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La Chine, un empire en pleine ascension, ne cesse d'asseoir sa puissance dans divers domaines. Elle est aujourd'hui le deuxième vignoble mondial et le septième producteur de vin au monde, se dirigeant vers le statut de première puissance économique mondiale. Cet article explore l'engagement de la Chine dans l'industrie du vin, un secteur clé selon le gouvernement depuis 2010.

Une histoire emblématique : Ao Yun, le vin du Tibet

Commençons par une belle histoire, celle d'un vin qui s'épanouit sur les rives du Mékong, à 2600 m d'altitude, au pays du Tibet. Connaissez-vous le Ao Yun (Au-dessus des nuages), vin qualifié déjà de mythique : 90 % de cabernet sauvignon, 10 % de cabernet franc ? Ao Yun vient d'un lieu stupéfiant, au milieu de ravins vertigineux, à un endroit où la culture de la vigne relève de l'exploit.

30 ha furent plantés en 2002, à 2600 m d'altitude, dans la province de Yunnan, sur les contreforts de l'Himalaya, sous la montagne sacrée de Meili. Peut-on imaginer qu'ici même, entre ces trois fleuves parallèles (aires aujourd'hui protégées par l'Unesco), le Yangtze, le Mékong et le Salween furent plantées en 1846 les toutes premières vignes par les prêtres des Missions étrangères de Paris.

Aujourd'hui, la superficie totale des vignobles qui bordent les trois fleuves (Yangtze, Mékong et Salween) est de 500 ha. Mais quel symbole ! Le vignoble du Ao Yun est tout proche de la ville de Shangri-La, nom donné par les autorités chinoise en souvenir de cette vallée paradisiaque évoquée dans le roman publié en 1933 : Lost Horizon de l'auteur britannique James Hilton.

Ce lieu perdu au bout du monde, Moët Hennessy Estates & Wines (groupe LVMH qui a créé la Winery Shangri-La) a mis 4 ans à le découvrir (il est localisé sur le 27e parallèle nord). Le climat ici est idéal, très proche de celui de Bordeaux (pas de mousson, un air sec, et des températures moyennes).

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Il est aujourd'hui constitué de 320 petites parcelles cultivées en bio par 300 agriculteurs locaux* de trois villages différents sur les deux rives du Mékong (les villages en terrasse d'Adong, Xidang, Sinong et Shuori). Le résultat est bluffant : Ao Yun 2014, le deuxième millésime a été tiré à 24 000 bouteilles ; un très grand vin élaboré sous le contrôle de Maxence Dulou installé ici avec femme et enfants (il parle le mandarin, il apprend le tibétain) qui en a fait le meilleur vin rouge de Chine et sans doute l'un des meilleurs vins du monde (on le trouve en Europe autour de 230 €).

Elaborer des vins ici, dans le Yunnan, à cette altitude, selon Jean-Guillaume Prats (président de Moët Hennessy Estates & Wines), c'est avant tout un grand défi humain et un cauchemar logistique au point que le Ao Yun coûte plus cher à produire qu'un Yquem. Dans les contrées reculées du nord-ouest du Yunnan, Deqin, est un paradis niché au creux des montagnes de l'Himalaya, près de la légendaire cité de Shangri-La.

L'ascension fulgurante de la Chine dans le monde du vin

Un vignoble en pleine expansion

Alors, question vin, où donc s'arrêtera la Chine bientôt première puissance économique mondiale ? Elle possède déjà le deuxième plus grand vignoble du monde avec 870 000 ha*, derrière l'Espagne mais devant la France (787 000 ha). Il est important de noter que ces chiffres incluent les vignobles destinés à la production de raisins de cuve, de table et de vins secs. En Chine, plus de la moitié des surfaces sont occupées par des variétés de raisins de table dont elle est le premier producteur mondial, comme le kyoho (44 % du vignoble chinois) et le red globe (18 %).

Consommation et importation

En termes de consommation, la Chine a bu 1865 millions de bouteilles, dépassant la France et l'Italie en tant que premier consommateur mondial de vins rouges. En termes d'importation, la Chine se place en 2017 parmi les cinq premiers pays importateurs de vins avec 7 millions d'hl pour une valeur de 2458 millions d'€, après l'Allemagne, Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la France. Une progression significative en volume de plus de 17 % par rapport à 2016.

Sa part de vins importés en bouteille a augmenté de 15 % conduisant la Chine à conserver le 4e rang en valeur (+14,7 % par rapport à 2016). Preuve de cette reconnaissance internationale : en mai 2018, le prestigieux Concours Mondial de Bruxelles (la plus importante manifestation du genre) se tenait pour la première fois hors d'Europe. Il organisait sa 25e édition dans le district de Haidian à Pékin.

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Demei Li : Un expert reconnu

Demei Li est l'un des oenologues les plus réputés de Chine et du monde viticole. Il a été désigné en 2012, Homme de l'année de l'Industrie viticole chinoise. Il écrit régulièrement pour de nombreuses revues : Wine Review, Vino Vogue, Wine in China, Food and Wine… Aujourd'hui, il enseigne l'œnologie et l'art de la dégustation au Beijing Agriculture College ainsi qu'à l'ESA Angers en tant que professeur invité.

Demei Li est diplômé ingénieur de l'École nationale supérieure des sciences agronomiques de Bordeaux (ou Bordeaux Sciences Agro) en viticulture-oenologie. Après un stage au Château Palmer à Margaux, il a parcouru le monde (France, Italie, Portugal, Californie, Chili, Australie). Le professeur Demei LI, sans doute l'un des plus brillant oenologues consultants de Chine.

Les cépages chinois : un panorama varié

La Chine cultive des dizaines de cépages de cuve aux noms très imagés de mamelle de vache, cœur de coq (shuanghong, beihong, beimei, beibinghong, gongzhubai…). La principale et la plus ancienne variété est le longyan (œil de dragon) plantée en Chine septentrionale et dans le sud de la Mandchourie. C'est un cépage d'altitude au rendement élevé.

En 1979, Changcheng (Greatwall), la marque de vin chinois, basé à Shacheng dans la province du Hebei et appartenant à COFCO choisit le longyan pour produire le tout premier vin sec chinois, le Great Wall Dry White. Si plus de 90 % du vignoble est accaparé par les cépages rouges, la part des cépages blancs a cependant tendance à augmenter ces dernières années.

L'émergence du marselan

Une surprise de taille, l'émergence du marselan dans le paysage chinois ! Le marselan a été créé en France en 1961 par un croisement entre le cabernet sauvignon et le grenache. L'oenologue Demei Li, l'un des plus grands spécialistes du vin chinois et chroniqueur pour DecanterChina.com estime qu'il s'agit d'un cépage très prometteur pour bien des régions viticoles en pleine croissance.

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Il couvre aujourd'hui environ 200 ha. C'est un cépage qui donne un vin d'un pourpre vif, avec un nez frais et aromatique, des notes de fruits mûrs et une pointe mentholée ressemblant en cela au cabernet sauvignon. Il est selon lui résistant à la maladie, mais sa vigueur est plus faible que celle du cabernet sauvignon. Il a un mûrissement lent et un potentiel de rendement assez bon.

Le cabernet gernischt (carmenère)

Très longtemps on considéra le cabernet gernischt comme une variété locale et bien mystérieuse quant à son origine. Elle fut révélée par le généticien suisse, José Vouillamoz qui l'identifia comme étant le carmenère (originaire de Bordeaux mais aujourd'hui très répandu au Chili). Des études ont aussi montré que certaines plantations pouvaient être confondues avec du cabernet franc.

Sa grande popularité est étroitement associée à Changyu, le plus ancien producteur de vin commercial de Chine qui le mit en bouteille pour la première fois en 1931 sous le nom de Noble Dragon (2018 sera son 87e millésime). Aujourd'hui, le cabernet gernischt offre un excellent vin rouge bien équilibré, avec des saveurs de petits fruits rouges et de baies noires soutenues par des tannins bien mûrs.

Il couvre 80 % de la production en vin rouge du Yantai ce qui équivaut à 70% de toute la production de cabernet gernischt de Chine. Alors, et comme beaucoup le pense, deviendra-t-il le cépage emblématique de la Chine, à l'image de ce qu'est le sauvignon blanc pour la Nouvelle-Zélande ou le malbec pour l'Argentine ? Et quand donc la Chine programmera-t-elle un Cabernet gernischt Day ? Le cabernet gernischt (cépage carmenère) très populaire en Chine.

Le Vitis amurensis : un cépage résistant au froid

Dans la province de Jilin au nord de la Chine, près de la Corée du Nord, la région de montagne de Changbai devait disposer d'un cépage ultra résistant au froid ; ce cépage, c'est l'extraordinaire Vitis amurensis (le raisin d'Amour) doté d'une remarquable résistance au froid pour survivre à des températures pouvant descendre jusqu'à -40° (voir à Jilin, sa description détaillée).

On a tout naturellement utilisé ses qualités pour en faire des hybrides avec des cépages européens et produire ainsi des cépages à forte résistance au froid.

Rendements et coûts de production

Si le rendement moyen de la vigne à cuve en Chine est de l'ordre de 96 hl/ha, il dépend surtout de la province. Ainsi, à titre d'exemple, pour le Henan, c'est 186 hl/ha, Shandong : 135 hl/ha, Hebei : 61 hl/ha, Xinjiang : 25 hl/ha, Ningxia :16 hl/ha.

Quant au prix du kilo de raisin, il est aujourd'hui (en €) pour le merlot à 0,50, pinot noir à 0,48, cabernet sauvignon à 0,44, chardonnay à 0,31. Mais de plus en plus, le raisin se négocie à la qualité plutôt qu'au poids. Enfin, le coût de la main-d'œuvre s'établit par heure à environ 12,5 CNY (le yuan équivaut à 0,13 €) soit 1,5 €.

Les régions viticoles chinoises

La majeure partie de cet immense vignoble, le deuxième du monde est implanté dans la moitié nord du pays (Shandong…) sachant que dans la moitié sud, les conditions sont moins favorables avec un climat chaud, sec, et très froid en l'hiver. Rappelons que 40 % du territoire chinois se trouve à plus de 2000 m d'altitude.

Ainsi, la vigne se développe le long de la fameuse route de la soie, en lisière du désert de Gobi. Enfin, d'ouest en est, on trouve d'importants vignobles implantés dans les régions autonomes, à majorité musulmane du Xinjiang, du Gansu et du Ningxia.

Une ses singularité du vignoble chinois est son appartenance à l'Etat propriétaire du foncier urbain comme du foncier rural. Les vignes sont donc encore des propriétés collectives.

Les défis du vignoble chinois

La Chine détient seulement 7 % des ressources mondiales en eau douce. En conséquence, 90 % des surfaces viticoles sont irriguées (soit près de 900 000 ha) par deux techniques : la micro-irrigation par goutte-à-goutte et l'irrigation par gravité. Rappelons que la vinification nécessite en moyenne six à sept litres d'eau pour chaque litre de vin.

Alors, comment agira la Chine face dans 10 ans au changement climatique, à la salinisation, à l'érosion des sols et à la pollution causées par l'urbanisation ? Quant au contexte phytosanitaire, le mildiou et non le phylloxéra est la maladie de la vigne la plus répandu dans le vignoble chinois.

Des hivers excessivement rigoureux dans le nord. D'abord les ceps sont sur porte-greffe, résistant au grand froid. Ensuite, pour surmonter les difficultés climatiques, certains viticulteurs chinois doivent après les avoir taillées, enterrer leurs vignes à la pelle (et à quel coût !) avant les premières gelées (souvent fin octobre). On appelle cette opération butter la vigne. C'est le cas à Ningxia, Shandong et Hebei où les ceps sont déterrés à la charrue au début du printemps.

Bien que les variétés de raisins de cuve soient cultivées sur une bonne partie du territoire chinois, les deux tiers proviennent de 10 régions. Certains experts considèrent qu'il existe 12 régions viticoles (provinces ou territoires autonomes).

Le Xinjiang : un territoire reculé

Cette région autonome ouïgoure est la plus grande province de Chine, mais peuplé de seulement 21 millions d'habitants, foyer de la population ouïgoure, (des turcophones musulmans). C'est également la plus grande région pour les raisins de table (très réputée aussi pour ses raisins secs) et l'une des premières pour les raisins de cuve. Elle compte en effet pour plus de 15 % des surfaces vinicoles chinoises (environ 25 000 ha).

Le Xinjiang (bordant la Mongolie, la Russie et le Kazakhstan) est sans doute le territoire le plus reculé de Chine, un gros handicap pour la production de vin. On y pénètre par les gorges de Xingxing qui gouvernent l'entrée de la région à partir de la province du Gansu, à l'est. Le Xinjiang est scindé par le Tian Shan, un chaîne de montagnes connue sous le nom de Tengri Tagh ou Montagne Céleste.

Il règne ici un climat semi-aride ou désertique (à l'exception de la vallée de l'Ili) avec des températures dépassant 40 ° en été pour tomber à -25 ° en hiver (obligation donc d'enterrer les pieds de vigne pour les protéger pendant l'hiver). Les précipitations y sont très faibles, ce qui limite les rendements.

Les vignobles se situent à une altitude moyenne de 450 à 1000 m sur le versant nord des monts Tian shan entourant d'ouest en est, les villes de Shihezi, Manasi, Hutubi, Changji Wujiaqu et Fukang. Les sols sont constitués à majorité de graviers et de sables.

La région de la rivière Ili

Cette région à la frontière ouest de la Chine se situe entre la chaîne principale de Tian shan au sud et des montagnes Borohoro au nord. Les meilleurs vignobles se trouvent sur les pentes au sud de la rivière Ili qui se jette dans le lac Balkhash. Grâce à la présence d'eau, le secteur bénéficie d'un climat frais et chaud c'est sans doute la raison pour laquelle l'armée chinoise a décidé d'y planter de la vigne depuis 2010.

Le bassin de Yanqi

Entouré de montagnes sur trois côtés, le bassin de Yanqi est généralement bien protégé du vent violent qui caractérise cette région de Gobi. A 300 km au sud, un lac d'eau douce s'étendant sur 1200 km2 a joué un rôle essentiel pour rendre la viticulture possible dans cette zone extrêmement sèche, avec une pluviométrie annuelle moyenne de 70 mm.

Yanqi a un climat continental avec un été très chaud et un hiver extrêmement froid d'où l'obligation d'enterrer les vignes en hiver.

Le bassin de Turpan : le point le plus bas

Région étonnante ! C'est le point le plus bas du globe, 154 m en dessous de la mer (après la Mer morte). D'ailleurs, dans le langage (turcophone) Ouïghour, Turfan signifie l'endroit le moins élevé. Le bassin de Turpan est en effet un creux délimité par des failles situé dans la partie orientale du Tian shan. Il est entouré de quatre chaînes de montagnes: le Tian shan à l'ouest, le Bogda shan au nord-ouest, le Haerlike shan au nord-ouest et le Jueluotage shan au sud.

Turpan (ou Turfan), ville-préfecture se situe dans une cuvette, à 150 km d'Ürümqi, tout proche du désert de Taklamakan et ses redoutables sables mouvants ; un passage stratégique sur la Route de la soie où les habitants apprirent l'art viticole au contact des Perses. Turfan a aussi la réputation d'être la ville la plus chaude de Chine avec une longue période de chaleur et des températures souvent...

Tableau récapitulatif des rendements viticoles en Chine (hl/ha)

Province Rendement (hl/ha)
Henan 186
Shandong 135
Hebei 61
Xinjiang 25
Ningxia 16

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