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Depuis que les chasseurs se sont mis à utiliser les armes à feu, les anthropologues sem­blent avoir perdu tout intérêt pour les armes. Et les quelques rares chercheurs qui font exception se sont principalement concentrés sur la question de l’efficacité technique, faisant la comparaison entre les vertus des armes traditionnelles (arcs et flèches, épées, sarbacanes...) et les armes à feu manufacturées.

Mais dès que les premières disparais­sent - que ce soit matériellement ou de la mémoire des informateurs les plus âgés -, les secondes ne sont plus évoquées, même dans les études folklorisantes ou « locales ». Plus fréquemment, elles sont éliminées de l’enquête anthropologique parce qu’elles ne sont pas produites ou décorées par les usagers eux-mêmes, comme si elles ne pouvaient pas être matière à investissement culturel. Elles sont au mieux considérées comme allant de soi et écartées en quelques lignes.

L'apprentissage du jeune chasseur

La pratique de la chasse en France est soumise à un examen national, le permis de chasser, qui peut être obtenu dès l’âge de seize ans. Pourtant, de nombreux chasseurs commencent leur vie cynégétique plus tôt. Dans la vallée du Verdon, les garçons armés de carabines à air comprimé font souvent leurs premières sorties à l’âge de dix ou onze ans. La phase initiale d’apprentissage du chasseur a lieu dans le village même.

Au début, ses cibles favorites sont des boîtes de conserve, des bouteilles et parfois les lampadaires du village. Peu après, il se tourne vers le « vrai » gibier, tels que les lézards ou les chats errants. Quelques mois plus tard, il se risque - pas trop loin - dans les champs alentours pour chasser des petits oiseaux (ortolan rouge, Antheus capestris ; le phaéton à brins rouges, Phoenicurus ochruros ; le bec-croisé des sapins, Loxia curvirostra, etc.) localement appelés simplement « petits ».

Un ou deux ans plus tard, le jeune garçon accompagnera son grand-père à un poste de chasse éloigné du village. Là, sous la surveillance du vieil homme, il apprend à manier des armes à feu en sûreté (Bromberger et Dufour 1982). Le fusil utilisé est d’un très petit calibre de 9 millimètres, parfois 14 millimètres. Les chasseurs le dénomment par le diamètre intérieur du canon, précédé par un article qui indique son genre féminin. On dit « une neuf millimètres » ou « une quatorze millimètres ».

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Le genre, féminin, du fusil de chasse est dû au fait que la loi française considère cette arme à feu comme une petite carabine, parce qu’il utilise des cartouches à percussion centrale. À cette étape, la chasse consiste à tirer par les ouvertures d’un abri sur les oiseaux proches.

Vers l’âge de 14 ans, un garçon quitte véritablement l’abri pour tenter sa chance sur un plus gros gibier, tels les lièvres (Lepus europaeus et Lepus timidus), les faisans (Phasianus colchicus), les perdrix et les pigeons. Il chasse seul, loin de son village, avec la carabine de chasse de calibre de 14 millimètres mentionnée précédemment. Cette arme ne permet pas au jeune chasseur de poursuivre toutes sortes de gibier. Ainsi par exemple, le sanglier sauvage (Sus scrofa) ne peut être abattu car il n’y a aucune munition appropriée à ce fusil sur le marché français.

À l’âge de 15 ans, un an avant de se présenter à l’examen officiel de chasse, le garçon change une nouvelle fois d’arme pour adopter ce qui est considéré comme son premier « vrai » fusil de chasse. L’équipement du garçon passe littéralement de la catégorie « petite carabine » à « fusil de chasse ». La distinction avec les armes à feu précédentes est essentielle­ment d’ordre légal. Pour un anthropologue, il n’y a pas de différences tech­niques majeures entre les deux types de fusils. La plus remarquable serait le calibre.

Traditionnellement, les Français le définissent ainsi : « Le nombre de plombs sphériques (de même calibre que le canon) qui peut être produit à partir d’une livre de plomb pur - un ancien poids qui équivaut 0,4895 kg » (Noblet 1988 : 101). En pratique, on peut facilement identifier les divers calibres par le diamètre du canon ou par la dimension de la munition.

En français, cette arme s’appelle « un fusil » ; le terme est masculin et, comme dans le cas précédent, il est identifié par un nombre qui indique son calibre, mais sans unité de mesure. Les fusils les plus ordinaires sont « le 20 », « le 16 » et « le 12 ».

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On peut se demander pourquoi l’activité illégale des garçons n’a pas été interdite par les adultes ou par le garde-chasse de l’État. En fait, cette activité n’est pas seulement tolérée, elle est encouragée par d’autres chasseurs qui la considèrent comme une phase nécessaire d’apprentissage tant du point de vue technique (usage des armes à feu) que de celui qu’on pourrait appeler « écologique » (connaissance du territoire de chasse, des habitudes du gibier...). Ce genre de braconnage est donc considéré comme légitime, bien qu’illégal, pour reprendre la distinction de Traimond (1984). Les gardes-chasse se montrent également tolérants car, comme certains l’avouent, ils ont commencé leur « carrière » de la même façon (Govoroff 1985 : 78).

L'accès à l'âge adulte et l'évolution de l'équipement

Enfin, 16 ans ! L’heure de passer l’examen de chasse national. La grande majorité le réussit. Encore une fois, le garçon change de fusil. Pour la première fois, il chassera avec le même type d’arme que ses aînés, le fusil de calibre 12. En plus, il échangera aussi son arme à feu à un seul canon et un seul coup pour un canon double.

Le changement de statut légal et d’arme coïncide aussi avec un changement de statut social dans le groupe. Le garçon est devenu un adulte. Dans la haute vallée du Verdon, cette transition est illustrée par deux termes différents dans le dialecte local. Habituellement, on appelle un garçon soit par son nom soit par le terme générique « minot », qui signifie « petit » pour les hommes, mais à partir de maintenant le chasseur sera appelé « jeune » (Bromberger et al. 1981 : 51). Et il reste « jeune » jusqu’au jour de son mariage. Si un homme ne se marie pas, cette désignation ne sera pas utilisée au-delà de l’âge de 40 ans environ. Le groupe d’âge « jeune » équivaut donc implicitement à « mari potentiel ». Ainsi, à 16 ans, la sexualité du garçon est culturellement affirmée et reconnue.

Dans l’intervalle, le chasseur a pu changer d’arme à feu, remplaçant souvent le fusil à canon double par un fusil de chasse automatique de calibre 12 à canon simple.

Dans la vie d’un homme, la prochaine étape importante est sa majorité civile qui, en France, est fixée à 18 ans. Le jeune chasseur peut maintenant acheter légalement son propre équipement. Auparavant, il l’empruntait, le recevait comme cadeau ou l’achetait par l’intermédiaire d’un parent. La loi française lui permet aussi d’acheter et d’utiliser une carabine de gros calibre, considérée comme l’arme ultime pour le gros gibier.

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La différence entre une carabine et un fusil de chasse réside essentiellement dans le fait que la première ne tire qu’une seule balle sur une longue distance. Avec un tel instru­ment, la portée de tir utile augmente considérablement, passant approximativement de 50 mètres avec un fusil de chasse à quelque 200 mètres avec une carabine.

L’usage de cette carabine est, comme pour toutes les autres armes, soumis à l’appro­bation du groupe, et n’importe qui ne peut l’obtenir. Il est limité aux chasseurs réputés endurcis, l’expérience se résumant au nombre de sangliers ou de chamois tués, bien qu’aucun minimum défini ne soit établi. Il semblerait qu’il varie d’un individu à un autre selon les conditions dans lesquelles les animaux ont été abattus. Étaient-ils déjà blessés ? Étaient-ils touchés aux endroits vitaux ? Est-ce que le tir du chasseur stoppe souvent les animaux touchés ?

L’acquisition d’une carabine est toujours suggérée par un membre déjà expérimenté du groupe. J’ai été témoin de quelques cas où un individu a pris ce type de liberté sans approbation préalable. En général, on se moque de lui et sa compétence est mise en question : « Tu ne peux même pas tirer droit ! » résume la moquerie en quelques mots. Mais parfois le contrôle social peut être plus stricte, et les chasseurs refuseront d’être « postés » à portée de carabine de l’autre, pour des raisons évidentes de sécurité.

Pourtant, le chasseur prétentieux ne sera pas rejeté du groupe. Il sera posté loin des autres, souvent aux endroits où aucun gros gibier ne risque de passer. Je suppose, même si je n’ai pas eu l’occasion de tester cette hypothèse, que cette situation dure tant que le chasseur n’a pas démontré son habileté, ce qui naturellement est difficile aux emplacements qui lui sont désignés ; mais cela peut arriver puisque, par définition, la fuite d’un animal n’est pas complètement prévisible.

Certains chasseurs ont depuis peu adopté une arme appelée drilling. Cette arme combine les avantages techniques d’un fusil à canon double juxtaposé, auquel elle res­semble par la forme, et ceux d’une carabine car elle possède aussi un canon de fusil à un coup sous les deux autres. Cet hybride permet à l’usager de sélectionner la munition appropriée au dernier moment.

À ce stade de sa vie, un chasseur possède généralement au moins deux armes dif­férentes : un fusil de calibre 12, principalement mais pas exclusivement pour le petit gibier, et une carabine pour le gros gibier. Mais avec le temps qui passe, et la vieillesse qui approche, le chasseur abandonne la carabine pour une arme de calibre 20 ou souvent de calibre 16. La raison invoquée est que les plus petits fusils sont moins fatigants à porter et à viser puisqu’ils sont plus légers et ont moins de recul.

La conséquence immédiate de ce changement est la réduction de la portée de tir du chasseur et donc le déclin de sa performance. Une autre conséquence est la diminution du nombre de postes qu’on peut lui donner, puisque sa mobilité limitée à cause de l’âge lui interdit des approches longues. Le vieil homme abandonne la chasse en groupe et la chasse au gros gibier quand son incapacité est devenue presque totale. Toutefois, sa vie de chasseur peut continuer s’il est encore capable de parcourir les quelques mètres qui séparent sa voiture d’un abri de chasse où il passera la plupart de son temps à tirer sur les grives en compagnie d’un petit-fils. Il utilisera alors une petite carabine de 14 ou de 9 millimètres.

La place des femmes dans la chasse

Jusqu’ici, nous avons seulement traité de l’équipement des hommes, puisque la chasse est traditionnellement une activité masculine et virile. Pourtant, quelques femmes aussi prennent part à la chasse de groupe aux côtés de leurs maris.

Comparée à celle d’un homme, la vie cynégétique d’une femme ne passe pas par les différentes phases décrites ci-dessus. Elles entrent dans le « cycle » à l’étape du jeune chasseur, et elles y restent, ne changeant jamais d’armes même si elles connaissent des succès à la chasse. Dans ce cas, les histoires de chasse racontent toujours que les plus gros animaux sont tués par les femmes.

Un examen minutieux de l’équipement des femmes montre qu’elles ne chassent pas toutes avec les armes recommandées, certaines préférant des fusils de calibre 12. Comme dans le cas d’un jeune-homme qui utilise un fusil de gros calibre, le contrôle social s’opérera par la moquerie. Cette fois, pourtant, son objet n’est pas le chasseur - une femme dans ce cas - mais le fusil lui-même, qui est comparé à une sarbacane ou à un tromblon, et si c’est une arme semi-automatique, à une pompe à vélo, surtout après un échec. Dans la Provence alpine, les femmes chasseurs sont considérées comme des « presque chasseurs », ressemblant aux garçons de 15 ans.

Le fusil de calibre 20, un choix assumé

Mais revenons à un homme au sommet de sa carrière, quand il manie tout à la fois une carabine et un fusil. Quelques hommes utilisent des fusils de calibre 20 plutôt que de calibre 12, même s’ils en possèdent également un en général. Quand on leur demande pourquoi ils utilisent un si petit calibre, ils répondent fièrement : « C’est un fusil de femme » et expliquent ensuite que les bons chasseurs - c’est-à-dire les meilleurs ! - font toujours ainsi. Ce statut de meilleur chasseur est autoproclamé et vraisemblablement soumis à l’approbation tacite du groupe. Ayant déjà démontré sa valeur en tant que chasseur, et donc en tant qu’homme, il peut sans danger se tourner vers des armes moins efficaces ; sa connaissance du terrain e...

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