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Depuis plusieurs semaines, l'omerta règne à l'hôtel de police de Rouen (Seine-Maritime). Quatre armes à feu ont disparu, deux sous scellés et deux administratives. Cela fait plusieurs semaines qu'elles sont recherchées. Le service d'information et de communication de la police nationale indique qu'une enquête est en cours, sans faire plus de commentaires. Mais dans le cas de ces armes disparues à Rouen, est-ce un vol? Une erreur d'enregistrement? Depuis une dizaine d'années, les armes disparues seraient de plus en plus nombreuses en France dans les commissariats, selon franceinfo.

En 2018, un fait divers avait fait couler beaucoup d'encre.

Plus récemment, dans la nuit du vendredi 30 août au samedi 31 août 2024, un individu s'est violemment attaqué à la façade de la discothèque So à Rouen (Seine-Maritime) en projetant des mortiers d'artifice. L'évènement, relayé sur les réseaux sociaux à travers plusieurs vidéos, a suscité des milliers de réactions et des centaines de milliers de vues. Sur les vidéos partagées, on peut observer une personne vêtue de noir positionnée à une dizaine de mètres de la façade du So Rouen. Plusieurs personnes venues faire la fête ce soir-là ont filmé la scène, à l'extérieur et à l'intérieur du bâtiment, alors que d'autres fuyaient pour éviter les projectiles.

De nombreuses dégradations ont été constatées dans les agglomérations de Rouen et du Havre.

Après la mort de Nahel, tué mardi par un tir de policier à Nanterre (Hauts-de-Seine), de nouvelles violences ont éclaté dans les agglomérations de Rouen et du Havre dans la nuit de jeudi à vendredi. De nombreux bâtiments publics ont été pris pour cible, comme des mairies annexes, des bureau de poste, de missions locales, un bureau de police et des écoles, à Canteleu, Saint-Étienne-du-Rouvray, Petit-Quevilly ainsi que dans les Hauts de Rouen. 22 véhicules ont été incendiés et de nombreux commerces dégradés et pillés au Havre et dans l'agglomération de Rouen.

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La préfecture note aussi que quatre personnes ont été blessées en marge des émeutes, dont un policier blessé léger par un tir de mortier. Un homme a été grièvement blessé après être tombé du toit d'un magasin alimentaire pendant une action de pillage. Il a été pris en charge au CHU de Rouen. Un autre individu a été brûlé aux mains en essayant d'éteindre un feu sur son balcon, et une dernière personne a été intoxiquée après l'incendie d'un commerce.

Par ailleurs, des violences urbaines ont éclaté dans la nuit du samedi 28 au dimanche 29 novembre 2020 à Vernon. Policiers et pompiers ont été la cible de tirs de mortier d’artifice, dans la nuit de samedi à dimanche à Vernon, dans l’Eure. Il était 21 h 30 lorsque les sapeurs-pompiers ont été appelés pour cinq feux de poubelles. Entre 20 et 30 assaillants auraient ensuite projeté des mortiers d’artifice. Pour disperser les suspects, les forces de l’ordre ont fait usage de grenades et de balles de défense. Le calme est revenu dans le quartier vers 2 h.

Le préfet de Seine-Maritime "condamne" les "menaces et actes de violences envers les élus et représentants des institutions ainsi qu’à l’encontre des forces de l’ordre et des sapeurs-pompiers".

Un policier et un pompier blessés dans l'Eure. Les forces de l'ordre et pompiers ont été la cible de tirs de mortier et de caillassages.

Le préfet déplore aussi deux véhicules des pompiers endommagés, ainsi qu'un véhicule de police et un de gendarmerie.

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"Le préfet condamne avec force les violences qui ont mis en danger les agents des forces de sécurité et de secours ains que les habitants des quartiers concernés" écrit la préfecture, qui affirme aussi son "soutien le plus total aux élus qui se sont parfois trouvés directement menacés."

Alençon, l'Aigle et Flers touchés. Du côté de l'Orne, des violences urbaines ont également rythmé la nuit dans trois villes notamment, indique la préfecture dans un communiqué. Trois véhicules légers ont été brûlés à Alençon et une personne a été interpellée dans le quartier Perseigne pour avoir jeté des projectiles sur les forces de l'ordre. À Flers, les forces de l'ordre ont reçu des tirs de mortiers, un distributeur automatique a été forcé et un engin de chantier brulé.

La BAC de Rouen

Trois mois après la condamnation de policiers "ripoux" au sein d'une brigade anti-criminalité parisienne, et alors que s'ouvre aujourd'hui le procès de policiers de la BAC Nord de Marseille, immersion dans l'une de ces unités prestigieuses, à la BAC de Rouen.

"J'ai eu la chance de ne jamais croiser de policiers ripoux", clame le commandant de police qui dirige trois unités au commissariat de Rouen, dont la prestigieuse BAC composée de 47 policiers, "tous volontaires, tous passionnés". Alors que s'ouvre à Marseille, ce lundi, le procès de dix-huit policiers de la BAC Nord soupçonnés de divers trafics, et trois mois après la condamnation de policiers d'une brigade anti-criminalité du 18e arrondissement de Paris, ce commandant, qui préfère ne donner que son prénom, Yannick, ne veut pas que les policiers soient "tous mis dans le même bain". Yannick, vingt ans de police, se "désole qu'une partie de la population puisse penser qu'on est tous comme ça".

À l'hôtel de police de Rouen, que la plupart des policiers appellent "l'hôtel" ou "Le Brisou" - du nom de la rue qui l'abrite -, ils sont quarante-sept à la BAC : quarante-deux hommes, quatre femmes et à leur tête, Tony, le chef. Les "baqueux" partagent tous le même grand bureau, dans lequel s'alignent les gyrophares, les talkies-walkies, et les coupes de champions. Tous sont très sportifs, beaucoup s'entraînent ensemble à la course à pied. "Faut qu'on soit bons pour courir après le bandit", blague la benjamine âgée de 28 ans.

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Les blagues fusent souvent entre les "baqueux" de Rouen, dans leur grand bureau, où ils ne restent jamais très longtemps. Ils ne s'y arrêtent que pour rédiger des procès-verbaux ou préparer des opérations de surveillances et de filatures. Au commissariat, leur deuxième espace est une "salle de convivialité" où ils partagent leurs repas. Au mur, des autocollants et dessins de l'écusson de la BAC qu'ils ont revisité, avec un scorpion. Personne ne sait vraiment d'où vient cet emblème, mais tous s'y reconnaissent "parce que c'est viril".

L'humour à la BAC est plutôt "masculin", reconnaît Tony, "chef BAC", vingt-cinq ans de terrain à galoper derrière des voyous. Tony aime les rires dans son équipe, nécessaires pour évacuer la dureté de ce qu'ils vivent au quotidien. Cheveux gris-blancs, la cinquantaine athlétique, Tony parle aussi beaucoup de la "bienveillance" collective, dans cette brigade que beaucoup de ses hommes comparent à "une petite famille". Certaines semaines, ils passent cinquante-cinq heures ensemble. Ils alternent les semaines de deux jours, et de cinq jours. La BAC jour traque les délinquants de treize heures à minuit ; de 18h30 à 5h38 pour la BAC nuit. Les horaires sont précis sur le papier, mais sur le terrain, les "baqueux" de Rouen ne regardent pas vraiment leur montre.

Le terrain, c'est là qu'il passent l'essentiel de leur temps, et c'est ce qu'ils préfèrent, tous. Partir en patrouille durant des heures, chaque jour. La patrouille, c'est rouler à la vitesse d'un escargot, à trente ou quarante kilomètres à l'heure, dans les rues de la ville ou dans des quartiers dits sensibles et se faire régulièrement klaxonner, au passage, par des conducteurs impatients qui ne les ont pas reconnus. Puis, dès qu'ils reçoivent un appel pour un vol, une agression, un braquage, des violences intrafamiliales, un crime, ils foncent à toute allure, gyrophare accroché sur le toit de la voiture banalisée. Ralentissent dans le secteur où ils cherchent leur cible, alors que souvent, les indices sont minces pour traquer un délinquant signalé. "Mais on prend l'habitude de scanner les gens et de repérer les suspects à leur attitude", résume François, au volant de sa petite voiture neuve, plus discrète que d'autres.

Dans leurs voitures, les "baqueux" sont reliés entre eux par talkies-walkies. Dans la soute du coffre de l'une d'elles, un fusil d'assaut, et des équipements lourds, en cas d'attaque terroriste. Et dans tous les véhicules, des lanceurs de balles de défense, des grenades, des tasers. La BAC reçoit les appels lancés à toutes les brigades et vient souvent en renfort d'autres unités. D'une seconde à l'autre, la patrouille tranquille se transforme donc en "mission", et dans le vacarme assourdissant du "deux-tons", les "baqueux" grillent les panneaux "stop" et les feux rouges. "On essaye d'arriver le plus rapidement possible, des fois, trente secondes de plus ou de moins, ça peut changer l'intervention, surtout quand on nous parle d'arme blanche", dit le commandant de police, Yannick, qui fait partie de l'équipage en cet après-midi ensoleillé.

"Pour nous, tout simplement, une belle affaire, c'est une affaire où on prend quelqu'un en flagrant délit, on l'interpelle proprement, et on le ramène au service", explique cet officier, regard clair, voix posée. "Nous quand on peut ne pas menotter quelqu'un, c'est encore mieux. Si quelqu'un se laisse faire, c'est encore mieux. On n'est pas là pour aller à la bagarre", assure Yannick.

Il est environ quatorze heures. Des mouettes volent dans le ciel bleu de Rouen. Quand dans les voitures de la BAC, la radio indique que deux voleurs viennent d'arracher le collier d'une dame, en plein centre-ville. "Il y en a un qui a un haut rouge et un bas de couleur noire", "le deuxième a une cicatrice au niveau de la gorge". Le break dans lequel ont embarqué Yannick, Tony, et le conducteur, Jean-Luc, se met en chasse, ouvrant l'œil avec la description qui vient de leur être donnée dans le secteur du vol. Deux jeunes hommes attirent leurs regards. Les tenues vestimentaires ne collent pas exactement avec les descriptifs annoncés sur les ondes, mais l'un des jeunes a bien un sac en bandoulière. Les trois policiers décident de procéder à un contrôle, sur un trottoir du centre-ville.

"Bonjour, on va faire une petite palpation, pose tes affaires là", commence Yannick, qui emploiera ensuite le vouvoiement tout le long du contrôle qui dure plusieurs minutes ; Tony et Jean-Luc, eux, tutoient les jeunes contrôlés. Vérification des poches. "Pas de stupéfiants? Sûr?", interroge le commandant, qui s'étonne que l'un des contrôlés ait deux téléphones. "J'ai changé de SIM et j'ai gardé l'ancienne SIM", bafouille le jeune homme. Les policiers vérifient aussitôt que les téléphones ne sont pas volés, via leurs fichiers. Pas de vol signalé, mais l'un des amis n'a pas ses papiers en règle.

"T'as fait un dossier pour être ici en France?", lance Jean-Luc. "Là, il est en cours en fait", répond le jeune, inquiet. Mais selon les fichiers de la police, ce jeune homme aurait dû quitter le territoire en 2019. "Vous allez venir avec nous. Ramassez vos trucs. On vous met pas les pinces, on la joue tranquille", ordonne Yannick. Et le jeune homme est embarqué, au bord des larmes, direction la Police aux frontières. Son ami, en règle, est laissé libre sur le trottoir.

À la PAF, rédaction d'un procès-verbal. Les policiers expliquent que ce genre d'interpellation est devenu fréquent. Ils disent que le jeune homme va faire un recours avec son avocat, et ne sera peut-être pas renvoyé dans son pays. Puis, la BAC repart en patrouille, direction les Hauts de Rouen, quartier populaire où tout paraît tranquille ce jour-là. Mais ici, la situation peut aussi devenir explosive en l'espace d'un instant, confie François, dix ans de police, cinq ans de BAC, une brigade qui le passionne. "On n'a pas peur, on a nos lanceurs de balles de défense, si jamais on est attaqué, on a ce qu'il faut pour riposter et se défendre", explique-t-il en roulant, au pied de barres d'immeubles où des adolescents le défient du regard.

François s'est déjà retrouvé menacé dans des cités comme celle-ci. "Ça nous arrive régulièrement, quand on intensifie notre travail là où il y du trafic de stupéfiants, ça dérange, donc il peut y avoir des représailles, des guets-apens qui sont mis en place. Moi, ça m'est arrivé plusieurs fois".

La plupart du temps, ce sont des tirs de mortier. "Les mortiers, ce sont des feux d'artifice, mais au lieu de les lancer dans le ciel pour faire plaisir aux enfants, ils les lancent à l'horizontale sur nous pour essayer de nous blesser", dit François. Des situations qu'il sent venir, "ils préparent des feux de poubelles, on sent le guet-apens donc quand c'est comme ça, on s'équipe avant, on met nos casques, les boucliers, et on peut riposter".

Riposte toujours légitime, selon lui. Usage de la force toujours légitime, disent-ils tous à la BAC de Rouen, même si tous reconnaissent aussi qu'il faut parfois contenir une colère. La benjamine du groupe, qui préfère rester anonyme, confie qu'elle est parfois "la plus énervée sur les interventions, car il y a pas de respect en face quand on est une femme dans certains quartiers". Elle pense que sur les Hauts de Rouen, ou dans d'autres quartiers où grouillent les trafics, les délinquants "ne veulent pas qu'une femme ait le dessus sur eux, donc moi bien souvent je leur dis, tu veux pas me parler, mais je te parle et tu vas m'écouter".

Quand on lui demande son avis sur les violences policières, elle secoue la tête. Affirme qu'en dix ans de carrière, dont huit de police-secours de nuit, "j'ai jamais été confrontée à une violence policière où je me suis dit merde, on a fait une connerie, je pense qu'il faut relativiser les choses sur ça". Elle ne veut pas qu'on oublie qu'une grande partie de la population n'est "pas tendre" avec la police. Mais son métier, à la BAC de Rouen, la dope à l'adrénaline. Dans cette brigade anti-criminalité, elle se sent utile. "Je ne lâcherai ma place pour rien au monde", sourit-elle, en enfilant son gilet pare-balle, prête à foncer toutes sirènes hurlantes.

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