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Le réalisateur bhoutanais Pawo Choyning Dorji, à qui l’on devait déjà le magnifique L’école du bout du monde (nommé aux Oscars en 2022), signe un deuxième long-métrage tout en délicatesse et ironie à propos de la modernisation de son pays natal : le Bhoutan.

Avec "Le Moine et le Fusil", son second long-métrage, le réalisateur Pawo Choyning Dorji offre une nouvelle fenêtre sur le Bhoutan, en racontant cette fois comment les habitants de ce pays aux rites ancestraux opèrent un virage radical de la monarchie absolue vers la démocratie.

Sorti le 26 juin 2024, "Le Moine et le Fusil" est une comédie dramatique réalisée par Pawo Choyning Dorji, avec Tandin Wangchuk, Deki Lhamo et Pema Zangmo Sherpa. Le film dure 1h 47min.

Le film se déroule en 2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision… et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des "élections blanches". Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés.

En effet, le Bhoutan, petit pays enclavé entre l'Inde et la Chine, a longtemps vécu coupé du monde. La télévision et l'accès à internet étaient encore interdits au début des années 2000. Monarchie absolue depuis un siècle, le pays se prépare à une mutation vers un régime démocratique, voulue par le roi lui-même.

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Dans un pays où l'on mesure la richesse en "Bonheur National Brut", les habitants, très attachés à leur souverain, et respectueux de l'enseignement et à la spiritualité bouddhiste, ne comprennent pas bien l'intérêt d'instaurer la démocratie, ni les enjeux d'une élection. "Nous n'avons pas besoin de la démocratie", déclare une villageoise, avant d'ajouter "Nous sommes déjà heureux". Cette élection commence même à créer des tensions et des jalousies dans le village.

Après avoir raconté l'histoire d'un jeune instituteur envoyé dans une région reculée du Bhoutan dans L'école du bout du monde, le jeune réalisateur poursuit la chronique de son pays à travers cet épisode majeur de son histoire.

Le réalisateur Pawo Choyning Dorji raconte dans ce film aux allures de fable l’introduction de la démocratie auprès des électeurs ruraux de ce petit pays, inventeur du Bonheur National Brut (indice créé par le roi dans les années 1970, afin de concilier l’économie avec les valeurs du bouddhisme, en privilégiant le bien-être des individus).

Plusieurs destinées se croisent autour d’un mystérieux fusil issu de la guerre de Sécession nord-américaine. Cette arme, qui passe de main en main, sert de fil conducteur narratif. Objet de multiples convoitises, celle du collectionneur nord-américain bien sûr, mais aussi celle du jeune moine qui se rêve en James Bond et souhaiterait l’échanger contre des AK-47 afin d’imiter son idole, le fusil est à la fois ressort dramatique mais aussi symbole du dérèglement.

À partir d’une situation étonnante - pourquoi diable un lama, qui passe le plus clair de son temps à méditer dans un monastère, aurait-il besoin de fusils ? -, le cinéaste bhoutanais construit très habilement un récit où l’humour, subtil, savoureux, ne manque pas de faire mouche.

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C'est sous l’angle de la comédie que nous est présentée ici l’histoire d’un moine qui pour obéir à son lama décide de partir à pied visiter le pays environnant pour y dénicher une arme afin - dit le lama - de « redresser la situation ».

La démarche est inattendue mais le moine ne met pas en doute les intentions du Lama pourtant réputé pacifiste. Il se met en route pour sa mission. Pourquoi cette éminence a-t-elle besoin d'un fusil ?

Dans le même temps, un touriste américain descend de son avion mettant ainsi le pied au Bhoutan dans le but avoué de récupérer un vieux fusil ayant servi pendant la guerre de Sécession - pièce de collection donc - auprès d’un vieillard vivant dans les montagnes. Personnage de comédie dans le sens où il est caractéristique de l’américain archétypal, appareil photo en bandoulière, indifférent au paysage et aux coutumes locales, avide de tout obtenir grâce à l’argent et à ses dollars.

Confrontation des valeurs occidentales avec celles du pays qui se poursuit tout au long du film et qui constitue l’un de ses leitmotivs, où le niveau de richesse des citoyens - contrairement à la majorité des gouvernements modernes - se mesure non sur la valeur du Produit National Brut mais sur l’amélioration du Bonheur National Brut, lui-même basé entre autres choses sur la sauvegarde de l’environnement et la promotion du développement durable mais surtout sur la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise.

Ce n’est qu’en 1999 que le gouvernement lève l’interdiction contre la télévision et internet faisant du Bhoutan l’un des derniers pays du monde à avoir accès à la télévision. Modernisation tardive donc dont la nouveauté et le luxe nous sont présentés de façon comique à travers l’un des habitants du village qui aurait vendu deux de ses vaches pour pouvoir s’acheter le fameux récepteur, le plus gros du canton, ce qui entraîne la jalousie de son voisin qui se targue quant à lui de ce que le poste lui ait été offert par l’un des candidats sans qu’il n’ait rien eu à débourser. Autre signe de modernité: les candidats utilisent le nouveau moyen d’expression à leur avantage pour se faire élire, se présentant chacun à son tour devant la caméra pour se faire connaître.

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Une jeune femme de la ville parcourt le pays pour leur apprendre à voter lors d'une journée d'élection blanche. Ils auront trois choix : le rouge pour la liberté et l’égalité, le bleu pour le développement industriel et le jaune pour la protection de l’environnement. Lors de faux meetings politiques, les paysans sont invités à se diviser en groupes opposés et à monter de l'hostilité les uns envers les autres. Une vieille dame lance : "Pourquoi nous apprenez-vous à être impolis ?

"Les gens apprennent encore à être en désaccord, ce qui ne va pas de soi dans notre culture" explique Pawo Choyning Dorji, qui jette avec ce film un regard à la fois amusé et tendre sur son pays, si singulier, dans lequel la démocratie est instaurée sans violence, sans même que le peuple ait exprimé son désir de changer un régime séculaire qui semble lui convenir.

Cependant, et si le roi annonce qu’elle contribuera au Bonheur National Brut, le réalisateur ne peut s’empêcher, sous forme de clin d’œil au cinéma d’action américain, de suggérer les méfaits qu’une culture aussi éloignée de celle du Bhoutan peut entraîner. La violence qu’elle prône à travers ses héros, images à l’appui, est loin de l’état de nirvana auquel prétend le bouddhisme. Et les habitants, collés les uns contre les autres au sein du café, buvant du coca-cola, comme hébétés par le dernier James Bond qui passe à la télévision. D’où le choix du lama de se reporter sur le choix de AK-47, ceux qu’il a vus dans le film pour opérer un échange avec le touriste américain. Ou encore, l’affiche que la serveuse décide d’accrocher à la porte en lieu et place du calendrier. En s’ouvrant aux nouveaux modes de diffusion et de communication, le Bhoutan ne risque-t-il pas d’y perdre son identité culturelle (l’un des piliers du BNB)? Le film en tous cas en souligne le risque, qu’évoque encore négativement la fin du film, car il s’agit d’une comédie après tout.

On assiste à un chassé-croisé réjouissant des personnages entre eux, en voiture et/ou à pied, qui, à la poursuite des électeurs ou d’une arme de collection américaine, qui connaîtra le destin mystérieux que lui réserve un lama préoccupé pour l’avenir dans un imbroglio malicieux qui vaut le détour.

Déployé comme une fable moderne, ce film ouvre néanmoins une fenêtre sur une culture aux antipodes de la culture occidentale, et sur un pays qui adopte par nécessité des fonctionnements qui lui sont étrangers, sans révolte, mais en y intégrant ses propres codes, ses propres rituels, sa propre culture.

Le Bhoutan en quelques chiffres :

Indicateur Donnée
Superficie 38 394 km²
Population 782 318 habitants
Indice BNB (Bonheur Intérieur Brut)

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