Symboles de luxe et de magnificence, les miroirs connaissent aux XVIIe et XVIIIe siècles un développement majeur dans les sociétés de cour en Europe. Véritables décors dans les pièces de réception et dans les pièces privées, ils s’inscrivent durablement dans l’histoire des résidences royales et princières.
Cabinets et galeries de miroirs, trumeaux de glace et cheminées à la royale s’imposent comme des formules à suivre en Europe à partir de la fin du XVIIe siècle. À cet égard, la Grande Galerie du château de Versailles, avec ses 357 panneaux de miroirs répartis dans les dix-sept arcades faisant face aux fenêtres, apparaît comme un exemple emblématique de ce type de décor architectural.
En s’appuyant sur l’édition critique des récits de voyages du projet ARCHITRAVE, cet article analyse la perception et la réception, par les voyageurs allemands, du décor de miroirs de la Grande Galerie de Versailles et, plus largement, de cette mode décorative dans les intérieurs français au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles.
Louis XIV’s gallery was an iconic example of this type of architectural decoration in Europe, but did it evoke unanimous delight among contemporary foreign travellers and did it serve as a model? Si la galerie de Louis XIV représente un exemple emblématique de ce type de décor architectural en Europe, a-t-elle suscité, chez les voyageurs étrangers contemporains, un enchantement unanime et a-t-elle été un véritable modèle ?
Il faut d’abord rappeler que la galerie des Glaces ne constitue pas le point de départ de cette mode décorative en Europe, ni même d’ailleurs en France. Plusieurs édifices français ou italiens témoignaient déjà, depuis le dernier tiers du XVIe siècle, de l’intégration des miroirs dans les intérieurs. Et dès les années 1660, bien en amont du chantier de la Grande Galerie, les maisons royales ont constitué de véritables terrains d’expérimentation.
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Citons seulement la chambre des miroirs et la grotte de Téthys dans le premier Versailles de Louis XIV ou bien encore le décor du Petit Appartement du Roi au Château Vieux de Saint-Germain-en-Laye. Les miroirs sont présents dans les intérieurs de Louis XIV dès le début de son règne personnel et, dans cette histoire, Charles Le Brun, alors à la tête des chantiers royaux, joua un rôle important avant l’arrivée de Jules Hardouin-Mansart.
Première commande d’envergure de la Manufacture royale des glaces, créée en 1665 par Colbert, les miroirs installés dans la Grande Galerie furent assemblés à l’aide de parcloses en bronze doré selon un dispositif qui était déjà employé depuis plusieurs années. Le système décoratif utilisé n’était donc pas nouveau. En revanche, le nombre de panneaux employés était inédit.
Ce premier constat est important pour comprendre et éclairer la réception de la Grande Galerie par les contemporains, en particulier les visiteurs étrangers qui découvrent ce décor de miroirs parallèlement à ceux d’autres édifices royaux ou privés lors de leur voyage en France ou dans d’autres pays voisins.
Comment est perçu le décor de miroirs de la Grande Galerie par les voyageurs allemands au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles ? Quel regard portent-ils plus généralement sur cette mode des miroirs dans les intérieurs ? Enfin, quels liens peut-on établir entre les décors français et les Spiegelkabinette et les Spiegelgalerien conçues dans les cours de l’Empire au XVIIIe siècle ?
L’édition critique de six récits de voyage rédigés par des architectes et diplomates des pays germaniques, réalisée dans le cadre du projet ARCHITRAVE, offre des sources inédites et particulièrement riches pour répondre à ces questions. Tous ces voyageurs donnent en effet une place aux miroirs dans leurs écrits.
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Ces récits de voyage sont d’autant plus intéressants et éclairants qu’ils s’échelonnent entre les années 1680 et 1720, une période particulièrement importante pour l’histoire des miroirs dans les intérieurs. En effet, outre le chantier de la Grande Galerie (1678-1684), cette époque est marquée par le développement de nombreux autres décors de miroirs, notamment dans les appartements du château de Versailles, à Trianon ou à Marly, mais aussi à Paris dans les demeures privées.
Pour comprendre la façon dont le décor de miroirs de la Grande Galerie de Louis XIV est perçu par les voyageurs étrangers au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, il faut tout d’abord considérer la question de la terminologie et de la typologie. Ainsi, contrairement à l’expression « cabinet de glaces » qui se rattache à une typologie architecturale reconnue dès le XVIIe siècle, l’expression « galerie des glaces » n’a pas été concomitante à la création des galeries concernées par ce type de décor, mais a plutôt été employée puis généralisée a posteriori. Rappelons seulement que la Grande Galerie du château de Versailles ne prit la dénomination de galerie des Glaces qu’à partir du début du XIXe siècle. Ainsi, même si de nombreuses galeries sont décorées de miroirs aux XVIIe et XVIIIe siècles, on ne parle pas encore pour autant de « galerie de glaces ».
Toutefois, la place occupée par les glaces dans les galeries n’est pas complètement occultée. Ainsi sont-elles généralement mentionnées quand il s’agit de définir les galeries princières que l’on nomme couramment « magnifiques », c’est-à-dire les galeries d’apparat : « Galerie magnifique, celle qui est décorée d’Architecture, de Peinture, de Sculpture, de lambris de marbre, de Glaces et de meubles précieux, comme la Grande Galerie du Roi à Versailles, peinte par M. Le Brun. »
Le séjour parisien de l’architecte allemand Christoph Pitzler, entre 1685 et 1687, lui donne l’occasion de se rendre à plusieurs reprises à Versailles. Son témoignage est particulièrement précieux. Tout d’abord car il s’agit d’un des plus anciens témoignages d’un voyageur allemand sur l’architecture française du règne de Louis XIV. Ensuite car son séjour a lieu juste après l’achèvement du chantier de la Grande Galerie.
Son commentaire sur les glaces en particulier souligne son enthousiasme et son adhésion à l’égard de la solution retenue par Jules Hardouin-Mansart qui permet de créer une symétrie et un décor illusionniste ; cette idée de fenêtres feintes étant étroitement liée à la forme cintrée des arcades qui reprend celle des croisées. À l’instar de Pitzler, le comte Ferdinand Bonaventure de Harrach apprécie la Grande Galerie de Louis XIV.
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Pour Lambert Friedrich Corfey, qui se rend à plusieurs reprises à Versailles au printemps 1699, le décor de glaces est davantage observé et commenté par rapport à la situation privilégiée de la galerie orientée face au jardin : « Cette galerie d’un côté donne sur le jardin et de l’autre est revêtue de panneaux de glace au vis-à-vis des fenêtres de sorte à produire une vue admirable. »
À la différence des autres voyageurs, Christian Friedrich von dem Knesebeck fournit une description plus longue et détaillée de la Grande Galerie dont il note d’emblée qu’elle est « ce qu’on peut voir de mieux et de plus magnifique dans tout Versailles ». La dimension illusionniste de ce décor ne séduit pas le voyageur qui propose un projet détaillé pour l’amélioration de la Grande Galerie, comprenant notamment l’abandon du décor de glaces et la présence de cours intérieures à l’arrière de la galerie afin de pouvoir doter celle-ci de vraies fenêtres sur les deux côtés.
Contrairement aux autres voyageurs, Sturm s’intéresse davantage au décor peint de la Grande Galerie dont il reconnaît la portée politique du programme iconographique, en dénonçant en même temps le caractère provocateur et la flatterie dont témoignent les peintures envers la figure du roi. Concernant la structure architecturale, en particulier la présence des arcatures de glaces, le théoricien ne manque pas à son tour de souligner la symétrie du dispositif.
À travers ces différentes descriptions de la Grande Galerie de Versailles, c’est plus généralement l’idée que se font les voyageurs allemands d’une galerie d’apparat dans l’architecture curiale qui transparaît. En effet, si la galerie est un espace polyvalent au cœur du cérémonial de cour, on observe que les voyageurs allemands semblent différemment attentifs à l’un ou l’autre de ces usages.
Ainsi, pour Christoph Pitzler, Ferdinand Bonaventure de Harrach ou Lambert Friedrich Corfey, le décor de miroirs est apprécié car il permet à la galerie d’être véritablement un lieu de promenade propice au divertissement et à l’évasion par les vues qu’il permet. De plus, ce décor met particulièrement en valeur les objets précieux disposés sur les tables placées devant les glaces.
Au contraire, chez Knesebeck, le décor mural de la Grande Galerie ne laisse pas assez de place à la peinture et à la sculpture. Il regrette ainsi le peu de niches pour l’exposition de statues et critique l’absence de tableaux sur les murs entre les fenêtres ou encore la taille des salons qui jouxtent la galerie. Il revendique davantage la fonction de présentation d’œuvres d’art que devrait revêtir, de son point de vue, la Grande Galerie du roi. La solution consistant à utiliser des miroirs pour créer des ouvertures fictives à des fins illusionnistes n’est guère appréciée de Knesebeck qui, comme on l’a vu, abandonne le décor de glaces dans son projet d’amélioration de la Grande Galerie.
Très détaillé, son projet est particulièrement révélateur de l’importance, pour le voyageur allemand, du dialogue entre les arts et de la place des collections dans la conception d’une galerie d’apparat.
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