniques» sont en réalité atteintes depuis des décennies par les missiles balistiques (à l’image des missiles intercontinentaux qui peuvent atteindre les... Mach 20), mais ces armes ont une trajectoire balistique simple et prévisible (qui ressemble à celle d’un tir en cloche). En théorie, la particularité du Kinjal, employé pour la première fois en Ukraine le 18 mars 2022, est ainsi d’être «hypermanœuvrant» tout en étant hypersonique.

Rien ne permet pourtant d’affirmer que ces missiles sont «invincibles». D’abord parce qu’ils sont dérivés d’un missile bien connu, l’Iskander. Ensuite, les Ukrainiens ont à plusieurs reprises affirmé qu’ils avaient réussi à en intercepter plusieurs grâce à leurs batteries américaines Patriot. Toutefois, à ce jour, aucune preuve formelle n’a été apportée de source indépendante.

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Le système Iskander

Depuis la terre, les Russes emploient des batteries de missiles semi-balistiques Iskander et leur version modernisée Iskander-M. C’est très probablement l’arme la plus utilisée par les Russes pour frapper le territoire ukrainien dans la profondeur. La charge de l’Iskander peut aller jusqu’à 700 kg d’explosifs, sachant que des versions à sous-munitions (une bombe mère porteuse d’un chapelet de «bombelettes») existent.

Entré en service en 2006 après un développement commencé à l’extrême fin des années 1980, l’Iskander est un système tirant trois types de missiles : deux balistiques (Iskander‑M et Iskander‑E) conçus par KBM et fabriqués par Votkinsk, et un de croisière, (Iskander‑K). Le TEL (Tracteur-Érecteur-Lanceur) est identique de l’extérieur pour les trois engins.

Le missile 9M723 du système Iskander‑M (code OTAN : SS‑26 Stone) a été testé pour la première fois en 1995 avant de connaître une série d’évolutions ayant débouché sur l’engin actuel. C’est un missile monoétage à carburant solide. Sa portée officielle est d’un peu moins de 500 km, ce qui ne le soumet pas au traité INF, mais certains analystes estiment qu’elle pourrait être supérieure. L’Iskander‑E, réservé à l’exportation et vendu à l’Algérie (48 lanceurs), a une portée de 280 km.

Le 9M723 est un engin quasi balistique, dont la trajectoire peut être modifiée après la coupure de la propulsion principale, permettant des évolutions contrôlées dans la haute atmosphère. Cette particularité lui permet de contrer les défenses antimissiles, mais aussi d’accroître sa précision terminale. L’erreur circulaire probable du missile serait de l’ordre de cinq mètres lorsqu’il est doté d’un système optronique. La charge militaire a une masse maximale de 500 kg, laquelle semble susceptible d’être réduite, accroissant ainsi la portée au-delà de 500 km. En l’occurrence, elle peut être conventionnelle ou nucléaire (50 kT).

Le développement de l’Iskander‑K aurait commencé au milieu des années 1990. Comme pour l’Iskander‑M et l’Iskander‑E, deux missiles sont positionnés sur chaque TEL 9P78‑1. Certaines sources mentionnent la possibilité d’installer jusqu’à quatre missiles sur un TEL partiellement modifié. En l’occurrence, ils embarquent deux missiles de croisière R‑500/9M728 (code OTAN : SSC-7 Screwdriver) conçus et produits par Novator, qui pourraient être une version à peine modifiée du Kalibr utilisé par la marine.

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La décision d’intégrer les R‑500 au système Iskander remonterait à 2001. Si des essais conduits en 2007 semblent avoir montré une portée de 360 km, les missiles actuellement utilisés pourraient dépasser les 2 000 km s’il était avéré qu’ils ne sont qu’une adaptation terrestre du Kalibr - ce qui ne va pas de soi dès lors que la version export du Kalibr, le Klub, a une portée réduite et que le SSC‑7 pourrait tout autant en être dérivé. Les officiels russes indiquent quant à eux que la portée du 9M728 est comprise entre 50 et 490 km. Son erreur circulaire probable serait de l’ordre de quelques mètres. Le déploiement du 9M723 semble avoir reçu la priorité, de sorte que l’on ne sait pas combien de 9M728 sont en service.

L’Iskander est déployé par brigades, dont la composition comprend 12 TEL 9P78‑1 embarquant deux missiles chacun ; 12 véhicules de rechargement 9T250‑1 transportant chacun deux missiles (soit un total de 48 missiles par brigade) ; 11 véhicules de commandement ; 1 véhicule-­atelier ; 1 véhicule de préparation des informations de ciblage et 14 véhicules de soutien et de transport. Actuellement, neuf brigades ont été mises sur pied : deux dans le district militaire de l’ouest, trois dans celui de l’est, deux dans celui du sud et deux dans celui du centre. Le centre d’instruction de Kasputin Yar dispose quant à lui de quatre lanceurs. Deux autres brigades pourraient être prochainement activées, destinées au district ouest.

Les unités dotées d’Iskander semblent bénéficier d’un entraînement plus fourni et les conditions de service y sont plus avantageuses que dans les autres unités russes. Le nombre de conscrits, comparativement aux professionnels, y est également réduit.

Le système Iskander a continué de bénéficier d’un haut degré de priorité dans les processus d’acquisition, en dépit de la baisse des budgets de défense consécutive aux sanctions de 2014. En l’occurrence, le système apparaît comme central dans les capacités d’action dans la profondeur russe, mais aussi en tant qu’instrument politique.

Autres missiles

Les bombardiers russes Tupolev - Tu-22M3, Tu-95, Tu-160 - déploient aussi des missiles de croisière aéroportés, comme le Kh-55 (premier vol en 1976) ou le Kh-101, censé être plus furtif (premier vol en 1998).

Systèmes de défense antiaérienne : le Pantsir

Engagé dans le cadre de la deuxième guerre civile libyenne, le système Pantsir‑S1 va se retrouver au premier plan et va payer un lourd tribut face aux drones, avec la perte d’un nombre important de véhicules. Si l’on cumule les chiffres de la Syrie et ceux de la Libye, ce ne sont pas moins de 23 unités Pantsir‑S1 (huit en Syrie et 15 en Libye) qui auraient été détruites depuis 2015. Même si ces chiffres sont contestés par les Russes, il n’empêche que c’est une bien mauvaise publicité dont les délégués commerciaux de Rosoboronexport se seraient bien passés.

Ce nouveau programme, lancé au début des années 1990 sous la direction du bureau d’études KBP et devant répondre à la question de la protection rapprochée des lanceurs des systèmes antiaériens à longue portée de la famille S‑300 (et par ricochet S‑400) en venant remplacer le système 2K22 Tunguska, va être impacté par la chute de l’URSS et la situation économique post-1991. Un premier prototype va sortir d’usine en 1994 avant d’être présenté officiellement en 1995, mais il faudra encore plusieurs années de travaux et de modifications (le délai s’allongeant par manque de financements) avant que la production en série du système Pantsir ne soit lancée en 2007.

Caractéristiques techniques du Pantsir

Catalogué en tant que ZRPK dans la classification russe, le système 96K6 Pantsir (« carapace » en russe), dont la variante le plus courante est le Pantsir‑S1 (classification OTAN : SA‑22 Greyhound) est un système mobile de défense antiaérienne à courte et moyenne portée (SHORAD). Il peut traiter tous les types de cibles aériennes, allant du missile de croisière au drone et à l’avion, et est chargé d’assurer la protection des sites stratégiques, des installations industrielles, des troupes au sol ainsi que des systèmes de défense antiaérienne à longue portée.

Le système Pantsir est entré en service au sein des forces aériennes russes en 2010, son acceptation officielle au service n’intervenant que le 16 novembre 2012. Une version navale, le Pantsir‑M, est entrée en service au sein de la marine russe en 2020 à bord d’un petit navire d’artillerie de la classe Karakurt (Izd.22800), l’Odintsovo.

L’équipage du Pantsir est composé de trois hommes (un conducteur et deux opérateurs), et l’armement comprend deux éléments : 12 tubes lance-­missiles complétés par deux canons à tir rapide, le tout monté sur une tourelle mobile apte à effectuer une giration complète. Les 12 tubes sont répartis en deux blocs de six et mettent en œuvre le missile à deux étages (un booster et le missile lui-­même) 57E6. Il est doté d’une charge explosive de 20 kg et peut atteindre des cibles à une distance allant de 1 à 20 km et à une altitude maximale de 15 000 m. Les missiles, stockés dans des conteneurs étanches, ne disposent pas de moyen de guidage propre, mais sont radiocommandés par le véhicule lanceur, dont les capteurs fournissent les données de guidage nécessaires.

Les deux canons sont des 2A38M monotubes de 30 mm qui peuvent tirer des obus antiblindage, incendiaires ou explosifs sur des distances d’engagement allant de 200 à 4 000 m et couvrant une altitude allant de 0 à 300 m. La dotation totale est de 1 400 obus.

Le principal châssis employé est un 8 × 8 tout-­terrain Kamaz 6560 équipé d’un moteur V8 du type Kamaz 740.632‑400 développant 294 kW (environ 400 ch), d’une boîte de vitesse ZF 16 S1822, l’ensemble étant alimenté par deux réservoirs à carburant de 350 l. La consommation moyenne est d’environ 63 l pour 100 km, l’autonomie maximale avoisinant 500 km. La vitesse maximale offerte par ce châssis est de 90 km/h sur route. Cependant, sur demande du client, le Pantsir peut être monté sur d’autres châssis : deux versions sur chenilles (châssis GM‑352 ou DT30 pour la version arctique) ont été créées, tandis que les exemplaires vendus aux Émirats arabes unis sont positionnés sur un châssis 8 × 8 MAN SX45.

Le système Pantsir dispose également d’une grande souplesse tactique puisqu’il est conçu pour être employé en batteries pouvant mettre en œuvre jusqu’à six unités travaillant en réseau et gérées par un poste de commandement central ou de manière automatisée en étant commandées à distance ou, dans le cas le plus courant, de manière indépendante. Chaque véhicule dispose de ses propres radars de suivi et d’acquisition ainsi que de guidage des missiles (quatre missiles peuvent être guidés simultanément), et le déploiement du système nécessite moins de cinq minutes dès l’arrêt du véhicule.

Le système de contrôle de tir du Pantsir‑S1 met en œuvre deux radars ainsi qu’un système opto-électronique : un radar 1RS1‑1 à antenne plane rotative situé en hauteur sur la tourelle et qui sert à la recherche et détection des cibles jusqu’à une distance de 30 à 35 km ainsi qu’un radar 1RS2 à antenne plane présent à la base de la tourelle, entre les canons, et qui assure l’engagement et le guidage des missiles jusqu’à une distance de 20 km. Cet ensemble est complété par une tourelle opto-électronique disposant notamment d’un télémètre laser ainsi que d’une caméra infrarouge.

Évolution du système Pantsir

Une version modernisée, le Pantsir‑SM, est présentée en février 2019. Le véhicule utilise un châssis Kamaz 53958 (avec cabine blindée) et reçoit une suite radar modernisée avec un radar AESA rotatif disposant d’une portée d’engagement accrue à 40 km (sa détection est portée à 75 km), complété par la mise en œuvre du missile 57E6M‑E pouvant frapper à des distances allant jusqu’à 30 km ; la mise en œuvre de tubes quadpack (quatre missiles dans un seul tube) étant envisagée également.

Expérience opérationnelle

Bien que l’emploi de systèmes Pantsir‑S1 en Libye ait été largement médiatisé et particulièrement raillé eu égard à leurs contre-­performances, il est utile de rappeler qu’il ne s’agissait pas d’une première en ce qui concerne le déploiement de ce système dans une zone de conflits. En effet, le premier à avoir été documenté est celui qui eut lieu en 2014 en Crimée, ainsi qu’à proximité du Donbass. Le système y a rapidement l’occasion de faire ses preuves, puisque les Russes affirment avoir détruit plusieurs drones ukrainiens.

Les Pantsir sont également employés par l’armée syrienne, et par l’armée russe, à partir de 2015 pour assurer la couverture rapprochée de la base « russe » de Hmeimim et plus spécifiquement des véhicules du système S‑400 ainsi que des avions basés sur place. En effet, il semble que les radars du Pantsir n’étaient pas en mesure de différencier les assaillants (drones de petite taille) des oiseaux ou d’assurer un guidage précis des missiles sur des cibles de taille réduite. Mais ce sont surtout les Pantsir‑S1 de l’armée syrienne qui vont encaisser le choc le plus rude : huit unités seront perdues en quelques mois, notamment à cause des attaques de drones israéliens.

Le récent conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan en République d’Artsakh (Haut-Karabagh) a mis en lumière la redoutable efficacité des drones dans le rôle de suppression des systèmes de défenses antiaériennes ; cependant, le système Pantsir‑S1 n’est pas concerné directement, ce dernier n’étant pas mis en œuvre par les belligérants.

On peut arguer du fait que le système Pantsir‑S1 présente des défauts, ce qui semble se confirmer indirectement au vu de la mise au point de variantes modernisées. Mais avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, il est bon de rappeler certaines évidences : le Pantsir est une des briques constitutives de l’ensemble de la bulle A2/AD russe, de sorte que ne mettre en œuvre que ce dernier n’offre qu’une protection limitée. Le cas de la base de Hmeimim est exemplaire : le Tor‑M2 a assuré 80 % des interceptions de drones tandis que le Pantsir‑S1 prenait en charge le solde, l’un compensant les défauts de l’autre tout en garantissant l’efficacité de la bulle dans son ensemble.

Enfin, comme certaines images permettent de le voir, l’entraînement des équipages servant les Pantsir détruits laisse pour le moins perplexe : équipage absent (pause cigarette !) à côté d’un véhicule avec radar éteint, véhicule détruit lors de son transport sur remorque routière, etc. Certes, cela n’explique pas tout, mais il est évident que l’emploi du Pantsir par des équipages parfois très « légers » d’un point de vue compétences n’a pas joué en sa faveur au niveau des statistiques : les opérateurs de drones semblent avoir été beaucoup plus professionnels que certains opérateurs de Pantsir.

Tableau récapitulatif des missiles russes

Missile Type Portée Charge Plateforme
Kalibr Croisière 1500-2500 km Jusqu'à 500 kg Navires, sous-marins
Kinjal Balistique hypersonique > 2000 km Non spécifiée Chasseur Mig-31K
Iskander-M Semi-balistique < 500 km Jusqu'à 700 kg Lanceurs mobiles
Kh-101 Croisière aéroporté > 2000 km 400 kg Bombardiers stratégiques

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