Pour les Algériens, si les associations servirent à la reconstruction du sentiment d’appartenance à une communauté, elles le firent selon des modalités d’émergence et d’évolution telles que définies par les nouveaux espaces de sociabilité produits par la logique coloniale. Parmi ces derniers, le sport joua sans conteste un rôle fondamental. Ce fait culturel moderne se proposait à la fois comme nouveau rapport au corps et nouvelle forme de rassemblement des individus au service d’une nouvelle « liturgie ».
Soumis au Code de l’indigénat, pensés comme « sujets » et « non citoyens », les Algériens ont eu beaucoup de mal à s’approprier les pratiques gymniques et sportives. Toutes ces restrictions, propres à tout système fondé sur la négation de l’autre, n’ont cependant pas empêché une « élite musulmane » d’accéder à la visibilité sociale. Et contrairement à ce qui est communément admis, les premières expériences associatives que connurent des musulmans, qu’elles soient sportives ou autres, firent leur apparition sur l’ensemble du territoire bien avant la Première Guerre mondiale.
Ce que nous allons essayer de démontrer en procédant à la reconstruction du processus de pénétration et de diffusion des activités physiques modernes au sein de la communauté musulmane de Constantine et à l’explicitation de ses significations. Pour cela, deux moments essentiels vont être identifiés.
Le premier, qui va de 1886 à 1908, sera marqué par ce que nous nommerons le temps de l’adhésion timide de quelques figures musulmanes aux premières sociétés gymniques ou sportives européennes. Quant au second, qui se situerait dans la période 1908-1918, il serait celui des premières expériences d’un associationnisme sportif musulman qui peuvent être lues comme autant de signes d’une société musulmane qui tente de s’organiser, en s’appropriant les nouvelles institutions de socialisation, dans un contexte colonial nécessairement hostile à toute forme d’émancipation de la communauté dominée.
La pénétration et la diffusion d’activités physiques modernes en Algérie a concerné en premier lieu la minorité, et ce quelles que soient les communautés considérées - européenne, israélite, musulmane - et indifféremment les établissements humains urbains ou ruraux - lieux de leur exercice. Il y a donc une réalité riche d’efforts, de tentatives, d’inventions : un foisonnement qui caractérise l’activité des principaux partenaires du milieu sportif [...] qui, en même temps contribuent à le structurer.
Lire aussi: L'histoire des Sociétés de Tir
Dans leur vie quotidienne, ils se construisent un univers social au cours d’un bricolage. D’où la nécessité d’identification des différentes étapes de la construction de cet univers social appelé sport. Cette identification est d’autant plus importante quand on sait que pendant longtemps le sport a constitué l’un des rares modes d’expression dans les pays où la liberté de pensée était limitée.
En situation coloniale, en Algérie et à la fin du xixe siècle, tous ceux qui arrivaient à « décrocher » une place « honorable » dans le nouvel ordre socio-économique et politique, pouvaient prétendre à faire partie des élites. Les villes, les centres de colonisation, quelle que soit leur importance démographique, ont fonctionné comme des lieux de formation d’une proto-petite bourgeoisie algérienne.
Cela pouvait aller du petit caporal qui a acquis un petit plus dans la « vie de caserne », au petit « notable » qui siégeait dans les nouvelles assemblées locales, en passant par les employés des postes, instituteurs, traducteurs, clercs, etc., - fruit d’une maigre scolarisation ou de bribes de culture occidentale « grappillées » le temps d’un passage dans les rares espaces où s’élaborait un ersatz de mixité sociale.
Les activités physiques modernes (APM), prétexte d’échange et de rencontre entre les membres de la communauté, constituèrent des occasions inédites de célébration d’une nouvelle forme de vie collective et d’expression de rapports sociaux immédiats.
L’histoire du sport en Algérie pose avant tout le problème de l’histoire de la redéfinition du corps et son déploiement dans les nouveaux temps et espace qui s’inventaient au même moment en Occident. Reste à dire quelques mots sur nos sources d’information.
Lire aussi: Découvrez la Société de Tir de Villeneuve-sur-Lot
Ce travail s’est construit essentiellement sur la base des sources disponibles au niveau des Archives de la wilaya de Constantine, avec une dominante pour l’exploitation systématique des publications de la presse coloniale de l’époque. Il est clair - et ceci doit être souligné avant d’aller plus loin - que l’adhésion des musulmans aux nouvelles pratiques physiques initiées çà et là par les premiers sportsmen européens du Constantinois, est loin de constituer un phénomène de masse.
Ces expériences individuelles, aussi rares soient-elles, ne nous intéressent que comme témoignages vivants des transformations sociales, politiques et culturelles en cours qui, progressivement, allaient bouleverser les anciens repères sur lesquels se construisaient les imaginaires algériens. Ce « peu d’enthousiasme » pour la chose sportive est le fruit d’obstacles qui restent difficiles à dépasser dans le contexte de l’époque et qu’il est possible de résumer comme suit :
Tous ces obstacles n’empêcheront pas quelques musulmans de tenter cette nouvelle aventure humaine qui se présente à eux. Comment en rendre compte ? Cette dernière différenciation est d’autant plus importante que nous avons relevé une relative « perméabilité » des sociétés gymniques ou sportives européennes à l’élément autochtone dans les petits centres coloniaux et là où domine l’institution militaire, animateur principal du processus de diffusion des nouvelles pratiques physiques et corporelles, du moins pour cette période.
Reste à dépasser la difficulté de la périodisation dans la mesure où ces activités n’apparaissent pas en même temps et que l’adhésion - encore faut-il s’assurer de la pertinence d’une telle verbalisation - est à apprécier et à évaluer selon que l’on se situait du côté du public autochtone - pour lequel toutes ces manifestations éveillaient une certaine curiosité -, des pratiquants - athlète ou entraîneur/moniteur - ou des dirigeants.
Mis à part les courses de chevaux, spectacle déjà fortement apprécié à Constantine à partir de la fin des années 1850, les premières formes de spectacles européens, fondées sur des démonstrations physiques qui puisent à la fois dans le fonds gymnique et celui du cirque, font leur apparition à Constantine en 1859 avec l’exhibition de la famille Braquet qui eut lieu dans la cour de la Casbah au milieu d’un public fortement impressionné par tant de maîtrise qui « frisait la sorcellerie ».
Lire aussi: Tir à Marly : L'Histoire
Parmi ses membres fondateurs, le moniteur général d’escrime, un certain Si Saïd - ou Saadi, les rédacteurs prenant beaucoup de liberté avec les patronymes musulmans -, est un ex-prévôt au 3e tirailleurs. Sa présence au sein de la société sera cependant de courte durée puisqu’en juillet de la même année, le comité de L’Espérance a cru bon de tenir une réunion pour procéder à la nomination d’un nouveau moniteur pour pallier au départ de Si Saïd.
Au-delà de l’anecdote, cet exemple dit bien la part de l’institution militaire dans l’expérimentation de nouvelles pratiques physiques propres à la gymnastique, et qui faisaient partie du cursus de formation militaire, surtout après l’humiliation de 1870 face à la Prusse.
L’ouverture des militaires à la participation de l’élément autochtone fiable au développement de la gymnastique et de la préparation militaire en Algérie se confirme dans les lieux où ils détiennent l’essentiel du pouvoir. C’est le cas de la Société de gymnastique et de tir de Jemmapes dont le président fondateur Colombani - ancien lieutenant pendant la guerre de 1870 - n’hésita pas, en mars 1898, à confier le poste de secrétaire à un musulman - Amar.
Vers la fin du xixe siècle, Constantine connaît une relative croissance démographique liée en grande partie à la famine et à la misère, grandes pourvoyeuses de l’« armée roulante ». Si en 1886 on recensait 21 164 musulmans pour un total de 42 026 habitants, cette proportion passait à 23 962 pour une population de 46 581 en 1891.
En même temps, le climat politique dans la ville était marqué par l’antisémitisme, c’est l’époque de l’affaire Dreyfus. Les élus musulmans, partagés par rapport à cette question, commençaient à « prendre conscience » des divisions politiques qui traversaient la société coloniale. Au moment des élections, il leur était demandé de faire des choix. Ce fut le cas lors des municipales du 6 mai 1900 où le Dr Morsly qui conduisait une liste proche du journal L’Indépendant et des Juifs, a été battu par Mustapha Bensouiki, à la tête lui d’une liste proche du Républicain et des « antijuifs », conduite par Morinaud.
Sur les 23 000 musulmans que comptait la ville, seuls 586 étaient électeurs. Sur 415 votants, 160 se sont exprimés pour le Dr Morsly et 200 pour la liste opposée. Sur quelles bases se sont faites les adhésions des élites musulmanes citadines aux différents discours politiques mis sur le « marché électoral » ? Il est difficile de le savoir.
C’est dans ce contexte que quelques frémissements se firent sentir, signes des premiers éveils aux bouleversements propres à la vie urbaine rythmée par le temps européen. Le Dr Morsly, dans un souci de distinction, adhéra au cercle d’escrime L’épée, une société sportive - presque modèle - fermée et hautement élitiste.
Ces années 1900 furent aussi celles de la multiplication des spectacles à caractère sportif, dans lesquels les musulmans étaient partie prenante, soit en marquant fortement leur présence dans le public qui assistait à une course cycliste, soit en étant acteur de l’événement sportif comme Lakhdar, ce coureur cycliste qui représenta la ville de Bougie (Bejaïa) à côté de Banco et de Dubar pour l’épreuve Constantine-Sétif de septembre 1903.
Pour la première fois dans l’histoire sportive récente de la ville, allait se dérouler le cinquième concours fédéral des sociétés de gymnastique de l’Algérie et de la Tunisie, les 19, 20 et 21 octobre 1906. Organisé par La Constantinoise, première société de gymnastique de Constantine, l’événement devait rassembler tout ce que l’Algérie comptait d’adeptes de la gymnastique. Trente sociétés étaient attendues. Parmi elles, une l’était particulièrement par les sportsmen musulmans de la ville et de sa région.
Pour ce qui est du concours lui-même, Omar fut programmé le samedi 20 octobre à la barre fixe - 1er et 4e degrés - pour les épreuves de la matinée, et aux pyramides - avec ou sans engins - l’après-midi. Nul doute que les représentants de la communauté musulmane lui firent un accueil digne de sa réputation. Malheureusement les comptes rendus de presse autour de ce grand événement gymnique ont passé sous silence cette dimension ou, du moins, n’y ont pas fait allusion.
Cette présence du gymnaste à Constantine était d’autant plus significative qu’elle se situait à un moment où le climat entre les communautés était loin d’être paisible. À telle enseigne qu’un jeune journaliste, Gaston de Vulpillières, a résolu de créer un nouvel organe d’« union et de solidarité entre les races » : Le Croissant. Cette période était également celle où l’on relevait un relatif accroissement de la population scolaire musulmane.
Si en 1882 le nombre d’élèves musulmans était de 3 172, en 1905 il est de 29 589 dont 2 307 filles et 27 282 garçons. Quant aux instituteurs ou moniteurs musulmans, leur nombre s’élevait à 183. Y a-t-il un rapport entre ces données et le début de visibilité des premiers sportifs musulmans? Il est difficile d’avoir des certitudes sur un tel rapport.
Si l’école et l’armée ont depuis toujours constitué, du moins en Algérie, le creuset de diffusion des nouvelles pratiques physiques - dominées par la gymnastique, le tir, l’escrime et la préparation militaire, reconduisant ainsi en territoire colonisé le modèle dominant en métropole -, les sociétés sportives n’étaient pas en reste. Ainsi, à peine fondé - fin décembre 1906 -, le Stade constantinois faisait courir le Tour de Constantine à pieds.
Au cours de cette épreuve un jeune débutant se fit remarquer : Saïd Ferrouhi (Ferroukhi) « qui fera merveille avec un peu d’entraînement ». Au challenge de Batna des 19 et 20 mai 1907, en commémoration de la fête de la Pentecôte, le champion du « marathon algérois », Messali Rabah, se fait connaître du public musulman présent au spectacle. D’après L’Indépendant du 23 mai 1907, « il [était] imbattable sur la distance ».
Afin de se donner toutes ses chances, et parce que la fédération algérienne de tir lui a octroyé des moyens financiers, la délégation algérienne poursuivra sa préparation olympique à plein régime. Après Pau, elle s’envolera pour un stage au Danemark. Elle se rendra en Allemagne et même au Brésil pour participer aux championnats du monde (pistolet et carabine à 10m). Et pourrait revenir trois ou quatre fois à Lons d’ici juillet, si le stage en Béarn de cette semaine s’avère concluant.
L’Algérie présentera 3 tireurs lors des Jeux de Paris 2024. Il n’y en avait eu qu’un à Londres en 2012, idem en 2016 à Rio et à Tokyo 2020. « Trois tireurs, c’est un record. En Algérie, le tir sportif n’est pas très répandu, faute d’infrastructures - nous avons deux grands centres de tir - et parce que faire venir et détenir une arme, même pour le sport, est compliqué en Algérie », explique le chef de la délégation algérienne Abdelkrim Boulanour.
Organisation | Description |
---|---|
AAI | Amicale des anciens internationaux algériens de football |
ANAD | Agence nationale anti-dopage |
CATS | Confédération africaine de tir sportif |
FATS | Fédération algérienne de tir sportif |
tags: #société #algérienne #de #tir #sportif