L'habitat de Colletière a été installé sur une plage de craie lacustre émergeant légèrement du niveau des hautes eaux du lac à l’époque d’occupation. Il est probable que cette plage représentait alors environ 2 500 m2 de sol praticable, formant une presqu’île, voire une île, séparée de la terre ferme par un bras peu profond et marécageux, comme semble le démontrer l’étude sédimentologique. Du côté du large, elle plongeait brutalement par un rivage abrupt.
C’est sur cette limite assez rectiligne, aujourd’hui encore bien attestée par la bathymétrie (étage caractéristique des rivages) comme par l’observation archéologique (traces du cordon littoral), que s’alignent les deux files de gros pieux qui forment la limite occidentale du site. L’habitat couvre ainsi un quadrilatère légèrement trapézoïdal d’une superficie de quelque 1 500 m2, dont la grande longueur s’étend sur 50 m du nord au sud, parallèlement au rivage. La largeur perpendiculaire varie entre 25 m au nord et 20 m seulement au sud.
De plus, cet espace présente une déclivité d’est en ouest puisqu’il gît à des profondeurs variant de 1,50 m à 4,50 m en hautes eaux. Lors de notre intervention, en 1972, le site était partiellement couvert d’une roselière (phragmitaie) qui avait déjà régressé par le nord, du côté où le rivage est érodé par les courants dominants d’origine éolienne et où, par conséquent, les couches archéologiques ont été détruites par un lessivage permanent.
Il faut noter que la présence d’une roselière dans un site peu profond est capitale, car seul le roseau, par sa densité et la résistance de ses racines, peut assurer au sol une bonne cohésion à long terne. La forte régression de la roselière de Colletière, parallèle à celle de toutes les roselières du lac et plus généralement d’Europe, ne laisse d’ailleurs pas d’inquiéter. C’est la raison pour laquelle on a entrepris, avec le concours du Service régional d’aménagement des eaux et de la Société civile du lac de Paladru, des expériences de repeuplement et de protection contre les différents agents destructeurs.
Enfin, un profond chenal transversal équipé d’une embouchure bétonnée avait été aménagé en 1921 au tiers nord du terrain ; il aura sûrement détruit une partie des vestiges sur son parcours. Outre ce couvert végétal, le site bâti présente une surface riche en galets de quartzite, et de très nombreux pieux de chêne qui dépassent d’autant plus du sol qu’on progresse vers le large.
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Au « tombant », c’est‑à‑dire sur l’emplacement du rivage fossile, certains d’entre eux s’élèvent encore à 2 m hors du sol. Ce ne sont pas moins de 680 pieux qui ont été dénombrés à l’heure actuelle. A ces éléments s’ajoutent des pièces de bois horizontales peu visibles, car plus profondément enfouies : il faut creuser pour les dégager. Un plan d’ensemble des structures a été réalisé à partir de la photogrammétrie aérienne restituée par M. Carrier (CRA/CNRS de Valbonne‑Sophia Antipolis).
Ce document a été complété par un relevé pièce par pièce indiquant les diamètres des bois repérés mais aussi rajoutant ceux que l’état d’avancement de la fouille ou le masque végétal n’avaient pas encore permis de trouver. Après fouille, on peut distinguer quatre types principaux d’ouvrages de bois : des pieux verticaux ou subverticaux, des madriers horizontaux, des petits piquets rapprochés en files, des planches en palissade.
A cela s’ajoutent des fragments jonchant le sol, difficilement interprétables, tels que planches, dosses, blocs plus ou moins façonnés, etc. Quant aux ouvrages minéraux, ils comportent des aires d’argile de foyers et de fours, et des résidus argileux associés aux piquets qui évoquent un torchis sur clayonnage. En vision générale, la répartition de ces éléments constitutifs est, dans l’ensemble, assez ordonnée : les madriers horizontaux sont empilés selon un dispositif sensiblement orthogonal et déterminent trois espaces principaux désignés, au moment de la fouille, bâtiments I au centre, II au sud et III au nord.
A ces structures horizontales empilées qui dépassent peu ou pas du niveau du sol actuel (compte tenu d’un tassement des couches archéologiques qu’on peut probablement évaluer au moins à 50 % de l’épaisseur initiale), correspondent certains alignements périphériques de gros pieux, des zones internes moins encombrées de bois verticaux et une concentration des foyers. Aux endroits où elles ont été observées, les files de petits piquets longent les madriers à l’extérieur du cadre qu’ils délimitent ou les recoupent à peu près orthogonalement.
Par ailleurs, une structure périmétrique est formellement identifiable par son alignement assez continu, notamment à l’est où la fouille a révélé d’épaisses planches plantées, et le long du tombant ouest où s’échelonnent des couples de très forts pieux. A ce stade, on interprète cet ensemble comme la répartition de trois bâtiments à l’intérieur d’un espace clos par une palissade.
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Cependant nombre de questions resteraient ainsi en suspens : comment différencier parmi les quelque 700 pièces de bois plantées les structures porteuses, révélatrices des volumes architecturaux, des aménagements mobiliers annexes ? Comment expliquer le foisonnement de pieux dans certaines zones, foisonnement qui paraît s’opposer à toute circulation ? A quelle technique a‑t‑on eu recours pour foncer pieux et madriers dans un sol si peu stabilisé ? Et quand bien même ces questions trouveraient réponses, comment aborder la reconstitution du bâti avec un minimum de garantie scientifique ?
Pour bien saisir les différents aspects du problème d’interprétation architecturale, il convient d’examiner les données plus systématiquement. Certaines sont intrinsèques, c’est‑à‑dire directement observables sur les vestiges, telles que leur géométrie, leur nature physique et leur dénombrement. D’autres sont extrinsèques et relèvent d’hypothèses complémentaires à formuler, comme la géotechnique du site, la datation ou la paléotechnologie. Dans tous les cas on ne peut anticiper sur les résultats proprement archéologiques que fournira, on l’espère, la fouille exhaustive.
La première particularité des vestiges bâtis de Colletière est le contraste entre la relative confusion qui semble présider à l’implantation des pieux et le quadrillage assez strictement orthogonal des madriers couchés. En effet, les premiers se présentent par groupes ou isolés, de diverses dimensions et équarris ou non sur une même zone, à tel point que la question se pose de la conservation des implantations originelles. Les madriers, quant à eux, sont superposés en piles à peu près d’aplomb qui ne témoignent pas de déplacements postérieurs sinon ceux qui sont très récemment intervenus.
Par contre, il en est certains, plus petits et isolés, qui gisent dans des positions erratiques ; on doit malgré tout les considérer comme en place du fait de leur enfoncement dans la couche archéologique et parfois de leur insertion sous des madriers réglés. Le plan de nivellement des bois pourrait également renseigner l’observateur. On se trouve, ici, sur un sol de grève en pente assez accentuée (8 % en moyenne) que suivent les bois couchés.
Si l’on admet que le déversement postérieur du rivage est peu marqué, il faut considérer que ces pièces étaient, à l’origine, déjà un peu inclinées. Les poteaux plantés ne se différencient pas entre eux de ce point de vue puisqu’ils atteignent tous le niveau de pourrissement dû à l’étiage du lac. En revanche ils se différencient par leurs aplombs. Leur inclinaison peut atteindre fréquemment 20°, exceptionnellement 45°.
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De plus il semble que la majorité des pièces inclinées le soit en direction du large ou parallèlement au rivage, ce qui indiquerait malgré tout un léger glissement général. Mais il faut souligner que le mauvais état de conservation des têtes de pieux et leur faible longueur apparente rendent difficile une exploitation systématique de cette donnée. On risque donc de confondre un poteau d’appui déversé et une éventuelle jambe de force.
Il faut, de plus, garder en mémoire la grande imprécision des implantations, due à la thixotropie du sol. Les pièces de bois observables sont en majorité des grumes non écorcées, mais aussi des bois de brin équarris, des écoins ou des planches refendues, y compris des dosses. Les madriers couchés ne sont ni équarris ni écorcés.
Les dimensions de ces matériaux sont très variées : de rares billes atteignent 40 cm de diamètre, la plupart des pieux avoisinent 20 à 25 cm, les planches ont des épaisseurs de 5 à 9 cm, les autres pièces refendues, qui peuvent ne pas excéder quelques centimètres, sont extraites de baliveaux ou de branches. Les madriers présentent des sections variant de 15 à 35 cm.
La longueur des ouvrages est moins sûrement connue. Un pieu a été extrait en eau profonde en 1984. Cette opération a requis la mise en œuvre d’une force de soulèvement d’environ 4 t doublée d’un détourage préalable du sol. Le pieu traversait la couche de craie du lac pour reposer (sur la moraine ?) à 4,50 m sous le sol d’occupation ; faut‑il penser qu’il en va de même pour tous les pieux ? On le discutera plus loin. Les planches alignées à l’est sont, quant à elles, enfoncées à plus de 1,20 m.
Les hauteurs hors sol observables dénotent toutes un nivellement naturel par l’érosion. Les bois couchés paraissent complets, jusqu’à près de 14 m de longueur ; leur empilement peut s’enfoncer jusqu’à 1,50 m dans le substrat crayeux. Les aménagements que présentent ces bois sont très instinctifs pour l’interprétation architecturale. Le plus spectaculaire consiste dans l’empilage croisé de trois et jusqu’à cinq cours de madriers horizontaux pour constituer des quadrillages.
Les intersections ne sont pas entaillées à quart‑bois et les fûts ne sont donc pas jointifs comme dans un classique mur de blockbau (construction de madriers ou rondins entaillés et posés bois sur bois, dans la littérature germanique). Comme de surcroît ils sont ronds et seulement ébranchés, cet empilage, même croisé, serait assez instable. Aussi ne peuvent‑ils tirer leur stabilité que de leur enfoncement dans le sol, de leur poids et de l’appui d’éventuels pieux tangents ou d’un calage propre ; sans doute d’une combinaison de ces facteurs puisque les plus superficiels affleurent la couche d’occupation et que l’on retrouve quelques pièces transversales en coin fichées dans leurs intervalles.
Ailleurs c’est une entretoise qui est assemblée par tenon et mortaise entre un about de madrier et un pieu. Certaines extrémités de madriers principaux ou annexes possèdent une lumière verticale où un petit pieu est forcé. On remarque aussi des retailles, amincissements et encoches opérés sur leur longueur. L’aménagement le plus remarquable des pieux plantés consiste en un système de clés horizontales d’un mètre et plus, passées par des lumières taillées dans leur travers. Cela concerne une douzaine de pieux, ronds ou carrés et de section moyenne, principalement le long des madriers de l’ensemble dit « bâtiment I », à l’extérieur.
L’observation du pieu rond extrait a révélé un long amincissement de la base et un appointage en biseau aigu de l’extrémité. Enfin il faut noter une fracturation des madriers en hêtre du bâtiment II mis en porte‑à‑faux aux abords du tombant.
La quasi‑totalité des pieux verticaux est en chêne. Mais les madriers horizontaux sont soit en chêne pour l’ensemble dit bâtiment I soit en hêtre pour les bâtiments II et III. Parmi les pièces plus modestes, les planches sont le plus souvent en chêne, plus rarement en hêtre. Il conviendrait de rattacher le choix de ces essences soit à deux phases de construction soit à des usages différents.
La faible putrescibilité du chêne le prédestinait à la confection de pieux. Par ailleurs il était abondant dans la forêt proche. Le hêtre, très dur frais, supporte plus mal l’humidité. Mais comme matériau de stabilisation du terrain (madriers horizontaux) il devait être considéré comme suffisant.
C’est un ensemble de 513 bois plantés qui a été analysé à cette étape de l’étude ; il faut déjà lui ajouter près de 200 nouveaux éléments relevés lors de la dernière campagne, qui ne peuvent être pris en considération qu’à titre de vérification des hypothèses proposées. La répartition par formes des bois plantés donne 80 % de ronds ou irrégulièrement refendus, 14 % d’équarris et 6 % de refendus en planches.
Le comptage par diamètres fait apparaître une répartition statistique centrée sur 20 cm avec un déficit au voisinage de 15 cm et un excédent de 5 à 10 cm. Un peu plus d’un bois planté sur deux aurait donc un diamètre de 18 à 25 cm, représentant très vraisemblablement le bois d’œuvre courant. Un sur dix, plus fort, appartiendrait à des pièces spéciales et le reste se partagerait les usages de bois de charpente complémentaires, de clôture, d’aménagement ou de mobilier fixe.
La même analyse, limitée aux sections carrées, montre une moyenne sensiblement plus forte, 20 à 25 cm, et surtout une rareté des faibles sections en dessous de 18 cm. On n’équarrissait que les grosses billes et à des cotes voisines les unes des autres, ce qui pour des pieux nécessite un effort considérable effectué dans une perspective bien déterminée.
Le substrat des sites archéologiques du lac de Paladru est constitué de craie lacustre, comme c’est le cas de la plupart des lacs alpins en environnement calcaire. Ce matériau résulte de la précipitation, dans l’eau douce stagnante, du carbonate de calcium lessivé dans les bassins hydrographiques affluents. Pour les géotechniciens, il aurait un comportement comparable à la « craie‑sol », résultat d’une dést...
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