Plogoff, février 1980. Toute une population refuse l’installation d’une centrale nucléaire à deux pas de la Pointe du Raz, en Bretagne. Six semaines de luttes quotidiennes menées par les femmes, les enfants, les pêcheurs, les paysans de cette terre finistérienne, désireux de conserver leur âme. C'était la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Comment un village breton, au bout du bout du continent européen, a résisté - des années durant - malgré la pression de l'État à l'implantation d'une centrale nucléaire.
Quarante ans plus tard, le témoignage de cette lutte antinucléaire, que raconte le documentaire de Nicole Le Garrec, résonne toujours. Le film, qui sort mercredi 12 février sur les écrans en France, est déjà en salles en Bretagne depuis une semaine. C'est que Plogoff fait écho pour tous les Bretons comme étant le symbole d'une résistance à l'arbitraire de l'État français. Mais le film a une portée qui dépasse largement les frontières de ce bout du monde ce qui explique sa restauration et sa sélection au Festival de Cannes en 2019 dans la section Cannes Classics, réservée aux films du patrimoine.
La France a tôt fait le choix du nucléaire civil comme source d'énergie, mais, au début des années 1970, avec le premier choc pétrolier, le programme s'intensifie. En 1974, alors que sort Gardarem lo Larzac - film sinon jumeau du moins en étroit dialogue avec celui de Nicole Le Garrec -, la petite commune finistérienne de Plogoff est choisie comme site possible d’implantation d’une centrale atomique, dans le cadre de l’accélération du programme nucléaire français suite à la crise pétrolière de 1973.
Le site de Plogoff à deux brasses de la pointe du Raz a été retenu par EDF pour y implanter une centrale nucléaire. La population a déjà dit « non » à cette implantation, aussi décide-t-elle de boycotter l'enquête d'utilité publique organisée par la préfecture. Dès décembre, des comités d’information nucléaire voient le jour. La lutte anti-nucléaire grandit au cours des années suivantes et culmine entre janvier et mars 1980, pendant la durée de l’enquête d’utilité publique. Le projet sera abandonné définitivement avec l’élection de François Mitterrand, et cette victoire célébrée lors d’une mémorable fête organisée à la baie des Trépassés.
Pendant six semaines, de fin janvier à mars 1980, les habitants de Plogoff, soutenus par les villages voisins vont organiser la résistance, affrontant les gardes mobiles puis les militaires envoyés par l'État. C'est ce combat que filment Nicole et Félix Le Garrec. Ils sont d'abord venus en voisins, soutenir la cause, et très vite se rendent compte qu'il y a là matière à une histoire. La caméra de Félix Le Garrec filme les joutes d'abord verbales puis plus physiques entre gardes mobiles et habitants.
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Les femmes sont souvent au premier rang. "Plogoff, des pierres contre des fusils": les femmes sont à la pointe du combat contre la centrale nucléaire, février 1980. Les gardes mobiles étaient préparés à affronter des jeunes (mai 68 n'est pas loin) ou des ouvriers, mais pas des femmes, nous explique Nicole Le Garrec. Pourquoi une telle présence ? « Sans doute, parce que je suis aussi une femme, sourit Nicole Le Garrec, mais aussi parce que ces femmes de marins, ce sont elles qui gèrent la maisonnée. Elles ont l'habitude de prendre des décisions et savent garder la tête froide ».
« Un film, ce n'est pas un tract », pour reprendre l'expression de Nicole Le Garrec. Même si le documentaire épouse la cause des habitants du Cap Sizun et participe à l'action (René Vautier dont les Le Garrec sont proches parle de cinéma « d'intervention sociale »), il y a beaucoup de chair, d'humanité dans le récit (peu de commentaires off) grâce à une galerie de personnages, de tous âges, qui témoignent à la fois avec beaucoup de pudeur et de dignité. Ce sont là des gens économes de paroles et qui livrent peu leurs émotions. Mais la détermination se lit dans les mots et sur les visages. « Jusqu'à la mort s'il le faut ! »... Il y a de la colère aussi.
La bande-son, particulièrement forte, et le montage de Claire Denis qui alterne images fixes (imposées par les difficultés du tournage - courses poursuites dans la lande, scènes de nuit, lourdeur de la caméra, films de 16 mm) et animées, couleur et noir et blanc, racontent cette tension.
Lors de sa première projection au festival de cinéma de Douarnenez, le film fit salle comble. Pour faire entrer les spectateurs malheureux restés à la porte, l’équipe du festival décida d’organiser une deuxième projection, puis une troisième, commencée alors qu’il était plus de quatre heures du matin. Le succès du film, loin de se limiter à la région du Cap Sizun ou même à la Bretagne, s’étendit à la France entière : 80 000 entrées furent enregistrées le mois de sa sortie, en novembre 1980, à la grande surprise des professionnels du secteur.
Six semaines d'occupation par les forces de l'ordre, des arrestations, des procès, des rassemblements de soutien dans toute la région (le badge Nukleel nann trugarez était alors de rigueur) et une cause commune avec d'autres lieux et époques de contestation comme le Larzac, dans le centre de la France, alors en lutte aussi contre l'extension d'un camp militaire sur le causse. Ceux du Larzac, avec leur accent chantant, viennent soutenir les Finistériens et des cars partent du Cap en direction du plateau. Lorsque le film, qui se termine sur ces mots « À suivre... », sort en salles en novembre 1980, la menace est toujours là.
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Un film qui a beaucoup circulé en salles et dans les circuits associatifs. Ainsi dans la vallée du Rhône où sont implantés nombre de sites nucléaires. Comment avez-vous pu laisser faire ça, s'étonnaient les femmes de Plogoff ? À Bure aussi, dans la Meuse, où est projeté un site d'enfouissement de déchets radioactifs. Et bien sûr, encore en Bretagne, à Notre-Dame des Landes, où le débat s'est terminé à 4h du matin, se souvient Nicole Le Garrec ! Il y a eu d'autres occasions comme les fermetures de services publics dans les campagnes : tribunaux, écoles, hôpitaux...
En 1981, François Mitterrand, élu président, décide l'abandon du projet de construction de la centrale de Plogoff et de la construction du camp du Larzac. Mais le documentaire poursuit sa carrière sur tous les terrains de lutte, nourrit les débats sur les questions posées par le nucléaire.
Le film - jamais diffusé à la télévision - raconte une séquence peu documentée par les médias de l'époque, notamment les médias d'État, ou alors de façon négative, moquant « ces Bretons qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez », raconte Nicole Le Garrec, en écho au nez que forme la Bretagne, ou encore ces arriérés qui ont peur comme les Gaulois que le ciel (du nucléaire) leur tombe sur la tête... Or il a eu un très fort écho dans la population, parce que les gens se retrouvent dans le film, expliquent ses auteurs qui étaient installés chez l'habitant et avaient hypothéqué leur maison pour financer leur documentaire.
Le couple Le Garrec continue à accompagner le film en copie neuve et lors de l'avant-première à Paris, il y a quelques jours. Dans la salle, de jeunes militants antinucléaires sont intervenus lors du débat. Comme quoi le film et le combat qu'il porte, même si quarante ans ont passé, n'a rien perdu de sa fraîcheur et de son actualité.
« Le film nous booste !», nous confie Nicole Le Garrec. Tous deux ont repris leur bâton de pèlerin pour la deuxième naissance de leur film-colonne vertébrale, à bientôt 78 ans pour Nicole et 90 ans pour Félix. Un film qui les porte et qu'eux portent aussi. « Ce film a changé notre vie », explique encore Nicole. Changé en raison de la force du film, de son succès, de son actualité. Les luttes sociales, c'est toujours dans l'air du temps, sourit-elle.
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Elle, elle écrit, lui il capture l'image. « Les gens ont besoin qu'on raconte leur histoire », voilà leur moteur. Alors ils racontent et partout, des paysans de Centre-Bretagne aux marins-pêcheurs, multiplient les voyages et les collaborations, l'Argentine, l'Algérie, l'autre côté du rideau de fer, l'Afrique...
Le cinéma, c'est aussi des histoires d'amitié et de passion partagées ainsi avec René Vautier rencontré en 1969, et dont la fille Moïra est la productrice du film rénové. Avec lui, ils créent l'Unité production cinéma Bretagne qui produira entre autres le film Avoir 20 Ans dans les Aurès sur les appelés de la guerre d'Algérie. Nicole y est scripte et Félix, photographe.
Puis ce sera L’ARC (Atelier régional cinématographique Bretagne), créé par Jack Lang et dont Félix Le Garrec prend la direction à Quimper. ► Le 20 novembre 2020 sort le coffret livre-DVD (x 5 films) du film Plogoff, des pierres contre de fusils de Nicole Le Garrec.
Il s’y ajoute un livret, Plogoff par Nicole Le Garrec, réunissant 120 pages de textes et photographies qui retracent l’histoire du film - de son tournage à sa réédition en passant par son montage - et celle de la lutte plogoffiste contre ce que l’on nommerait aujourd’hui un grand projet inutile et imposé. L’ensemble du coffret restitue la carrière du couple Le Garrec, sa pratique cinématographique et photographique, son ancrage têtu dans le village de Plonéour-Lanvern, au cœur du pays bigouden, son engagement dans le mouvement breton et ses liens complices avec le réalisateur René Vautier.
L’enquête d’utilité publique ouvre le 31 janvier. La veille, les dossiers de l’enquête d’utilité publique, aussitôt réceptionnés en mairie, sont brûlés en présence du maire et de ses administrés. Les autorités préfectorales sont contraintes de louer des camionnettes qui font office de « mairies annexes » censées recueillir l’avis de la population.
La « messe de 5 h » : tous les soirs pendant l’enquête publique, le départ des gendarmes mobiles et des mairies annexes de Plogoff donne lieu à des échanges de cailloux et de grenades lacrymogènes.
Aujourd’hui, à l’entrée de la commune, au lieu-dit du Trogor, la statue de granit d’un manifestant avec son lance-pierre, signée du sculpteur plogoffiste Robert Vaillant, témoigne de cette histoire. « C’est ce que j’appelle le syndrome mémoriel. Tout le monde l’a en tête mais personne n’en parle. Beaucoup sont morts. L’horloge du temps faisant son œuvre, les souvenirs s’estompent, affirme le maire de Plogoff (depuis 2008), qui nous reçoit dans son bureau, ce mardi 28 janvier. Personne n’a rien à ajouter, tant l’impression est forte d’avoir fait le boulot au moment où il fallait le faire.
Chaque magazine ou journal ayant son propre système de notation, toutes les notes attribuées sont remises au barême de AlloCiné, de 1 à 5 étoiles.
Plogoff, ses pierres et ses fusils c'est un voyage dans le temps. Le temps où les gens savaient se solidariser lorsqu'une intrusion dangereuse menaçait la cohésion du groupe. Des images brutes, des témoignages comme il nous en manque cruellement de nos jours. Il ne fut certainement pas aisé de monter le film vu la quantité d'images à gérer. Mais pourtant, au final, il y a un témoignage rare et... enthousiasmant. Il fallait une ... Film majeur sur la lutte des habitants de Plogoff contre le projet de centrale nucléaire.
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