Dans son film « Nous serons toujours là ! Plogoff 1980 », le réalisateur Nicolas Guillou met en scène la vive contestation contre un projet de centrale nucléaire sur la pointe du Raz, à la fin des années 1970.
Le film « Plogoff, des pierres contre des fusils », réalisé par Nicole Le Garrec en 1980, ressort en salles de cinéma dans sa version restaurée. Cette version restaurée a été sélectionnée à Cannes Classics.
Au début des années 70, la France oriente sa politique énergétique vers le nucléaire. En 1974, en pleine crise pétrolière, la décision est prise d'implanter une centrale nucléaire en Bretagne, région qui ne produit quasiment rien de l'électricité qu'elle consomme. Plogoff, situé à l'extrême ouest du Finistère, près de la Pointe du Raz, est définitivement choisi en septembre 1978.
Rappelez-vous Plogoff. C'était en février 1980. Toute une population refusait l'installation d'une centrale nucléaire à quelques encablures de la Pointe du Raz, face à l'île de Sein, dans cette baie d'Audierne ouverte sur l'Atlantique.
Le documentaire est tourné pendant l’enquête d’utilité publique concernant la future centrale nucléaire, du 31 janvier au 14 mars 1980, soit 6 semaines, dans la commune de Plogoff, 2 300 habitants à l'époque (1 230 h en 2016).
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Six semaines de luttes quotidiennes menées par les femmes, les enfants, les pêcheurs et les paysans de cette terre finistérienne, désireux de conserver leur âme. La veille, les documents d'enquête parvenus à la mairie sont brûlés par les élus. Dès la nuit du 31, les barricades s'organisent. Les jours se succèdent dans un climat de grande violence.
Le conseil municipal, dont le maire (P.S.) est Jean-Marie Kerloc’h, ancien marin de l’Etat, est contre, refuse d’accueillir l’enquête et en détruit les documents le 31 janvier qui est aussi une journée ville morte. En raison de l'opposition de la municipalité au projet, l'enquête d'utilité publique ne peut être tenue à la mairie.
Le film montre la cohésion de gaulois réfractaires qui composent une société avec ses propres méthodes d’actions. Si les plogoffistes « ne sortent jamais de leur trou » et peuplent « la dernière commune à la pointe du vieux monde » selon une jeune fille du village, la caméra dévoile pourtant une communauté à part entière, par le truchement de photos d’un mariage, ou encore avec la rencontre entre des villageois et des habitants du plateau du Larzac.
Chaque soir, toute la population se retrouve pour le départ des camionnettes. La "messe de 17h" donne lieu à de violents affrontements entre la population et les gardes mobiles.
Les interpellations se succèdent, jusqu'à ce procès où tout le conseil municipal de Plogoff se présente au tribunal, fronde au cou, par solidarité avec les prévenus. A partir de mars, les barricades nocturnes se durcissent. Chaque nuit, des troncs d'arbres sont placés en travers des routes pour entraver l'entrée des gardes mobiles dans Plogoff.
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La beauté du film réside ainsi dans cette idée que Plogoff n’est pas seulement un territoire de bord de mer à défendre : elle est une localité organisée comme un bien collectif, soit l’incarnation du principe de Commune.
Les images sont saisissantes : un tranquille village noyé sous les fumées, zébré de scènes de guérilla urbaine opposant des escouades en uniformes et en armes à des gens ordinaires, papis et mamies, jeunes, ouvriers, pêcheurs, paysans… Le conflit était d’une simplicité biblique : les habitants de la région refusaient qu’on y installe une centrale nucléaire.
Dans le film, on voit les femmes du village aller harceler, chaque jour et méthodiquement, les gardes mobiles et parachutistes déployés pour garder la risible camionnette abritant la commission d'une enquête publique à laquelle le village refuse de répondre. On les entend encourager les jeunes à lancer des pierres sur la police, et on les voit reprendre leurs lance-pierres, portés en colliers lors d'un rassemblement, comme symbole du combat en cours contre Goliath.
Venus en voisins, Nicole et Félix Le Garrec, ont tout de suite la conviction d'assister à des événements exceptionnels. Ils hypothèquent leur maison, décrochent un prêt et s'installent avec leur caméra à Plogoff, chez l'habitant, pendant toute la durée des événements.
Les luttes, ils connaissent, puisque Félix, photographe de son état à Plonéour-Lanvern, était à l’image dans le magnifique film de René Vautier, « Avoir 20 ans dans les Aurès » (1972), sur lequel Nicole était script. Une expérience qui scelle une solide amitié entre les trois cinéastes, fondateurs de l’UPCB, l’Unité de Production de Cinéma en Bretagne.
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Habitués à documenter les événements marquants de leur terre bretonne (les premières écoles Diwann en 1977, le naufrage de l’Amoco Cadiz et la marée noire qui s’en est suivie en 1978...), Nicole, à la réalisation, et Félix, à l’image, accompagnés de Jakez Bernard au son, recueillent ainsi, tantôt du côté des forces de l’ordre, plus souvent du côté des manifestants, parfois encore depuis un point de vue tiers, plus éloigné, les images des heurts qui ne tardèrent pas à se produire entre des CRS, puis des parachutistes, de plus en plus armés, et des habitants, de tous âges et de tous sexes, eux aussi de plus en plus équipés, mais d’armes artisanales, telles les frondes, parfois brandies comme des crucifix par les Bretonnes en colère, lançant leurs anathèmes, pendant que les hommes, davantage dans l’action immédiate, propulsent des pierres.
Avant les heurts physiques, les interpellations, puis les manifestations à Pont Croix pour tenter d’obtenir la libération des « camarades », la parole a la part belle, celle confiée par les femmes ou les hommes, dans l’intimité sombre des maisons ou sur les chemins venteux ; celle par laquelle les femmes, également mères ou grands-mères, tentent de fléchir les forces de l’ordre, amenant souvent les jeunes gardes mobiles à « craquer », ce qui nécessite alors leur relève et suscite la fierté des harangueuses.
Ce faisant, aucun vain effet rajouté d’indignation ou d’héroïsme n’anime les images, parce qu’il n’anime pas ceux qu’elles représentent. Le film comme les habitants ne défendent rien d’autre que la réalité tangible qu’ils ont chaque jour sous les yeux : les habitants contre sa destruction atomique, le film contre sa falsification étatique et médiatique, même combat.
Les conclusions de cette enquête sont rendues publiques en novembre 1980 : Plogoff aura sa centrale. Le 10 mai 1981, François Mitterrand, qui s'était prononcé contre le projet de centrale à Plogoff, est élu président de la république. Plogoff a gagné.
Finalement, le projet de construction de la centrale nucléaire est abrogé (ainsi que l’extension du camp du Larzac) par François Mitterrand, fraichement élu, le 3 juin 1981.
Le dernier plan du film montre une digue face aux vagues de la mer, sur laquelle est écrit « Non au nucléaire ». Les côtes bretonnes auront réussi à faire front à ceux qui voulaient les empoisonner.
Revoir aujourd’hui le documentaire de Nicole Le Garrec, c’est à la fois réaliser la distance qui nous sépare de ces années 1980, et leur indéfectible actualité : à Plogoff, sur la pointe du Raz, la population locale, opposée à l’installation d’une centrale nucléaire, confronte ses pierres aux fusils des CRS.
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