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Depuis que la rumeur de la mode, suivie de la postérité, a fait de Charles Baulaire une figure de la littérature française, toutes les images du poète qui ont contribué à forger son extraordinaire popularité peuvent se ramener à deux formes antithétiques.

Il y a d’abord, bien sûr, le Baudelaire de la critique actuelle : cette icône de la modernité qui incarne le génie intemporel de la poésie et le dévouement absolu à l’invention littéraire, dans une perspective orphique qui estompe tous les traits anecdotiques du personnage et interdit de l’ancrer dans un contexte étroitement historique.

Cependant, il y eut aussi, et chronologiquement bien avant le Baudelaire qui nous est à tous familier, le poète de la bohème parisienne, figurant pittoresque du très petit monde du journalisme littéraire.

Ce poète-là a pu susciter de l’estime, de l’affection, souvent de l’admiration pour la maîtrise du versificateur ; mais, plus fréquemment peut-être, de l’amusement pour le sens de la provocation, de l’irritation pour les manières affectées du dandy, voire un franc mépris pour cette volonté systématique et appliquée d’épater le Bourgeois.

Des deux images antithétiques de Baudelaire dont nous disposons aujourd’hui - l’icône et la caricature -, on ne peut rejeter l’une au profit de l’autre.

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On aurait du mal, bien sûr, à faire encore aujourd’hui de Baudelaire un simple mystificateur secrètement névrosé - admettons, cependant, que tout lecteur doit rester libre de ses impressions de lecture, aussi négatives soient-elles - ; mais il serait aussi trop commode d’oublier la caricature au nom de l’icône, sous le prétexte que l’excès de familiarité avec l’écrivain vivant induirait toujours des erreurs d’appréciation et de perspective.

Au contraire, ces deux représentations de Baudelaire éclairent l’une et l’autre son œuvre poétique, et c’est pour cette raison que l’effort de la critique doit viser à les concilier et à repérer, malgré l’évidence du contraste, les correspondances latentes.

Plus précisément, il faut s’efforcer de comprendre comment il est possible de passer de la caricature à l’icône.

L’objet de ce chapitre sera donc de commencer à percer les secrets et les recettes de cette transmutation concertée qui, aux yeux de Baudelaire, fait partie intégrante du travail poétique - et en constitue même, peut-être, la face la plus intime et la plus précieuse.

Il ne s’agira pas tant, selon la vision très négative que Proust a popularisée de la critique biographique, d’extorquer à la vie de l’écrivain des pistes pour l’exégèse des textes mais bien, dans le cas particulier de Baudelaire, d’intégrer le processus biographique de construction de l’écrivain à la genèse, longue et complexe, de l’œuvre.

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Par les choix qu’il faisait, les détours et les retards qu’il assumait, par la comédie qu’il jouait aux autres comme à lui-même, en un mot par les divers emplois de son temps et de sa vie, Baudelaire avait conscience de contribuer, très indirectement, à l’œuvre créatrice.

À cet égard, il fut sans doute, avec le Victor Hugo de l’exil, le premier écrivain français à avoir si clairement intégré le parcours existentiel à l’aventure esthétique : pour ces auteurs qui conçoivent leur vie sans solution de continuité avec l’œuvre, il faudrait parler de biopoétique, pour désigner la part de la conception littéraire qui se joue sur le terrain du biographique et qu’on peut repérer au travers de véritables figures biographiques, qui, comme les stylèmes sur le plan textuel, permettent d’identifier l’auteur au travers de ses comportements sociaux ou professionnels.

Baudelaire n’a donc pas, quant à lui, laissé de texte autobiographique : selon la logique de la biopoétique et conformément à la célèbre formule de Victor Hugo (« Tout homme qui écrit écrit un livre ; et ce livre, c’est lui3»), il ne saurait y avoir de meilleure autobiographie que l’œuvre elle-même.

Cependant, la tentation autobiographique affleure, de façon indirecte et voilée, tout au long des notices biographiques d’Edgar Allan Poe que Baudelaire publie en marge de ses traductions et qui, si elles n’offrent évidemment pas le reflet exact de la vie du poète parisien, n’en restituent pas moins ses orientations existentielles majeures.

On n’hésitera donc pas à puiser, largement et sans autre forme de procès, dans ces textes qui glosent et justifient par personne interposée les dispositions idiosyncrasiques de Baudelaire les plus reconnaissables.

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On l’a dit mille fois et répétons-le ici. Baudelaire a inventé un Poe à son usage, et la connivence qu’il éprouve à l’égard de l’écrivain de Baltimore est si clairement liée au mouvement d’empathie et d’imagination qui le conduit à se projeter dans le texte anglais qu’il n’y a rigoureusement aucun sens à supposer une forme précise d’influence entre Poe et Baudelaire - à moins d’entendre par influence l’appropriation fantasmatique et narcissique de l’œuvre de l’autre.

Il est deux types d’informations biographiques que les historiens de la littérature ont l’habitude de rechercher prioritairement.

Le premier concerne la vie affective et intime - notamment tous les renseignements sur l’enfance, les premiers traumatismes, la vie sexuelle et sentimentale.

En revanche, l’écrivain, dans l’accomplissement même de son œuvre, est soumis à de multiples influences et déterminations directes - qui touchent à ses conditions de vie et de travail, à ses réseaux librement choisis d’amis et de camarades, aux contraintes matérielles, à ses orientations ou opportunités professionnelles, etc.

C’est ce deuxième type d’informations qui intéresse le plus directement la littérature et par lequel un écrivain révèle ses choix véritables, consciemment assumés et, à ce titre, pleinement intégrés à l’œuvre.

Que dire donc de l’enfance et de l’adolescence de Charles ? Elles ont sans doute été semblables à celles de ces rejetons de la bourgeoisie du premier xixe siècle, où l’on retrouve les mêmes stigmates : les séquelles de l’Histoire - la Révolution et l’Empire -, la froideur convenue des manifestations d’affection parentale, qui froisse secrètement l’enfant tout en développant en lui une sentimentalité inassouvie et excessive, le lien inégal au père (absent, occupé ailleurs, vieux ou mort) et à la mère (d’autant plus proche de ses enfants qu’elle a en commun avec eux l’infériorité sociale), et, par-dessus tout, l’ennui que distillent, notamment dans les villes de province, une vie trop bien réglée et l’ambiance carcérale des établissements d’enseignement.

Donc, le père de Charles, François Baudelaire, né en 1759, est l’un de ces innombrables clercs du xviiie siècle, ecclésiastiques par vocation intellectuelle mais vivant, comme précepteur dans son cas, dans les parages de la haute aristocratie.

Veuf en 1814, il se remarie cinq ans plus tard - à l’âge de soixante ans - avec Caroline Defayis, qui est alors âgée de vingt-six ans.

Charles naît le 9 avril 1821, à Paris - il est, avec Musset, le seul parisien de naissance parmi les grands poètes du xixe siècle - ; il perd son père alors qu’il a six ans, en 1827 ; sa mère, enceinte, se remarie le 8 novembre 1828 avec le commandant Aupick, mais donne naissance, moins d’un mois après le mariage, à un enfant mort-né, et n’aura donc pas d’autre descendant que Charles.

Pour le reste, rien que de très banal.

Pour autant qu’on le sache, Jacques Aupick fut un beau-père attentif et soucieux de ses responsabilités éducatives : sa longue carrière, d’officier puis de diplomate, permet d’ailleurs d’esquisser le portrait d’un homme d’ordre sans aucun doute, mais capable d’intelligence et d’appréciation des situations dans l’exercice de son autorité.

Quant à Charles, il a, comme la plupart des jeunes bourgeois de son époque, passé les plus claires années de son enfance et de son adolescence en pension - à Lyon, puis à Paris.

Et, la vie de collège étant ce qu’elle était, il est exclu pour indiscipline en 1839 de son collège - le futur lycée Louis-le-Grand -, la même année que Gustave Flaubert, son exact contemporain, et passe donc lui aussi le baccalauréat comme candidat libre.

Par ailleurs, deux traits caractérisent l’élève.

Pour les premières années, on dirait, selon le langage convenu des bulletins scolaires, que, doué mais paresseux, il « pourrait mieux faire » : on est frappé, dans ses lettres à son frère Alphonse ou à sa mère, du nombre de déclarations de repentance et de promesses de s’amender, d’améliorer ses notes et ses classements, de mériter l’affection de ses proches - tous engagements solennels accompagnant des requêtes immédiates et concrètes.

Cependant, à partir de la troisième, Charles fait indiscutablement figure, malgré son manque d’acharnement, d’élève brillant.

D’élève brillant, c’est-à-dire, comme ce sera le cas de Rimbaud, autre fort en thème, d’expert passionné de rhétorique et de latin, selon les normes scolaires de l’époque.

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