Au cours des affrontements qui se sont déclenchés après la mort du jeune Nahel, lors d’un contrôle de police où un policier a fait usage de son arme en lui tirant dans la tête, ce mardi 27 juin à Nanterre, un phénomène continue de prendre de l’ampleur : l’usage de feux d’artifice comme arme dirigée contre les policiers, communément appelés « tirs de mortier ». Des tirs de feux d’artifice, dont l’usage est détourné comme arme, prennent notamment les forces de l’ordre pour cible, au cours des émeutes qui durent depuis trois jours. De quoi s’agit-il exactement ? Comment et où les auteurs de ces tirs se procurent-ils leurs projectiles ?
Le « tir de mortier » c’est d’abord un abus de langage qui s’est répandu dans le langage médiatique, en même temps que le phénomène lui-même : littéralement, il s’agit de la « chandelle romaine », soit un tube (en carton, en plastique ou en métal) contenant un empilement de projectiles. Pourquoi le terme de « mortier » est-il resté ? Le terme a des connotations de guerre, de violence et d’armement ça marque plus les esprits.
Il ne s’agit pas pour autant de dénier la dangerosité des objets, que les juristes français appellent des « armes par destination » (qui peut se référer à n’importe quel objet en fonction de son usage, plus précisément de l’intention avec lequel il est utilisé -ce qui est pour le moins problématique, l’intentionnalité étant généralement jugé par le policier, le procureur et le juge-). En l’occurrence, nous parlons de « chandelles romaines » (le feu d’artifice) que certains professionnels de la pyrotechnie appellent « mortier d’artifice ». Voilà la brèche sémantique dans laquelle s’est engouffré le langage médiatique. Celui-ci n’a gardé que le terme « mortier », lui enlevant son substantif « artifice », le faisant ainsi entrer dans le champ guerrier, en lui retirant son caractère festif. D’un glissement l’autre, cette sémantique permet ensuite d’affirmer qu’une bonne partie des protestataires de notre pays n’a qu’une intention: tuer du flic.
Un mortier est en effet une pièce d’artillerie, dans laquelle on place un projectile pour l’envoyer vers l’ennemi. Mais on appelle aussi tir de mortier un tir réalisé avec un mortier d’artifice. Ces objets sont des tubes en carton conçus pour lancer des feux d’artifice. Les mortiers d’artifice les plus utilisés contiennent huit coups. On allume leur mèche, puis les coups partent l’un après l’autre.
Car l’outil est ce que l’on appelle une arme par destination. Soit un objet détourné de son usage à des fins d’agression. Il est à noter que comme tous les outils pyrotechniques, il présente également un danger potentiel pour son utilisateur, à cause notamment de son effet de recul, qui conduit parfois à lâcher la chandelle, laquelle continue alors de tirer ses projectiles hors de tout contrôle.
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N’étant d’ailleurs pas conçu pour atteindre une cible, sa trajectoire est assez imprévisible, ce qui augmente les risques de dommages collatéraux, comme un incendie après qu’un feu d’artifice s’est logé à travers une fenêtre ouverte par exemple. Les tirs de mortier peuvent blesser par le violent impact qu’ils produisent, mais aussi par leur explosion.
Si les tirs de chandelles romaines ou de mortiers d’artifices ne sont pas conçus pour être des armes létales, cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas constituer un danger. En outre, la police nationale nous précisait que «lorsqu’ils sont tirés de manière tendue et non en hauteur, le tir est très rapide et peut générer des blessures et brûlures très importantes». Il peut aussi y avoir des lésions auditives pour la cible, des incendies.
Les « tirs de mortier » ne sont pas un phénomène nouveau. Une explication peut être cherchée dans des circonstances en apparence anodine : les grands moments festifs nationaux comme le 14 juillet ou le 31 décembre donnent souvent lieu à un pic d’actes de vandalisme et de délinquance ; mais ce sont aussi des moments où circulent les produits à usage festifs, comme ces feux d’artifice. À tel point que certaines préfectures décident parfois d’en interdire provisoirement la vente.
Le feu d’artifice est donc devenu une arme répandue pour ceux qui visent la police, et pas que dans les situations d’émeutes. Il leur permet d’attaquer d’une plus longue distance, en prenant moins de risque qu’au corps à corps.
« En France, un professionnel avec un minimum de sérieux ne vendra pas ce matériel à un particulier », affirme le fournisseur bordelais, qui confie en recevoir davantage ces derniers jours. « Nous ne sommes pas dupes. Rien que l’usage du mot ‘‘mortier’’ trahit généralement les mauvaises intentions derrière ce genre de demande. La législation réserve d’ailleurs la vente de ce type d’objet aux professionnels titulaires d’une autorisation préfectorale, dès que le calibre dépasse 30 millimètres.
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« Nous devons remplir un registre, demander la carte d’identité, s’assurer que le client est majeur. De quoi en décourager plus d’un », poursuit le fournisseur. Mais les contrôles sont rendus difficiles par l’achat sur Internet, à l’étranger. « Ça vient généralement d’Allemagne ou de Pologne.
La réglementation des artifices de divertissement dont font partie les mortiers repose, depuis le 4 juillet 2017, sur un classement à 4 niveaux fondé sur la dangerosité, conformément à la directive européenne 2013/29 sur les articles pyrotechniques. Les mortiers à proprement parler relèvent de la catégorie F4 - la plus dangereuse - et sont déjà exclus de la vente à des non professionnels qui ne disposeraient pas d'un certificat et d'un agrément en vertu des articles 4 et 5 du décret du 31 mai 2010 relatif à l'acquisition, la détention et l'utilisation des artifices de divertissement.
Le tir de mortier en réunion, en tant que délit aggravé, est encadré par plusieurs textes législatifs qui définissent son statut juridique et les sanctions applicables. L’article 222-14-2 stipule que « Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. L’article 322-11-1 du même code vise spécifiquement la détention et l’utilisation d’artifices : « La détention ou le transport sans motif légitime d’artifices non détonants est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Le Code de la sécurité intérieure, quant à lui, réglemente l’acquisition, la détention et l’utilisation des artifices de divertissement. L’article R. 557-6-3 précise les catégories d’artifices et les conditions de leur vente.
En complément de ces textes fondamentaux, plusieurs circulaires ministérielles ont été émises pour renforcer la lutte contre ce phénomène. La qualification de délit aggravé permet aux tribunaux d’appliquer des peines plus sévères, allant jusqu’à plusieurs années d’emprisonnement et des amendes conséquentes. Le tir de mortier en réunion est considéré comme un délit aggravé en raison de plusieurs circonstances qui augmentent sa gravité aux yeux de la loi. La preuve de ces éléments est nécessaire pour établir la culpabilité des prévenus. Ces circonstances aggravantes peuvent conduire à une qualification pénale plus sévère et à des peines plus lourdes. La préméditation est souvent retenue lorsque les auteurs se sont équipés à l’avance de mortiers d’artifice dans l’intention de les utiliser lors d’affrontements.
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Les dommages corporels causés par les tirs de mortiers sont particulièrement pris en compte par les tribunaux.
Les sanctions pour tir de mortier en réunion en tant que délit aggravé sont multiples et peuvent être sévères, reflétant la volonté du législateur de réprimer fermement ces actes dangereux. L’application de ces sanctions varie selon les circonstances de l’infraction, le profil des auteurs et leur passé judiciaire.
La procédure judiciaire pour les cas de tir de mortier en réunion suit généralement le schéma classique du traitement des délits, avec quelques particularités liées à la nature de l’infraction. La procédure débute par l’enquête de police, souvent menée en flagrance compte tenu de la nature des faits. Les enquêteurs rassemblent les preuves matérielles, les témoignages et les éventuels enregistrements vidéo. Lors du procès, le tribunal examine les faits, entend les témoins et les prévenus. Le ministère public requiert une peine, et la défense présente ses arguments.
La loi pour la sécurité globale de 2021 a durci les sanctions à l'encontre des contrevenants. Acquérir ou utiliser des articles pyrotechniques « sans posséder les connaissances techniques particulières exigées par la réglementation » est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. Même sanction pénale pour les commerçants qui vendraient ce matériel à des personnes « ne possédant pas les connaissances techniques particulières ou ne répondant pas aux conditions d'âge exigées ». De plus, les vendeurs sont tenus d'enregistrer la transaction et l'identité de l'acquéreur.
Dans un premier temps, il serait judicieux de trouver un dispositif permettant de contrôler les marchandises de feux d'artifice présents sur tout le territoire et, dans un second temps il parait nécessaire de sanctionner pénalement de telles attaques.
Les ventes illicites constituent une contravention de 5ème classe (article R. 557-6-15 du code de l'environnement).
L'acquisition, la détention et l'utilisation illégales d'un artifice de divertissement conçu pour être lancé par un mortier (catégorie F4) sont réprimées par une contravention de 5ème classe en l'absence d'agrément préfectoral et de certificat (article 5 et 10 décret n° 2010-580). La peine de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction est également prévue.
Actuellement, le port et le transport sans motif légitime d'artifices non détonants (dont les mortiers d'artifice de catégorie F4 et les chandelles de catégorie F2 et F3) sont interdits (article L. 2353-10 du code de la défense) et réprimés de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. Par ailleurs, les policiers et les gendarmes étant considérés comme des personnes dépositaires de l'autorité publique, il est opportun de rappeler que les violences commises sur une personne dépositaire de l'autorité publique, même sans incapacité, sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende (article 222-13 du code pénal).
Enfin, les règles d'emploi de la force des gendarmes et policiers, notamment dans le cas de la légitime défense, prennent bien en compte ces mortiers d'artifice détournés de leur fonction première, dès lors qu'ils correspondent à la définition d'une arme prévue par l'article 132-75 du code pénal, soit « tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu'il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu'il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer ».
Afin de lutter contre le détournement de ces feux d'artifices et à la suite de l'attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne survenue le 10 octobre 2020, le ministère de l'Intérieur a annoncé des mesures répressives et préventives lors de l'examen de la proposition de loi sur la sécurité globale, notamment en ce qui concerne la vente par internet.
L'aggravation de la répression pourrait, par ailleurs, se traduire par la transformation des incriminations contraventionnelles du code de l'environnement en délits punis d'une peine d'emprisonnement, permettant ainsi le placement en garde à vue des mis en cause ainsi que des perquisitions de nature à conduire à la saisie éventuelle d'autres articles prohibés.
Pour l'heure, au plan opérationnel, les forces de l'ordre en lien avec les autorités préfectorales et judiciaires et avec l'appui d'équipes cynophiles spécialisées dans la détection des armes, poudres et munitions, mettent régulièrement en place des contrôles de personnes et de véhicules, notamment avant les périodes de festivités, afin de faire respecter la réglementation édictée par le code de l'environnement et les arrêtés préfectoraux qui peuvent, dans un espace-temps limité, interdire la vente et le transport d'articles pyrotechniques.
En outre, des vérifications sont souvent faites, en accord avec les bailleurs sociaux et syndics de copropriété, dans les parties communes et sur les toits de certains immeubles, qui peuvent servir de lieux de stockage des feux d'artifices. Enfin, la recherche du renseignement au travers de sources humaines et la veille sur internet sont des axes d'effort qui doivent être poursuivis.
Au plan pénal, lorsque des personnes sont blessées par des tirs de mortiers et que des biens publics sont dégradés, les enquêtes sont généralement diligentées, sous le contrôle du parquet, par des unités spécialisées en matière de police judiciaire.
Le phénomène des tirs de mortiers en réunion a un impact significatif sur la société française, tant en termes de sécurité publique que de cohésion sociale. Ces actes contribuent à créer un climat de tension dans certaines zones urbaines, alimentant un sentiment d’abandon chez les habitants et de défiance envers les institutions.
Les autorités locales et nationales travaillent également sur des approches plus globales, visant à traiter les racines socio-économiques du problème. La prévention passe aussi par une meilleure formation des forces de l’ordre à la gestion des conflits et à la désescalade des situations tendues. L’efficacité de ces mesures reste difficile à évaluer à court terme, mais elles s’inscrivent dans une stratégie à long terme visant à restaurer la paix sociale et à prévenir la récurrence de ces actes de violence.
Le cadre juridique entourant le délit de tir de mortier en réunion est en constante évolution, reflétant la préoccupation croissante des autorités face à ce phénomène. Une des principales orientations envisagées est le durcissement des sanctions. Une autre piste consiste à élargir la définition juridique du délit pour faciliter les poursuites.
Ces perspectives d’évolution ne font pas l’unanimité. Certains juristes et associations de défense des droits humains mettent en garde contre les risques d’une surenchère répressive quipourrait porter atteinte aux libertés fondamentales. Face à la dimension transnationale de certains phénomènes de violence urbaine, une réflexion émerge sur la possibilité d’une harmonisation des législations au niveau européen.
L’évolution du cadre juridique concernant le tir de mortier en réunion reflète la volonté des autorités de s’adapter à une forme de délinquance en constante mutation. Il est probable que dans les années à venir, de nouvelles dispositions législatives viennent encore préciser et renforcer l’arsenal juridique existant.
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