Le champ de tir du Polygone est un lieu chargé d'histoire, témoin de l'évolution des techniques militaires et des enjeux stratégiques de la France. Cet article explore l'histoire et le fonctionnement de ces champs de tir, en particulier ceux de Bourges et de Strasbourg, en mettant en lumière leur rôle dans l'armement et l'aviation.
Dès la chute du Premier Empire, l'idée d'installer un arsenal à Bourges est envisagée en raison de sa position stratégique. Conscients de la prospérité qu'un tel établissement pourrait apporter à la ville, le Conseil général et le conseil municipal entament des négociations avec l'État. Ces négociations aboutissent véritablement sous le Second Empire.
L'État consent néanmoins en 1833 à l'installation à Bourges d'un régiment d'artillerie, qui arrive en 1837 et loge dans la caserne Condé, dans les bâtiments de l'ancien Grand séminaire. En novembre 1851, décision est prise d'établir également dans la ville une école et une direction d'artillerie. L'école d'artillerie s'installe dans l'enclos Sainte-Jeanne (aujourd'hui 6, avenue du 95e de ligne) en 1856. Elle s'accompagne de la création d'un polygone d'artillerie, qui est établi sur le domaine dit de la Grange Françoise, le long de la route de Crosses, sur des terrains expropriés entre 1851 et 1853.
Les établissements militaires à proprement parler naissent en avril 1860 d'une décision du Comité d'artillerie d'installer dans la ville de Bourges un arsenal et une fonderie et d'y transférer l'école de pyrotechnie de Metz. Bourges présente en effet l'avantage d'être proche de Paris et éloigné des frontières où sont alors concentrés la plupart des établissements militaires français, ce qui les rend vulnérables à une éventuelle invasion. La loi du 12 juillet 1861 vient sanctionner cette décision.
Un vaste mouvement d'expropriations commence alors au sud-est de la ville, pour permettre la construction des nouveaux établissements militaires, et le long de la route de Crosses, pour agrandir le polygone d'artillerie. Les travaux de construction des établissements militaires, inclus dans un vaste quadrilatère enclos de murs, commencent en 1862. La fonderie de canons est achevée en 1866, puis viennent l'arsenal et le dépôt de matériel. La direction d'artillerie est également transférée dans le quadrilatère. L'école de pyrotechnie de Metz ne s'installe définitivement à Bourges qu'en 1870. En parallèle, des travaux pour relier les nouveaux établissements militaires au réseau ferré d'Orléans sont entrepris entre 1868 et 1871.
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En 1871 s'installe à Avord un camp d'entraînement pour l'infanterie, la cavalerie et l'artillerie. Le camp accueille également à partir de 1875 une école de sous-officiers qui est transférée à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) en 1881. Plusieurs fois menacé de fermeture, la camp d'Avord stagne jusqu'à l'établissement de l'école pratique d'aviation en 1910.
Pendant la première guerre mondiale, les établissements militaires de Bourges l'école de Pyrotechnie, l'Atelier de construction (qui réunit depuis 1912 les anciens arsenal et fonderie) et l'entrepôt de réserve générale fonctionnent à plein régime. Les nécessités de la production accrue imposent une extension importante : une grande vague d'expropriation est ainsi lancée en 1915 pour l'agrandissement de la Pyrotechnie et de l'Atelier de construction. L'entrepôt de réserve générale quitte l'enclos Lahitolle pour la route de la Charité puis Port-Sec après 1920.
La guerre entraîne également la fusion des champs de tir du polygone et de la base d'Avord : les décrets du 20 juillet 1914 et du 14 septembre 1917 sanctionnent la création du nouveau champ de tir, qui traverse une dizaine de communes et s'étend sur plus de 30 km.
À Strasbourg, le nom « Polygone » provient également du polygone de tir utilisé pour les essais d'armes d'artillerie. Là, au XIXe siècle, sont organisées des parades militaires - les empereurs français Napoléon III, puis allemand Guillaume 1er y défilent -, des manœuvres et des essais d'armes d'artillerie. Vers 1830, on y construit un monument à la mémoire de Jean-Baptiste Kléber, général sous la Révolution française et durant le premier empire, originaire de Strasbourg.
Dans les années 1900, le terrain militaire du Polygone est également utilisé pour des essais aéronautiques. Certains pionniers de l’aviation y font voler les premiers aéronefs - plusieurs rues du quartier portent d’ailleurs les noms d’aviateurs célèbres, tels Roland Garros, Jean Mermoz, Louis Blériot (côté Musau) ou, bien sûr, Antoine de Saint-Exupéry, qui passe à Strasbourg son brevet de pilote en 1921, lors de son service militaire. Depuis 1935 et l’ouverture de l’aéroport de Strasbourg-Entzheim, le terrain du Polygone, rogné par l’urbanisation au nord et à l’ouest, est réservé à l’aviation de loisir, avec ses cours de parachutisme, de vol à voile et de vol moteur, chapeautés par l’Aéroclub Polygone67.
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Les dossiers de la sous-série 4N concernant les établissements militaires éclairent essentiellement les différentes procédures d'expropriation ayant précédé leurs créations ou agrandissements. L'expropriation se déroule suivant la loi du 7 juillet 1833 remaniée le 3 mai 1841 : une enquête pour utilité publique est ouverte, débouchant sur un décret pris par le chef de l'Etat qui déclare l'expropriation d'utilité publique. Une enquête parcellaire est ensuite ouverte par le préfet.
Les propriétaires du bien à exproprier sont alors informés de la cessibilité de leur bien et ont la possibilité de le céder à l'amiable à l'Etat. L''expropriation des propriétaires refusant la cession amiable est prononcée par un jugement du tribunal de première instance, notifié individuellement aux propriétaires. L'administration notifie également aux propriétaires les offres d'indemnisation pour leur bien exproprié. En cas de refus des offres par les propriétaires, le montant de l'indemnité est fixé par le jury. L'Etat ne devient propriétaire du bien qu' à partir du moment où l'ancien propriétaire a été indemnisé.
Ces dossiers permettent de retracer l'origine des propriétés à l'emplacement desquelles ont été construits les établissements militaires et contiennent souvent des plans, précieux pour connaître l'extension du polygone ou de l'école de pyrotechnie, entre autres, à tel ou tel moment. On ne retrouve néanmoins dans la sous-série 4N que très peu d'éléments sur les travaux proprement dits. Ceux-ci n'apparaissent qu'en creux, au travers des procédures judiciaires intentées contre l'Etat par des riverains ou des entrepreneurs.
Le 30 juin 1860, Napoléon III approuve la décision d'installer, à Bourges : « un arsenal principal pour matériels neufs, un dépôt de matériels confectionnés et d'approvisionnement, une fonderie et une école de pyrotechnie avec polygone ». Cette décision est officialisée par la loi du 2 juillet 1861. Elle a été prise pour des raisons stratégiques ; les industries d'armement étaient auparavant souvent trop proches des frontières, donc trop exposées aux éventuels ennemis.
En 1861, un décret d'utilité publique facilitant les acquisitions de terrains à Bourges pour les Etablissements Militaires est publié. Le 10 juillet 1862, l'empereur confirme la décision du 30 juin 1860 lors d'une nouvelle visite au cours de laquelle toute la ville témoigne sa reconnaissance par des arcs de triomphe à la gloire de l'empereur.
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Dans les années 1870, on commence la construction du grand arsenal, l'école de pyrotechnie est transférée de Metz à Bourges et enfin une commission d'expériences est créée.
Les travaux de construction de la fonderie commencent en 1862 et s'achèvent en 1866. Le premier canon y sera coulé en mai et la fonderie prendra le nom de « Fonderie impériale de canons ». Cette fonderie moderne remplacera les fonderies de Strasbourg, Toulouse et Metz qui fermeront respectivement en 1864, 1865 et 1867. Elle perdra son titre « Impériale » après 1870 et deviendra « Fonderie de Bourges », puis prendra le nom d' « Atelier de Construction de Bourges » (ABS) en 1912.
La halle aux fontes, nom donné au principal bâtiment de cette fonderie, est prévue pour couler des tubes en bronze. Depuis 1866, la cadence de production augmentera sans cesse, mais, vers 1870, les tubes de canons seront en acier et il faudra repenser et modifier toute les installations. Le dernier matériel en bronze sera le 138 mm de Reffye, le premier matériel en acier sera le 95 mm Lahitolle.
Suite au Décret Impérial, l'Ecole de Pyrotechnie de Metz est transférée progressivement à Bourges à partir de 1867. Elle prend le nom de « Ecole Centrale de Pyrotechnie » (ECP) en 1870 pour bien marquer sa nouvelle situation au centre de la France. L'ECP, destinée à l'origine à l'instruction, évolue rapidement vers les études puis les fabrications de fusées de guerre, de composants pyrotechniques et de munitions.
Pour procéder aux essais des armes et des munitions de l'Armée de terre, la Commission d'expériences est créée le 30 décembre 1871. La Commission s'installe, avec l'Ecole d'Artillerie et l'Etat-Major de l'Artillerie du 8ème corps d'armée, dans le bâtiment de la place Malus.
Les dimensions du champ de tir, à l'origine de longueur 3 km, suivent l'accroissement de portée des armes d'artillerie. Le polygone atteint 12 km en 1914, 30 km en 1918.
Les établissements militaires sont fortement impliqués lors de la première guerre mondiale. À l'Atelier de Construction de Bourges, où l'on travaille jour et nuit, 8300 ouvriers assemblent quotidiennement plus de 40 canons de divers calibres, en particulier le canon de 155 GPF Filloux, créé en 1917, dont la portée eut un impact décisif sur l'issue de la guerre.
À l'Ecole Centrale de Pyrotechnie, quelque 12 000 ouvriers et ouvrières produisent chaque jour 80 000 munitions d'artillerie, pour l'essentiel des munitions de 75mm, 40 000 fusées diverses, 700 kg d'explosif (fulminate de mercure). La population de Bourges passe de 46 000 habitants au début de la guerre à 110 000 en 1918.
L'activité militaire s'effondre quand vient l'armistice. Une partie de l'immense savoir-faire technique et industriel est utilisé à des fins civiles avant de connaître à nouveau une période de mobilisation totale à l'approche du 2e conflit mondial. Pendant cette période, l'ABS étudie et réalise des tubes pour canons anti-aériens qui seront installés sur des affûts fixes ou mobiles ainsi que des canons antichars et diverses munitions.
Les productions sont interrompues à l'arrivée des troupes allemandes. Le personnel est replié dans les établissements du sud de la France (Tarbes, Tulle, Roanne et Châtellerault). Tout ce qui peut être récupéré (parc machines, bâtiments, matériaux stratégiques...) est démonté et transporté en Allemagne par l'armée allemande.
Après la guerre, les locaux détruits sont reconstruits et de nombreuses installations nouvelles sont aménagées. Une partie des machines sera rapatriée après l'armistice. La reprise est vraiment effective en 1950 lorsque l'ABS se voit confier la réparation des chars, puis l'étude et la fabrication du canon 75/50 du char AMX 13, les obusiers de 105/50, tracté et automoteur, et de 155 BF/50.
L'évolution des techniques nécessite des personnels qualifiés. Les écoles d'apprentissage de l'ABS, de l'ECP puis de l'EFAB forment, dans les métiers de la pyrotechnie et de l'usinage des métaux, des ouvriers hautement qualifiés appréciés dans toutes les entreprises de la région. La promotion sociale est assurée grâce à des cours de formation générale et technique. Après concours, les ouvriers peuvent accéder à des formations de technicien, et même d'ingénieur, dispensées dans les écoles de la Direction des Armements terrestres.
En 1967 trois établissements, l'Atelier de Construction de Bourges (l'ancienne fonderie), l'Ecole centrale de Pyrotechnie et l'Atelier de construction de Mulhouse sont regroupés et prennent le nom d'Etablissement de Fabrication d'Armement de Bourges (EFAB) qui deviendra successivement Centre de Bourges de GIAT Industries en 1990, et Nexter établissement de Bourges en 2006.
Voici un résumé des principales étapes de l'évolution des établissements d'armement à Bourges :
Période | Événement |
---|---|
1860 | Décision d'installer un arsenal, une fonderie et une école de pyrotechnie à Bourges |
1866 | Achèvement de la fonderie de canons |
1870 | Transfert de l'école de pyrotechnie de Metz à Bourges |
1912 | La fonderie de Bourges devient l'Atelier de Construction de Bourges (ABS) |
1967 | Création de l'Etablissement de Fabrication d'Armement de Bourges (EFAB) |
1990 | EFAB devient Centre de Bourges de GIAT Industries |
2006 | Le Centre de Bourges devient Nexter établissement de Bourges |
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