L’Histoire appelant l’Histoire, nous vous proposons « The Ballot or the Bullet » (« le bulletin de vote ou la balle », en français), un discours public prononcé le 3 avril 1964 à l’Église méthodiste de Cory à Cleveland, par Malcolm X. Des mots puissants qui sont un véritable appel à ce que la communauté noire exerce judicieusement son droit de vote.
Malcolm X (1925-1965) en 1964, année où il adopte un nom musulman, el-Hajj Malik el-Shabazz, et forme l’Organisation de l’unité afro-américaine (OAAU). Le 3 avril 1964, dans une église baptiste de Cleveland, Malcolm X prononce l’un de ses discours les plus marquants et les plus structurants : The Ballot or the Bullet (Le bulletin ou la balle). À la veille d’une élection présidentielle cruciale, il s’adresse aux Noirs d’Amérique avec une lucidité tranchante : soit le système politique leur reconnaît une dignité pleine et entière, soit ils devront envisager d’autres voies.
Ce discours marque un changement de posture radical dans son itinéraire politique. Quelques semaines plus tôt, Malcolm a annoncé sa rupture avec la Nation of Islam, organisation à laquelle il doit sa formation intellectuelle mais dont il rejette désormais le dogmatisme, le silence face aux violences raciales et la passivité stratégique.
En prenant ses distances, Malcolm X s’autorise un nouveau langage politique, plus ouvert, plus stratégique, plus universel, sans jamais renier l’exigence fondamentale de la souveraineté noire. Il tend la main, pour la première fois, aux leaders du mouvement des droits civiques qu’il avait jusque-là critiqués ; non pour capituler, mais pour coaliser.
Il appelle à voter, mais sans illusion ni docilité ; le vote, dit-il, n’est qu’un levier si la justice ne suit pas. Et surtout, il réaffirme avec force que l’autodéfense est un droit naturel, non une option morale : “If someone puts his hand on you, send him to the cemetery.”
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The Ballot or the Bullet est donc à la fois une invitation à la mobilisation électorale consciente et une mise en garde aux pouvoirs publics : le peuple noir ne restera pas indéfiniment spectateur de sa propre oppression. Ce discours, prononcé dans le feu d’un contexte racial explosif, fait aujourd’hui figure de testament politique et appel à la dignité armée ; dans les urnes comme, si nécessaire, en dehors.
22 mars 1964 Muslim Mosque, Harlem - New York « Monsieur le président, frère Lomax, frères et sœurs, amis et ennemis (je ne puis quand même pas croire que chacun de vous soit un ami et je ne veux exclure personne).
La question posée ce soir ; à ce que je comprends, c’est “la révolte noire et ce qui en résultera” ou encore “qu’y aura-t-il ensuite ?” Si j’en crois mon petit jugement, cette question pose celle du choix entre le bulletin de vote et le fusil. Avant de tenter d’expliquer ce que nous entendons par “le bulletin de vote ou le fusil”, j’aimerais éclaircir un point qui me concerne personnellement. Je suis toujours musulman, ma religion est toujours l’Islam.
Tout comme Adam Clayton Powell, prêtre chrétien, qui dirige à New York l’église baptiste abyssinienne, tout en participant aux luttes politiques menées pour essayer de conquérir des droits pour les noirs de ce pays, tout comme le docteur Martin Luther King, prêtre chrétien d’Atlanta, en Georgie, et dirigeant d’une autre organisation qui lutte pour les droits civiques des noirs de ce pays, tout comme le pasteur Galamison, dont vous avez entendu parler, je pense, autre prêtre chrétien à New York, qui a participé de très près aux boycotts scolaires organisés pour mettre fin à la ségrégation dans l’enseignement, je suis moi-même un prêtre, non pas un prêtre chrétien, mais un prêtre musulman, et je crois à l’action sur tous les fronts et par tous les moyens nécessaires.
Bien que je sois toujours musulman, je ne suis pas venu ici ce soir pour vous parler de ma religion. Je ne suis pas ici pour tenter de vous faire changer de religion. Je ne suis pas ici pour argumenter ou discuter de nos points de désaccord, car il est temps que nous mettions nos divergences en veilleuse et que nous comprenions que ce que nous avons de mieux à faire, c’est de commencer par nous rendre compte que nous avons tous le même problème, un problème commun - un problème qui fait que vous prendrez des coups, que vous soyez baptiste, méthodiste, musulman ou rationaliste.
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Que vous ayez fréquenté l’école ou que vous soyez analphabète, que vous viviez sur le boulevard ou sur la ruelle, vous prendrez des coups tout comme moi. Nous sommes tous dans le même bateau et nous allons tous recevoir les mêmes coups du même homme. Il se trouve précisément que cet homme est blanc. Tous nous avons subi, dans ce pays, l’oppression politique imposée par l’homme blanc, l’exploitation économique imposée par l’homme blanc et la dégradation sociale imposée par l’homme blanc.
Lorsque nous nous exprimons ainsi, cela ne veut pas dire que nous sommes antiblancs, mais que nous sommes opposés à l’exploitation, opposés à la dégradation, opposés à l’oppression. Et si l’homme blanc ne veut pas que nous soyons ses ennemis, qu’il cesse de nous opprimer, de nous exploiter et de nous dégrader. Que nous soyons chrétiens, musulmans, nationalistes, agnostiques ou athées, nous devons d’abord apprendre à oublier ce qui nous sépare.
Si nous avons des divergences, discutons-les en privé ; mais lorsque nous descendons dans la rue, qu’il n’y ait pas de sujet de controverse entre nous tant que nous n’aurons pas fini de discuter avec cet homme. Si le défunt président Kennedy a pu s’entendre avec Khrouchtchev et échanger du blé avec lui, nous avons certainement plus de points d’accord qu’ils n’en avaient.
Si nous ne faisons pas quelque chose très bientôt, je pense que vous admettrez tous que nous allons être contraints de recourir soit au bulletin de vote soit au fusil. En 1964, ce sera soit l’un soit l’autre. Ce n’est pas que le temps passe - c’est que le temps a passé ! 1964 risque d’être l’année la plus explosive que l’Amérique ait jamais connue. L’année la plus explosive.
Pourquoi ? C’est également une année politique. C’est l’année où tous les politiciens blancs seront de retour dans la communauté dite nègre, pour nous extorquer des voix à force de discours sucrés. L’année où tous les faisans blancs de la politique seront de retour dans notre communauté, à vous et à moi, avec leurs promesses fallacieuses, faisant monter l’espoir pour ensuite nous décevoir, avec leur astuce et leur traîtrise, avec leurs fallacieuses promesses qu’ils n’ont pas l’intention de tenir. À entretenir cette insatisfaction, ils ne peuvent rien obtenir d’autre qu’une explosion ; et maintenant la scène américaine voit apparaître, excusez-moi frère Lomax, un type de noir qui n’a pas l’intention de continuer à tendre l’autre joue.
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Que personne ne vienne vous parler des chances qui sont contre vous. Si vous pouvez être braves là-bas, vous pouvez l’être ici-même. Les chances contre vous ne sont pas aussi grandes ici que là-bas. Et si vous vous battez ici, vous saurez au moins pourquoi.
Je ne suis pas politicien, ni même spécialisé en sciences politiques ; à vrai dire, je ne suis pas spécialisé dans l’étude de grand-chose. Je ne suis pas démocrate, je ne suis pas républicain et je ne me tiens pas même pour un Américain. Si nous étions Américains, vous et moi, il n’y aurait pas de problème. Ces Hongrois qui viennent de débarquer, ils sont déjà des Américains ; les Polonais sont déjà des Américains ; les émigrants italiens sont déjà des Américains. Tout ce qui est venu d’Europe, tout ce qui a les yeux bleus, est déjà américain - Et depuis le temps que nous sommes dans ce pays, vous et moi, nous ne sommes pas encore des Américains.
Eh bien, je suis un homme qui n’accepte pas de se bercer d’illusions. Je n’irai pas m’asseoir à votre table pour vous regarder manger, sans rien dans mon assiette, et déclarer que je dîne. Il ne suffit pas d’être assis à table pour dîner ; encore faut-il manger de ce qui se trouve dans l’assiette. Il ne suffit pas d’être ici, en Amérique, pour être américain. Il ne suffit pas d’être né ici, en Amérique, pour être américain. Car enfin si la naissance vous faisait américains, vous n’auriez pas besoin de législation, vous n’auriez pas besoin d’amendements à la Constitution, vous n’auriez pas à assister aux manœuvres d’obstruction qui s’opèrent en ce moment même, à Washington D.C., aux dépens des droits civiques. On n’a pas à faire adopter de législation sur les droits civiques pour faire d’un Polonais un Américain.
Non, je ne suis pas américain. Je suis l’un des 22 millions de noirs qui sont victimes de l’américanisme. L’un des 22 millions de noirs qui sont victimes d’une démocratie qui n’est rien d’autre qu’une hypocrisie déguisée. Aussi ne suis-je pas ici pour vous parler en tant qu’Américain, en tant que patriote, en tant qu’adorateur ou porteur de drapeau - non, ce n’est pas mon genre. Je m’adresse à vous en tant que victime de ce système américain. Et je vois l’Amérique par les yeux de la victime. Ce n’est pas un rêve américain que je vois, mais un cauchemar américain.
Ces 22 millions de victimes sont en train de s’éveiller. Leurs yeux sont en train de s’ouvrir. Elles commencent à voir qu’elles se contentaient jusque-là de regarder. Elles accèdent à la maturité politique. Elles comprennent qu’il existe de nouvelles tendances politiques d’un bord à l’autre du pays. Voyant ces nouvelles tendances politiques, elles ont la possibilité de se rendre compte que, chaque fois qu’il y a une élection, les concurrents arrivent tellement groupés qu’il faut recompter les voix. Il a fallu les recompter dans le Massachusetts pour savoir qui serait gouverneur, tant la lutte était serrée. Même chose à Rhode Island, dans le Minnesota, et dans de nombreuses autres régions du pays. Même chose lorsque Kennedy et Nixon faisaient campagne pour la présidence : ils sont arrivés si près l’un de l’autre qu’il a fallu tout recompter. Et qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que, lorsque les blancs se départagent à égalité et que les noirs ont un bloc de voix à eux, c’est aux noirs qu’il revient de décider qui va siéger à la Maison Blanche et qui va à la niche.
Ce sont les voix des noirs qui ont permis à l’administration actuelle de s’installer à Washington. Votre vote, votre vote stupide, votre vote ignorant, votre vote en pure perte a porté à Washington une administration qui a jugé bon de faire adopter toutes les lois possibles et imaginables, en vous gardant pour la fin et en recourant à l’obstruction pour couronner le tout. Et ceux qui nous dirigent, vous et moi, ont l’audace de courir le pays en battant des mains et en parlant des grands progrès que nous faisons. Et du bon président que nous avons. S’il n’était pas bon au Texas, il ne peut certainement pas être bon à Washington. Parce que le Texas est un État où règne la Loi de Lynch. On y respire exactement le même air que dans le Mississipi ; la seule différence, c’est que, dans le Texas, on vous lynche avec l’accent du Texas, et que, dans le Mississipi, on vous lynche avec l’accent du Mississipi. Et ces dirigeants noirs ont l’audace d’aller prendre le café à la Maison Blanche, à la table d’un Texan, d’un raciste du Sud - c’est tout ce qu’il est - et de sortir de là pour venir nous dire, à vous et à moi, que ce président-là sera meilleur pour nous parce qu’il est du Sud et que, par conséquent, il sait comment s’y prendre avec les Sudistes. Quelle sorte de logique est-ce là ? Pourquoi ne pas élire Eastland à la présidence ? Il est du Sud, lui aussi. Il saurait encore mieux s’y prendre avec eux que Johnson.
Sous l’administration actuelle, la Chambre des députés compte 257 démocrates contre 177 républicains seulement. Les démocrates ont les deux tiers des voix à la Chambre. Pourquoi ne sont-ils pas capables d’adopter des mesures susceptibles de nous aider, vous et moi ? Au Sénat, il y a 67 sénateurs démocrates et seulement 33 sénateurs républicains. Autrement dit, les démocrates ont reçu le pouvoir sur un plateau d’argent, et c’est vous qui le leur avez apporté. Et que vous ont-ils donné en échange ? Au pouvoir depuis quatre ans, c’est seulement maintenant qu’ils se décident à présenter quelques lois en faveur des droits civiques. Seulement maintenant, alors que tout le reste est réglé et ne pose plus de problème, ils vont siéger et jouer avec vous durant tout l’été - cet énorme jeu de dupes qu’ils appellent obstruction. Tous ceux-là sont de mèche. N’allez pas vous imaginer qu’ils ne sont pas de mèche, car celui qui dirige les manœuvres d’obstruction est un nommé Richard Russel, qui vient de Georgie. Quand Johnson a été élu, le premier homme qu’il ait appelé auprès de lui une fois revenu à Washington, c’était “Dicky” - c’est vous dire à quel point ils sont intimes. C’est son vieux frère, son copain, son pote. Mais ils jouent le jeu de dupes bien connu. L’un vous fait croire qu’il est pour vous, et s’arrange avec l’autre pour que ce dernier s’oppose si violemment à vous que le premier n’ait pas à tenir sa promesse.
Donc il est temps, en 1964, de s’éveiller. Lorsque vous les voyez arriver après s’être entendus d’avance contre vous, montrez-leur que vos yeux se sont ouverts. Il faudra qu’ils choisissent entre le bulletin de vote et le fusil. Si vous avez peur d’utiliser une expression pareille, quittez le pays, retournez cultiver le coton sur votre parcelle, retournez à la ruelle. Ils ont pour eux toutes les voix des noirs, et lorsqu’ils ont ces voix, ils ne donnent rien aux noirs en retour. Une fois installés à Washington, ils se sont contentés d’accorder de hauts postes à quelques gros bonnets noirs. Mais ces noirs n’avaient pas besoin de ces postes, ils en avaient déjà. C’est du camouflage, c’est de la triche, c’est de la traîtrise et de l’amuse-gogos. Je ne cherche pas à éliminer les démocrates au profit des républicains ; nous parlerons de ces derniers dans un instant. Mais il est vrai que vous avez fait passer les démocrates en premier et qu’ils vous ont fait passer en dernier.
Voyez les choses telles qu’elles sont. À quels alibis ont-ils recours, depuis qu’ils tiennent en leur pouvoir la Chambre des députés et le Sénat ? À quel alibi recourent-ils lorsque nous leur demandons, vous et moi : “Eh bien, quand allez-vous tenir votre promesse ?” Ils rejettent la faute sur les dixiecrates. Qu’est-ce qu’un dixiecrate ? Un démocrate. Un dixiecrate n’est qu’un démocrate travesti. Le dirigeant en titre du parti démocrate est aussi le chef des dixiecrates, puisque les dixiecrates sont membres du parti démocrate. Les démocrates n’ont jamais vidé les dixiecrates de leur parti. Les dixiecrates se sont éjectés d’eux-mêmes en une occasion, mais les démocrates ne les ont pas exclus. Rendez-vous compte, ces ignobles ségrégationnistes du Sud ont laissé tomber les démocrates du Nord, mais les démocrates du Nord n’ont jamais débarqué les dixiecrates. Non,...
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