Les Rencontres de la photographie d’Arles mettent en avant la street photographie, les enquêtes au long cours, des regards parfois décalés sur la planète. Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres de la photographie d'Arles depuis 2015, a programmé une nouvelle édition "généraliste et défricheuse", riche d'une quarantaine d'expositions. Les amateurs du 8e art devraient découvrir "le travail de photographes qui sont aussi des enquêteurs".
Le Portugais João Pina a ainsi réussi à mettre en image l'opération secrète Condor, ce terrible plan d'élimination des opposants mis en œuvre à partir de 1975 par six dictatures sud-américaines. Il faut voir ces anciens militaires argentins se cachant le visage lors de leur procès en 2012. Sur les pas de ces photographes-explorateurs, les visiteurs découvriront ici Nollywood, le Hollywood nigérian ; là une Amazonie réelle et fantastique ; ou encore l'histoire oubliée des westerns camarguais tournés dès les années 1905 dans le delta du Rhône. De quoi se laisser surprendre.
Depuis soixante-cinq ans, Don McCullin photographie les effrois de notre monde. Il en capture l'actualité, les mutations, les violences mais aussi les paysages et les bouleversements sociétaux. En imposant un style très personnel, entre « obscurité et terreur », livrant des images noires, tragiques mais éloignées des effets faciles, il est considéré comme un des plus importants photographes de notre temps. Ce grand-oeuvre se double d'un autre, qui l'anime depuis un demi-siècle : cerner les fractures identitaires et sociales dans sa Grande-Bretagne natale, les quartiers défavorisés de Londres, la désindustrialisation, les sans-abris, les laissés-pour-compte des années Thatcher, les recalés de la mondialisation...
Ce "street photographe" new-yorkais (1913-1955), mort à 42 ans d'une crise cardiaque, reste méconnu du grand public. Sid Grossman est l'un des fondateurs de la Photo League de New York, un groupe de jeunes documentaristes - dont Berenice Abbott, Richard Avedon, Weegee - adeptes des reportages sociaux dans les années 1930-1940. L'artiste a saisi des enfants cireurs de rue à l'air tourmenté, des scènes de danse à Harlem, et la joie éclatante de jeunes gens en sortie à Coney Island… En 1949, il fut blacklisté par le FBI en raison de son appartenance au Parti communiste.
Après son étude sur les coiffes exposée avec succès l'an passé dans quatre musées et centres d'art en Bretagne, Charles Fréger présente une nouvelle série de Portraits photographiques et uniformes. Cette fois, le photographe français a arpenté les campagnes nippones pendant deux ans, en compagnie d'une assistante japonaise, à la recherche des costumes rituels utilisés pour chasser ou invoquer des esprits de la terre.
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C'est toute une époque très pop, les années 1960 au Mali, qui resurgit avec l'exposition "Swinging Bamako" : une soixantaine de photographies, dont certaines signées du grand Malick Sidibé, d'Abdourahmane Sakaly et de Sadio Diakité. Danseurs masqués, jeunes Maliennes aux allures rock… Tout le monde dansait alors sur les chansons afro-cubaines de Las Maravillas de Mali, un groupe de sept jeunes gens envoyés à Cuba étudier la musique, dans le cadre d'échanges entre pays non alignés. Ils deviendront des stars dans leur pays. "Nous avons voulu montrer le contexte géopolitique, et aussi l'insouciance du Mali des années 1960", raconte Richard Minier, commissaire de l'exposition, qui prépare un documentaire sur les Maravillas.
Il y a un bon moment que l'Haïtien Raoul Peck s'attache aux figures du monde noir, en exil ou réprimées. Contacté par les ayants droit de l'artiste, né dans le Transvaal, Raoul Peck dispose des clichés de Cole dont il fait la matière première de Ernest Cole, lost and found, dévoilé lors des Séances Spéciales du Festival de Cannes 2024 où il décroche ex aequo, L'Oeil d'or du meilleur documentaire [avec Les Filles du Nil, coréalisé par Nada Riyadh et Ayman El Amir, Egypte, ndlr]. Le film s'appuie largement sur les photos de rues d'Ernest Cole. Le photographe, né en 1940, a connu le massacre de Sharpeville en 1960, les luttes des partisans de l'ANC et la discrimination impitoyable de la population noire.
Menacé par les lois racistes, Cole cadre les gens à hauteur des yeux, en marchant pour éviter de se faire arrêter par la police. Prompt à saisir les regards caméras, il permet d'envisager ses sujets non comme des victimes mais comme des humains. L'impact de ce brûlot qui montre crûment l'apartheid lui vaut la reconnaissance et la notoriété. Cole fréquente des Sud-africains réfugiés comme Miriam Makeba. De prestigieux journaux publient ses photos tels Drum ou le New York Times grâce au soutien amical de Joseph Lelyveld. Mais quand Cole retourne son appareil photo vers la discrimination raciale qui sévit aux Etats-Unis, on lui tourne le dos.
Il lâche prise, effectue des voyages en Suède, se retrouve sans domicile fixe, dort dans une gare, et finit par mourir d'un cancer en 1990, l'année où Nelson Mandela sort de prison. Mais l'histoire rebondit en 2017 avec la découverte de 60 000 négatifs dans une banque suédoise. Raoul Peck compose son documentaire à partir des photos, des écrits de Cole. Son neveu, Leslie Matlaisane, permet l'accès aux archives et témoigne face caméra. Mais la structure du film repose fortement sur le journal d'Ernest Cole, écrit par Peck à partir de ses textes, des témoignages de sa famille, de ses amis.
LaKeith Stanfield, rappeur et acteur noir américain réputé, interprète le récit, s'impliquant avec émotion, jusqu'à briser sa voix à la fin, pour faire partager celles du photographe. Pour illustrer et ancrer la démarche d'Ernest Cole dans sa société et son temps, Peck instille nombre d'images d'époque : scènes d'émeutes en Afrique du Sud, destructions de townships, manifestations pour revendiquer les droits des Noirs à New York, scènes de violence du Ku Klux Klan.
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Le parti-pris de rassembler les photos par thèmes, comme celui des couples mixtes, permet des rapprochements judicieux mais la volonté de souligner les correspondances entre l'apartheid en Afrique du Sud et la discrimination raciale aux Etats-Unis, basée sur des allers-retours temporels, introduit une certaine confusion dans le montage. En voulant charger le contexte qui entoure et inspire les photos de Cole, le réalisateur finit presque par les banaliser, alourdissant son portrait par une fin en tiroirs qui introduit sans le résoudre, un faux suspens sur le dépositaire des photos retrouvées dans la banque suédoise. Alors, il multiplie les zooms avant ou arrière dans les clichés, comme pour en dynamiser la portée.
Ils deviennent presque le faire-valoir d'un discours attaché à défendre l'oppression des Noirs. "Je ne fais pas des biographies, je raconte des histoires", rétorque Raoul Peck en chargeant le portrait d'Ernest Cole d'archives, de musiques, de recadrages qui finissent par diluer son regard engagé. Pourtant, Peck défend ses convictions, interpellant une histoire du monde faite par les Blancs, en estimant : "En tant que personne noire, vous n'avez pas accès à écrire votre propre histoire. C'est un fait. Je ne peux le changer, mais c'est toujours mon histoire. Alors mon travail consiste à aller de l'avant et à trouver ces traces.
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