L’évolution de la réglementation française et européenne en matière d’acquisition et détention d’armes traduit bien souvent la réaction des gouvernants face à une action criminelle particulièrement sanglante et troublant fortement l’ordre public.
Ainsi, la nouvelle classification des armes à feu intervenue en France en 2012 a pour point de départ l’attaque perpétrée au fusil d’assaut à l’encontre de l’escorte policière d’un détenu à l’hôpital de la Courneuve en 2009. L’objectif était alors d’abandonner une classification désuète des armes en huit catégories, fondée sur l’usage traditionnellement admis de ces armes (guerre, défense individuelle, tir de foire ou de salon…), au profit d’une classification en fonction de leur dangerosité.
Les attentats terroristes de 2015 ont été, quant à eux, à l’origine d’une nouvelle directive européenne en 2017 destinée à réduire les failles juridiques existant dans le dispositif européen et exploitées par les réseaux criminels. Ces failles étaient pourtant dénoncées depuis de nombreuses années par le groupe d’experts européens en armes à feu (EFE).
La notion d’arme est définie, depuis 2013, comme « tout objet ou dispositif conçu ou destiné par nature à tuer, blesser, frapper, neutraliser ou à provoquer une incapacité ».
Bien évidemment, l’acquisition ou la détention d’une arme par un individu est subordonnée à des conditions préalables comme un motif légitime (activité de chasse ou de tir sportif, protection personnelle…), l’état de santé physique et psychique ou encore la préservation de la sécurité et de l’ordre publics.
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Le présent article vise à décrire, d’une part, les filières d’approvisionnement en armes illicites sur le territoire national, volontairement circonscrites aux armes légères et de petit calibre (ALPC) et, d’autre part, l’armement utilisé par les criminels, avant d’évoquer les dispositifs de lutte existants, propres à la France ou découlant de son appartenance à l’Union européenne.
La source majeure d’approvisionnement en armes illicites sur le territoire national est constituée par les vols d’armes, commis tant au préjudice de particuliers que d’armuriers. L’immense majorité de ces armes, en l’espèce 78 %, est soumise à une simple déclaration lors de l’entrée en possession.
Cette prépondérance tient à la réglementation allégée régissant la conservation de cette catégorie d’armes, comparée à celle imposée pour les armes soumises à autorisation préalable. En effet, elles doivent simplement être remisées hors d’état de fonctionner immédiatement.
Il n’existe aucune obligation de conservation en coffre-fort ou au moyen de dispositifs empêchant que l’arme puisse être déplacée. Il est évident que la présence d’une arme apparente et disponible lors d’un cambriolage incite davantage les auteurs à s’en emparer.
En comparaison, les armes de catégorie B, dont le mode de conservation est plus sécurisé (obligation de stockage en coffre-fort ou en pièce forte adaptés aux matériels détenus), représentent une faible proportion (un peu plus de 10 %) parmi les armes dérobées. S’agissant des armes déclarées volées, classées comme interdites à l’acquisition et à la détention pour les particuliers, leur part est infime et représente 0,5 %.
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Le monde des armes attire un certain nombre de passionnés, amateurs et collectionneurs parfois compulsifs. L’absence de véritable statut juridique qui permettrait à ces personnes d’assouvir leur passion, dès lors qu’elles n’ont pas la qualité de tireur sportif ou de chasseur, a conduit certaines d’entre elles à se constituer des collections d’armes à feu sur les circuits d’approvisionnement clandestins.
Certes, une carte de collectionneur d’armes avait été créée en 2012. Les enquêtes diligentées par la police ou la gendarmerie nationales démontrent que ces collectionneurs peuvent être amenés à détenir de très grandes quantités d’armes (parfois plusieurs centaines) en toute illégalité.
Les bourses aux armes, y compris au-delà de nos frontières, sont des lieux propices aux ventes illicites. Dès lors, ces armes n’ayant fait l’objet d’aucun enregistrement au sein des fichiers s’avèrent parfaitement intraçables. Elles s’échangent dans un marché parallèle sans contrôle des autorités de l’Etat, ce qui entraîne nécessairement une certaine porosité entre ces amateurs déviants et les délinquants (voire les terroristes).
En outre, en cas d’interpellation, ces « collectionneurs » déviants plaident le fait que les armes constituent leur violon d’Ingres, escomptant ainsi obtenir une certaine mansuétude de la part des juges.
Si l’idée est dorénavant largement répandue que les délinquants utilisent le Darknet pour procéder à des acquisitions et des ventes illicites d’armes à feu sous couvert d’anonymat (utilisation de réseaux de type Tor), les trafiquants n’hésitent pas non plus à utiliser internet pour le faire avec des garanties d’anonymat similaires.
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En effet, la vente d’armes ou d’éléments d’armes entre particuliers sur internet n’est pas prohibée dès lors qu’elle satisfait aux obligations imposées par la réglementation (notamment, depuis 2017, l’intervention d’un intermédiaire professionnel agréé). Il existe ainsi de nombreux sites Internet ou forums spécialisés dans la mise en relation entre les vendeurs et les acheteurs d’armes à feu.
Identifier une transaction suspecte à partir de ces annonces s’avère particulièrement difficile pour les forces de l’ordre dans la mesure où les parties utilisent des pseudonymes, ce qui ne permet pas de connaître leur identité réelle. Il est, par conséquent, impossible de vérifier d'emblée s’ils remplissent les conditions légales liées à la détention ou à l’acquisition d’une arme à feu.
De la même manière, les vérifications sur la provenance licite de l’arme proposée à la vente sont impossibles faute de numéro de série apparent. En outre, les indications fournies sur cette arme peuvent être parcellaires, ce qui empêche de déterminer sa classification exacte. Il est dès lors difficile d’identifier une infraction flagrante de vente prohibée.
Certes, la réglementation actuelle impose le recours à un intermédiaire professionnel pour finaliser la vente. Toutefois, si les parties s’entendent, rien ne s’oppose à la réalisation d’une transaction illicite.
En 1991, dans la perspective de la création du marché intérieur unique supprimant les contrôles aux frontières intracommunautaires, l’Union européenne adoptait une réglementation commune relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes. Or, des failles sécuritaires sont rapidement apparues dans ce dispositif et ont été largement exploitées par les criminels et les délinquants.
Elles étaient en partie corrigées par une révision de la réglementation en 2008 avant d’être encore plus profondément révisées en 2017, consécutivement aux attentats perpétrés sur le sol français en 2015.
Dès 1973, la réglementation française classait en détention libre les armes « neutralisées », rendues définitivement inaptes au tir de toute munition. Pour sa part, le dispositif européen adoptait une définition qui stipulait simplement que les armes neutralisées étaient celles « rendues impropres à leur usage par l’application de procédés techniques garantis par un organisme officiel », sans définir davantage les opérations à exécuter.
En l’absence d’une norme commune précise, chaque pays européen élaborait sa propre réglementation, plus ou moins efficace et plus ou moins contraignante, pouvant aller jusqu’à de simples guides de « bonnes pratiques ».
Les filières d’approvisionnements intracommunautaires en armes illicites démarraient des pays où le processus de neutralisation était facilement réversible (exemple de l’Espagne ou de l’Autriche…) et où la réactivation ne nécessitait que des opérations simples ou le changement des pièces défectueuses, vers les pays à la réglementation plus rigoriste.
Pour remédier à cette situation, la réglementation européenne tentait en 2008 de corriger ces distorsions entre États membres, en précisant que toutes les pièces essentielles de l’arme devaient avoir été rendues définitivement inaptes à leur usage.
En 2010, pour mettre fin à ce phénomène, à la demande de la Commission européenne, la Commission internationale permanente (CIP) proposait des normes techniques de neutralisation des armes à feu portatives. Ces normes n’étaient en revanche transposées au sein d’un règlement européen qu’en 2015, garantissant enfin la neutralisation irréversible des armes à feu.
Cependant, ce texte était limité aux armes mises ou remises sur le marché après son entrée en vigueur, soit à compter du 8 avril 2016. On précisera enfin que ces armes neutralisées ont un statut hybride car, bien que libres d’acquisition elles sont désormais soumises à déclaration.
À partir de 2012, un nouveau mode d’approvisionnement illicite en armes à feu touchait l’espace européen. Ce phénomène concernait des armes en apparence non létales, très facilement convertibles, provenant principalement du matériel militaire issu de l’ex-armée tchécoslovaque.
En effet, ces armes militaires avaient été légalement vendues par la République tchèque et la Slovaquie à des fabricants d’armes autorisés, lesquels les avaient converties en armes censées ne tirer que des munitions à blanc. En pratique, une telle arme conservait son fonctionnement originel (rafaleur, semi-automatique…) mais de simples goupilles étaient insérées dans son canon afin d’empêcher qu’un projectile ne soit expulsé.
Ces armes dites « armes acoustiques d’expansion » étaient vendues dans toute l’Europe avec un marquage les identifiant comme des armes à blanc. Ces armes ont inondé le marché européen parce qu’elles étaient en vente libre en République tchèque et en Slovaquie et que leur rétroconversion permettait de leur restituer leurs facultés létales de façon simple et artisanale.
Des trafiquants endurcis comme de simples amateurs d’armes ont vu dans cette faille du dispositif européen l’opportunité de réaliser un profit. Ce type d’armes a d’ailleurs été utilisé par l’un des terroristes lors des attentats de janvier 2015 à Paris.
Empêchés de vendre librement ces armes acoustiques, les fabricants de ces pays contournaient une nouvelle fois la réglementation européenne en créant des armes modifiées de type Flobert. Il s’agissait toujours de transformer des armes fonctionnelles, mais cette fois pour qu’elles ne puissent tirer que des munitions de calibre Flobert de faible puissance.
Ces armes étaient également classées en vente libre par les pays d’origine, bien qu’elles fussent, là encore, rétro-modifiables dans leur état d’origine.
La position de la République tchèque et de la Slovaquie était d’autant plus critiquable que la réglementation européenne classe en arme à feu toute arme tirant un projectile par « l’action d’un propulseur combustible », ce qui est le cas en l’espèce.
Face à l’émotion provoquée par cette situation, les autorités locales ont limité l’acquisition des armes Flobert aux majeurs de 18 ans, en maintenant toutefois leur position sur le statut de ce type d’armes. Mais cette situation vient d’évoluer récemment sous la pression des pays de l’Union et la République tchèque vient de soumettre à déclaration les armes Flobert.
Une arme se compose de pièces dont les plus importantes sont qualifiées d’éléments essentiels et qui doivent, à ce titre, être classées dans la même catégorie que l’arme dont elles font partie. Initialement, en ne détaillant pas les éléments d’arme à qualifier d’essentiels, le dispositif européen a nécessairement créé une faille propice au développement du trafic illicite de ces composants dans l’espace européen.
En effet, les divergences d’interprétation entre États membres offraient la possibilité de se procurer dans un autre pays de l’Union des pièces pourtant interdites ou soumises à restriction d’acquisition dans un autre. Pour les trafiquants, cette faille du dispositif européen permettait de réactiver des armes neutralisées, des armes acoustiques (ou Flobert), voire de réparer des armes hors d’état de fonctionner du fait d’une pièce défectueuse.
Cette faille de sécurité a grandement été corrigée par la réforme de la législation européenne de 2017, laquelle a détaillé les « parties essentielles » de l’arme, ne laissant ainsi plus de place à l’interprétation des États membres. Dès lors, à quelques exceptions près, le trafic d’éléments essentiels en provenance de l’Union européenne devrait se tarir à mesure que les législations nationales s’y conformeront.
Il existe deux catégories d’armes artisanales susceptibles de se trouver sur le marché illicite français. Tout d’abord, il s’agit de la confection de pièces d’armes ou d’armes complètes en 3D par addition de couches successives de matière contrôlée par un ordinateur. Des plans sont disponibles, notamment sur le Darknet.
Ce phénomène a pris un essor particulier au début des années 2010 avec l’apparition de l’arme Liberator, une arme monocoup fabriquée en 3D avec la technologie et les matériaux disponibles à cette date. Si, à l’époque, cette technologie n’apparaissait pas encore au point, les progrès réalisés permettent désormais de produire des pièces d’armes plus complexes avec des matériaux plus résistants.
La démocratisation de cette technologie associée à la baisse de son coût d’achat rend la menace plus concrète tout comme la multiplication récente sur le net de schémas permettant de réaliser des armes plus sophistiquées, susceptibles d’être complétées par des éléments métalliques pouvant être fabriqués artisanalement.
Cette menace est particulièrement préoccupante dans la mesure où la fabrication de ces armes s’effectue hors de tout contrôle étatique et peut être réalisée à partir du territoire national comme de l’étranger. Des réflexions sont engagées pour instaurer des moyens permettant un certain traçage des objets réalisés.
Sur le marché européen, on trouve également des armes artisanales, plus ou moins copiées de modèles industriels et fabriquées avec des technologies similaires. C’est ainsi que sont apparues sur le marché parallèle en 2006 des copies s’inspirant du pistolet-mitrailleur israélien UZI ou du pistolet semi-automatique allemand Walther P22.
Ces armes provenant de Croatie étaient fabriquées dans une véritable unité clandestine. Depuis, plusieurs autres modèles d’armes reproduites ont fait leur apparition en Europe et dans le reste du monde (par exemple, des copies de pistolet Beretta en 2008, de pistolet rafaleur R9 en 2012…).
Bien que ces diverses productions d’armes constituent une menace réelle, elles ne représentent toutefois qu’une infime partie de l’armement illicite au regard de la disponibilité beaucoup plus importante des armes industrielles qui, même anciennes, conservent leur pouvoir létal. En témoignent les attentats de Toulouse en 2012 où figuraient des armes de la Second...
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