En avouant s'être « trompé » dans le choix des tireurs, après l'élimination de l'Espagne par le Maroc, Luis Enrique a relancé un éternel débat sur l'approche d'une séance de tirs au but.
Mieux vaut-il des joueurs désignés à l'avance et préposés à l'exercice ou des volontaires qui, le moment venu, se proposent parce qu'ils sentent bien le coup ? Pour l'ancien sélectionneur espagnol tout juste limogé, la réponse, comme l'explication de la défaite de son équipe, est « claire » : « J'ai choisi les trois premiers tireurs (Pablo Sarabia, Carlos Soler et Sergio Busquets) sans leur laisser le choix, et sur les tireurs suivants, ce sont eux qui choisissaient. » Ce n'était pas la chose à faire, j'ai fait une erreur.
Car si pour la plupart des observateurs, le tir au but peut sembler avant tout technique, pour les courageux qui s'avancent avec le ballon, il est surtout question de savoir gérer ses émotions. « C'est un moment de tension maximale, un moment où il faut montrer son sang-froid et montrer que l'on peut tirer de la façon dont on l'a décidé, si on l'a réalisé des milliers de fois », expliquait encore l'ex-coach de la Roja, la veille du match, en espérant que ses joueurs aient bien « fait leurs devoirs » au préalable, à l'entraînement, dans leur club. « Ça peut paraître banal comme exercice, on le banalise en tout cas, mais ce n'est pas un moment évident », confirme Mehmed Bazdarevic, spécialiste en son temps des penalties, même s'il considère que « ce n'est pas la même chose ».
« Tout s'arrête et les projecteurs sont braqués sur toi. Si tu rates, le match est terminé, alors que ce n'est pas forcément le cas pour un penalty », poursuit l'ancien sélectionneur de la Bosnie-Herzégovine (2014-2017) ou plus récemment entraîneur de Guingamp (2020-2021). D'où l'importance de bien sélectionner les hommes amenés à exécuter la sentence. Pour Bazdarevic par exemple, « il paraît difficile de pousser un joueur à y aller au dernier moment ».
Le technicien (62 ans), qui travaille aujourd'hui avec l'UEFA pour le développement du football, sait de quoi il parle. Il se souvient s'être retrouvé dans cette situation en Coupe de France lorsqu'il entraînait Grenoble (2007-2010) et avoir fait preuve de fermeté : « J'avais forcé un de mes joueurs (à tirer), alors que certains ce jour-là m'avaient dit qu'ils ne se sentaient pas très bien. Et il avait raté (sa tentative). Je n'aurais pas dû.
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D'autres se sont montrés plus diplomates voire plus malins pour éviter d'en arriver là. « Avant d'aller tirer le penalty (contre l'Italie en quarts de finale de la Coupe du monde 1998, victoire 0-0, 4 tab à 3), Aimé Jacquet est arrivé à côté de moi et m'a demandé : "Tu tires ?" Je lui ai répondu "ouais", comme si j'étais au tournoi de Clamart avec Les Ulis, racontait Thierry Henry, le 7 mars dernier dans L'Equipe, en référence à son tir au but réussi, malgré ses 20 ans à l'époque, face à l'expérimenté Gianluca Pagliuca.
Le gardien italien était alors partenaire de Youri Djorkaeff à l'Inter Milan, mais ce dernier, pourtant spécialiste de l'exercice, avait préféré passer son tour ce jour-là. « Je pensais que c'était un choix d'Aimé Jacquet. Je ne savais pas », ajoutait Henry, qui réalisait a posteriori la manigance du sélectionneur.
Parfois il arrive « que personne ne veuille tirer », témoigne Bazdarevic. Ce fut le cas par exemple la saison passée au PSG, en huitièmes de finale de la Coupe de France contre Nice. Plusieurs coéquipiers plus expérimentés n'ayant pas voulu s'y coller, après les cinq premiers tirs marqués, le jeune Xavi Simmons s'était dévoué, avait échoué et été désigné comme responsable de l'élimination du club parisien (0-0, 5 tab à 6).
Interrogé après la rencontre sur l'ordre établi des tireurs, le coach parisien d'alors, Mauricio Pochettino, avait confié que les joueurs avaient pris leurs responsabilités : « Pour les premiers, cela dépendait de comment les joueurs se sentaient. Ils prenaient les places qui leur convenaient. Xavi n'était pas mon choix. »
À l'inverse de Didier Deschamps, qui assimile les séances de tirs au but à « une loterie » et préfère ne pas les préparer avec les Bleus, Mehmed Bazdarevic a toujours eu pour habitude dans les clubs où il est passé de les travailler « un peu quand même ». Histoire d'assurer le coup. « Quand on avait un match de Coupe, on ne prévoyait pas exactement cinq tireurs. On faisait tirer tout le monde et on observait qui était le plus appliqué, qui faisait une pichenette ou avait des facilités », raconte l'ancien meneur de jeu qui, au fil de sa carrière de joueur, a aussi été confronté à ce type d'échecs dans une séance importante.
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Comme en finale de la Coupe de France 1988, avec Sochaux face à Metz (1-1, 4 t.a.b. à 5). Parti pour être le dernier tireur de son équipe, le Bosnien ne s'était pas battu quand Mickaël Madar s'était proposé. Leur entraîneur Silvester Takac avait tranché en faveur de l'attaquant français, qui s'était heurté à Michel Ettorre. Signe que le volontariat n'a pas que du bon non plus et qu'il n'existe aucune règle lorsque la pression s'en mêle.
« Même s'il est connu pour bien les tirer et qu'il était frais, Sarabia a dû cogiter en entrant en jeu à deux minutes des tirs au but. Il aurait fallu le lancer un peu plus tôt pour qu'il se chauffe, estime Bazdarevic. Busquets aussi a dû penser que c'était son dernier match (en sélection). Ce n'était pas un cadeau de le désigner malgré son expérience. » À chaque match son histoire et à chaque séance fatidique sa dramaturgie.
La séance de tirs au but est souvent décrite comme une loterie cruelle qui peut réduire un match de 120 minutes à une séquence où les nerfs l'emportent sur la tactique. Ses détracteurs affirment qu'il s'agit d'une façon injuste de régler les matches, en particulier dans les compétitions à fort enjeu. Pourtant, pour le spectateur neutre, la séance de tirs au but offre certains des moments les plus palpitants et les plus inoubliables du sport.
Cependant, les tirs au but n'ont pas existé dans le football avant 1970, et l'une des principales impulsions pour leur introduction s'est produite il y a 57 ans, le 5 juin 1968.
Avant que la séance de tirs au but ne devienne la norme pour départager les équipes, le football disposait d'un ensemble de solutions pour résoudre les matches nuls, dont aucune n'était entièrement satisfaisante.
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Dans les compétitions à élimination directe, les matches qui se terminaient par un match nul après les prolongations devaient souvent être rejoués un autre jour. Ce système était compliqué d'un point de vue logistique et, dans les tournois à calendrier serré, tout simplement impraticable.
Dans certaines compétitions, en particulier les tournois internationaux dont le calendrier est limité, d'autres méthodes ont été utilisées. Si le temps supplémentaire ne permettait pas de départager les équipes, le tirage au sort ou le tirage à pile ou face étaient utilisés en dernier recours.
L'exemple le plus célèbre s'est produit lors du Championnat d'Europe de 1968, lorsque l'Italie et l'Union soviétique ont terminé leur match en demi-finale sur un score de 0-0 après 120 minutes. Aucun but n'ayant été marqué et les images n'étant pas disponibles, c'est un tirage au sort qui a déterminé la qualification pour la finale, une décision aussi insatisfaisante pour les supporters que pour les joueurs.
La finale elle-même n'a pas non plus donné lieu à une victoire dans le temps réglementaire. L'Italie affronte la Yougoslavie à Rome et le match s'achève sur un score de 1 à 1 après les prolongations. Le règlement exige que la finale soit entièrement rejouée. Deux jours plus tard, les équipes s'affrontent à nouveau.
L'idée a rapidement fait son chemin dans les compétitions nationales et a rapidement été testée lors de matches internationaux. L'UEFA a introduit la séance de tirs au but dans les compétitions européennes à partir de la saison 1970-1971. Le premier match officiel de haut niveau à être décidé par une séance de tirs au but a été le match entre Honved et Aberdeen en Coupe des vainqueurs de coupe en septembre 1970.
La FIFA a suivi l'introduction de la séance de tirs au but peu de temps après. Le premier grand tournoi international à comporter une séance de tirs au but a été le Championnat d'Europe de 1976. La finale entre la Tchécoslovaquie et l'Allemagne de l'Ouest s'est déroulée aux tirs au but et s'est achevée sur le but emblématique d'Antonin Panenka, un moment devenu légendaire.
Le fait qu'il s'agisse de l'une des premières grandes séances de tirs au but rend le but de Panenka d'autant plus admirable.
Depuis leur introduction, les séances de tirs au but ont donné lieu à certains des moments les plus inoubliables et les plus chargés d'émotion de l'histoire du football. Qu'il s'agisse de surprises ou de défaites cuisantes, elles sont entrés dans la légende.
L'une des premières séances de tirs au but les plus emblématiques a eu lieu lors de la Coupe du monde de 1994. La finale de Pasadena a été la première finale de Coupe du monde à être décidée par une séance de tirs au but. Après un match nul et vierge, le Brésil s'est imposé 3-2 aux tirs au but.
L'image la plus marquante fut celle de Roberto Baggio, le joueur vedette de l'Italie, qui envoya le dernier tir au but au-dessus de la barre. Son échec est devenu le symbole de la nature cruelle des tirs au but : un seul coup de pied peut définir ou détruire une carrière.
Après avoir remonté un retard de 3-0 dans ce qui est devenu le "Miracle d'Istanbul", Liverpool a forcé la prolongation et a finalement battu l'AC Milan 3-2 lors d'une séance de tirs au but dramatique. Cette fin d'histoire a élevé la légende du club et consolidé le statut de la séance de tirs au but en tant qu'étape de la mythologie du football.
Dans les matchs à élimination directe, une chose est redoutée de tous : ne pas terminer la rencontre après 90 minutes et la poursuivre en prolongation. Ce format est souvent utilisé dans des compétitions internationales et nationales comme la Ligue des Champions, la Coupe du Monde, l’Euro ou encore la Coupe de France. Ce temps de jeu supplémentaire est exclusivement utilisé dans des compétitions où une équipe doit être déclarée vainqueur à la fin d’une partie.
Une prolongation au football dure 30 minutes et se compose de deux périodes de 15 minutes. Les prolongations se terminent à la fin des deux périodes de 15 minutes. L’arrêt définitif du match dépend du score entre les deux équipes. En effet, si une formation a réussi à inscrire au moins un but de plus que son adversaire, le match est alors fini et l’équipe gagne.
Lorsque les prolongations arrivent à leur terme, l’arbitre met en place une séance de tir au but. Les formations tirent de manière alternée cinq tirs au but chacune, et la formation qui aura le plus marqué sur ces 5 tirs remportera la partie. Dès qu’un but était inscrit cela mettait un terme à la rencontre avec une victoire pour la formation ayant marqué.
Contrairement à l’objectif initial de créer des fins de match spectaculaire, les entraîneurs mettaient en place des systèmes plus prudents. Ces phases de jeu transforment des matchs à très grands enjeux, où la tension est à son comble, en moments inoubliables pour les joueurs, les entraîneurs ou encore les supporters.
En cas de match nul à l’issue du temps réglementaire, les joueurs doivent être préparés physiquement et mentalement pour entamer deux périodes de jeu supplémentaires. Après avoir joué 90 minutes avec une forte intensité, les joueurs doivent trouver l’énergie pour maintenir cette intensité pendant 30 minutes de plus. Certaines formations cherchent à limiter les risques et se replient en défense pour fermer les espaces exploitables par l’adversaire et maintenir le score jusqu’au terme des prolongations.
Les prolongations sont bien plus qu’un simple temps additionnel, ce sont des phases de jeu intenses, remplies de suspense, qui peuvent changer le cours d’un match et laisser leur empreinte dans l’histoire du foot.
L’un des moments les plus emblématiques de la CDM s’est déroulé lors de la finale de 1966 qui opposait l’Angleterre et l’Allemagne de l’Ouest. En 2014, la finale de la Ligue des Champions opposait deux clubs madrilènes, le Real de Madrid et l’Atlético de Madrid.
Loterie pour les uns, exercice technique pour les autres, la séance de tirs au but ne cesse d'alimenter les débats depuis son instauration dans le football il y a tout juste quarante ans. Elle est cette fois au cœur d'une étude de la London School of Economics and Political Science (LSE), publiée jeudi.
"La plupart des chaînes TV font une pause publicitaire au moment où la pièce est lancée pour décider quelle équipe tirera en premier", précise Ignacio Palacios-Huerta, l'un des coauteurs de l'étude, parue dans l'American Economic Review. "Mais nos recherches montrent que cela pourrait être le moment décisif après un match nul."
Un rapport de 60-40 Explication. M. Palacios-Huerta et l'autre coauteur Jose Apesteguia, professeur associé de l'Université Pompeu Fabra à Barcelone, ont étudié 2.820 tirs au but dans des grands matches nationaux et internationaux entre 1970 et 2000.
"La pièce donne un avantage de 20% à l'équipe qui tire en premier", souligne Ignacio Palacio-Huerta. Et les joueurs en sont bien conscients. Les deux auteurs ont aussi décrypté les vidéos de pile ou face sur 20 matches. Dans tous les cas à l'exception d'un seul, l'équipe gagnante a choisi de tirer en premier...
"La pression psychologique liée au fait d'être "en retard" affecte clairement la performance de l'équipe qui tire en deuxième", selon le co-auteur de cette étude. Cet avantage psychologique, on le retrouve dans d'autres sports, comme en tennis, lorsqu'un joueur sert en premier dans un set.
M. Palacios-Huerta suggère ainsi aux dirigeants du football mondial d'adopter un système de jeu décisif, dans lequel la deuxième équipe à tirer tirerait deux fois de suite. "Cela réduirait nettement l'avantage psychologique indu dont bénéficie le "premier tireur" puisque la deuxième équipe ne serait pas constamment en train de "rattraper"", explique Ignacio Palacios-Huerta.
A noter que dans l'histoire de l'équipe de France, sur les six séances de tirs au but ayant concerné les Bleus, la première équipe à tirer ne s'est imposée que deux fois (en 1998, la France face à l'Italie et en 2006, l'Italie face à la France).
En 1957, lorsque les tirs au but furent créés, en Espagne, lors du tournoi amical de Ramon de Carranza, l’idée de départ était de favoriser l’esprit sportif et d’éviter que la victoire (ou l’échec) soit déterminé par le hasard. En effet, jusque-là, le résultat de la rencontre sans victoire était décidé à pile ou face.
Les deux capitaines, accompagnés de l’arbitre, partaient s’enfermer dans le vestiaire et décidaient du sort du match en lançant une pièce de monnaie. L’équiprobabilité était garantie mais le spectacle et l’intensité du sport oubliés.
Rappelons que l’Olympique Lyonnais, vainqueur de la Coupe de France 1967, n’a dû sa présence en finale qu’après avoir « battu » en demi-finale l’A.S. L’organe officiel des règles de la FIFA, le Board, décida, en 1970, de généraliser la séance de tirs au but, cinq face-à-face à l’issue indécise, afin d’améliorer l’incertitude et la dynamique, de « redonner ses lettres de Noblesse au sport ».
Beaucoup d’observateurs du sport, et du football en particulier, avaient un très mauvais souvenir du pile ou face. Oui : dans le tirage au sort par pile ou face, il s’agissait auparavant d’un parfait « 50/50 » en termes de probabilité, un parfait jeu équiprobable, sans aucune reconnaissance des faits de jeu antérieurs. Tout était remis à égalité, tout le monde pouvait battre tout le monde. Mais le jeu ne prenait pas le dessus, seuls comptaient la chance, le destin et le hasard.
En tant que passionné de football, il voulait s’assurer de l’éthique des tirs au but, et être certain que, après avoir changé la règle, on avait conservé une égalité de traitement entre les deux équipes. Selon ses résultats, l’équipe qui commençait la séance de tirs au but avait 60% de chances de l’emporter contre seulement 40% pour la seconde.
Un rapport 60/40 en faveur de la première équipe, déterminé par un pile ou face (encore !) effectué par l’arbitre avant le début de la séance. Autrement dit, pour gagner les tirs au but, il ne fallait pas être seulement être bon, il était également préférable d’avoir remporté le pile ou face initial. Cela permettait, en décidant de commencer la séance, de disposer d’un avantage psychologique sur l’adversaire et de lui imposer la pression du résultat.
En commençant, on ouvre le score, on montre la voie et on impose son rythme alors qu’en étant deuxième, on doit suivre le jeu et rattraper les buts. Afin d’affiner ses résultats, Palacios-Huerta testa la robustesse de ses résultats avec des outils économétriques, il vérifia dans quelle mesure le 60/40 ne pouvait pas être expliqué par la force de l’équipe, par le fait de jouer à domicile ou à l’extérieur ou encore par le fait d’avoir dominé toute la partie.
Conclusion ? La loterie équiprobable du pile ou face a tout simplement été remplacée par une séance des tirs au but inéquitable. Ignacio Palacios-Huerta envoya, dès 2006, son rapport détaillé aux instances dirigeantes du football.
Les chercheurs allemands M. G. Kocher, M. V. Lenz et M. Sutter s’attelèrent à cette tâche et analysèrent un échantillon bien plus large de séances de tirs au but. Résultat ? L’écart différentiel était remis en cause. Plus de 60/40 mais un 53/47, soit une différence statistiquement non-significative.
Les économistes Luc Arrondel, Richard Duhautois et Jean-François Laslier, quant à eux, analysèrent spécifiquement le cas français, avec la coupe de la ligue et la coupe de France. Ils allèrent même plus loin et citèrent le championnat argentin 1988/1989.
A cette époque, le pays imposa une règle bien particulière en bannissant les matchs nuls. A la fin de chaque match se terminant sur un score de parité, une séance de tirs au but devait être organisée. Ces moments augmentèrent considérablement, plus de 133 séances furent jouées au cours de toute la saison.
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