Le 24 février 2022, après des mois d’incertitude stratégique aux frontières russo-ukrainiennes, le président russe Vladimir Poutine a déclenché une offensive militaire en Ukraine. Cette attaque a confirmé les intentions agressives de la Russie qui avait amassé des forces militaires à la frontière ukrainienne depuis le mois de décembre 2021. Plusieurs mois après cet événement, le 24 février 2022, les manœuvres d’invasion de l’Ukraine par la Russie altèrent profondément le cadre des activités spatiales en rompant des partenariats liés dès la guerre froide, notamment entre les États-Unis et la Russie. Cette stratégie ouvre de fait la porte à de nouveaux acteurs désireux d’investir ce milieu stratégique clé.
Pays frontalier de l’Ukraine et de la Pologne, la Biélorussie vient de changer sa constitution pour devenir un État nucléarisé. Le référendum du 27 février 2022 a approuvé à plus de 65% les amendements constitutionnels proposés, actant ainsi la fin du statut antérieur du territoire biélorusse, jusqu’alors désigné comme une zone neutre et non-nucléaire.
Le 21 novembre 2024, l’armée russe tirait contre le complexe industriel ukrainien de PivdenMash/YuzhMash (ex-usine 586), près de la ville de Dnipro, un missile inconnu auquel la propagande du Kremlin a donné le nom d’Oreshnik et qu’elle a présenté comme un missile à moyenne portée (MRBM) ou à portée intermédiaire (IRBM), c’est-à-dire ne portant pas au-delà des 5500 km fixés par le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987 (FNI). Selon le ministère ukrainien de la Défense, l’Oreshnik était accompagné d’au moins un Kinzhal et de sept Kh-101 (missiles air-sol), signe probable que l’usine est toujours en activité et continue à produire pour l’armée ukrainienne.
Commençons par examiner la propagande russe : l’Oreshnik serait un missile balistique de portée moyenne ou intermédiaire, dual, c’est-à-dire qu’il emporterait, selon la mission fixée, une charge militaire nucléaire (comme jadis le Pioner/SS-20 de la crise des Euromissiles) ou conventionnelle. Le tir contre Dnipro confirme cette hypothèse. Les images des débris, récemment diffusées par l’armée ukrainienne, montrent ce qui pourrait être les débris du bloc propulsion du conteneur des sous-munitions, bloc qui serait donc tombé au même endroit que ces dernières. Dès lors, se pose la question de savoir s’il existe en Russie un programme récent de développement de MRBM/IRBM ? Officiellement, la réponse à cette question est négative - quoi qu’ambiguë comme on va le voir - mais le retrait russe du traité FNI (2019) et les tensions géopolitiques liées au conflit ukrainien rendent la chose possible.
Selon les renseignements militaires ukrainiens (GUR), Oreshnik (noisetier) serait le nom du projet expérimental, le système lui-même prenant le nom de Kedr (cèdre). La Russie n’en possèderait pas plus de deux. L’Oreshnik/Kedr, toujours selon le GUR, aurait été testé (comprendre probablement en version définitive MRBM/IRBM avec sa charge militaire spécifique) au centre d’expérimentation Mayak du 4ème polygone central d’Etat de Kapustin Yar en octobre 2023 et en juin 2024.
Lire aussi: Missile chinois et Polynésie
L’expert russe Dmitri Kornev estime que l’Oreshnik serait une évolution d’un des missiles du système Iskander, doté, notamment, d’un moteur à combustible solide de nouvelle génération. Reste à savoir, naturellement, si ce 9M729 d’une longueur inférieure à 8 mètres, d’un diamètre de 53 cm et d’une masse au décollage de seulement 2,3 tonnes (contre 36 tonnes pour le RS-26) est capable, sans d’importantes et coûteuses modifications, d’emporter la charge militaire (6 corps de rentrée à 6 sous-munitions chacun) qui est tombée sur Dnipro, voire plusieurs têtes nucléaires ?
Evoquer le Topol-E ou ME, un ancien SS-25 spécialement modifié pour tester, selon l’état-major russe, les « nouvelles têtes du futur ICBM » (du RS-28 Sarmat ?), revient en réalité à réexaminer l’hypothèse RS-26 Rubezh, dans la mesure où ce missile n’est lui-même qu’une (lointaine) modernisation/évolution du SS-25.
Une autre hypothèse mérite d’être étudiée, même si elle est fragile, voire hasardeuse : celle d’un missile d’origine étrangère, iranienne, chinoise, voire nord-coréenne. On sait, par exemple, que l’Iran développe depuis plusieurs années des corps de réentrée manœuvrants à sous-munitions pour ses systèmes Shahab-3/Ghadr (variante du DF-21 chinois) et Shahab-6 (variante du Taepodong 2 nord-coréen).
Les images vidéos du tir du 21 novembre 2024 montrent l’arrivée au sol à très grande vitesse, selon un angle très légèrement incliné, de six corps de rentrée (RV) qui semblent délivrer à leur tour des objets plus petits. Leur impact sur l’objectif ne semble provoquer ni explosion, ni incendie. Plusieurs analystes évoquent 6 munitions/RV, chacune munie de 6 sous-munitions. Les débris au sol sont ceux d’un seul missile et non de plusieurs (cas d’une frappe groupée).
Les déclarations de V. Poutine, le 29 novembre 2024 lors du sommet d’Alma-Ata, laissant entendre que le missile pourrait percer des structures fortifiées/enterrées/durcies sur une profondeur équivalente à « 3 ou 4 étages », vont bien dans le sens d’un emploi non-nucléaire de l’Oreshnik. Etant donné le large éventail nucléaire, tactique et stratégique, qu’offre l’arsenal militaire russe, l’Oreshnik devrait donc être prioritairement affecté à des missions conventionnelles, tout en servant, en cas de conflit, et en raison même de sa dualité, de marqueur politique (c’est-à-dire de marqueur de seuil entre conventionnel et nucléaire).
Lire aussi: Analyse des spécifications des missiles balistiques russes
Dans son allocution, Vladimir Poutine a dénoncé les deux frappes réalisées ces derniers jours par l'Ukraine en territoire russe à l'aide de missiles américains ATACMS et britanniques Storm Shadow. La porte-parole de la diplomatie russe a assuré que la réponse de Moscou « se ferait sentir » en cas de tir par l’Ukraine de missiles américains à longue portée.
Les États-Unis ont de leur côté effectué dans la nuit du 20 au 21 mai, comme annoncé, un tir d’essai du missile balistique intercontinental Minuteman III (dépourvu de charge nucléaire), depuis la base spatiale de Vandenberg (Californie).« Ce tir d’essai s’inscrit dans le cadre d’activités de routine visant à démontrer que la dissuasion nucléaire des États-Unis demeure sûre, sécurisée, fiable et efficace pour dissuader les menaces et rassurer nos alliés », a indiqué la base militaire dans un communiqué.
Ce tir, scruté de près, suscite des inquiétudes : d’une part, parce que ce missile peut être équipé d’ogives nucléaires, et d’autre part, parce qu’il marque l'apparition d’une nouvelle arme de l’arsenal russe, dont Moscou affirme qu’elle est capable de changer le cours de la guerre… Mais faut-il croire l'état-major russe ? Que révèle l’usage de ce missile sur la rhétorique nucléaire de Vladimir Poutine ? Que nous apprennent ces frappes sur l’évolution stratégique du conflit ?
L'utilisation d'un tel type de missile est en grande partie motivée par des objectifs politiques. La frappe n’a que peu d'impact militaire aux yeux d'Héloïse Fayet, mais "elle envoie un message politique aux pays occidentaux pour qu'ils réduisent leur soutien à l'Ukraine". Le président russe, Vladimir Poutine, cherche également à rappeler à travers cette manœuvre qu'il dispose d'alternatives à la menace nucléaire.
Nom du Missile | Type | Portée | Charge |
---|---|---|---|
Oreshnik/Kedr | MRBM/IRBM | Moyenne à Intermédiaire | Nucléaire ou Conventionnelle |
Kinzhal | Hypersonique | Inconnue | Inconnue |
Kh-101 | Air-Sol | Inconnue | Inconnue |
RS-26 Rubezh | IRBM | 3000-5500 km | Nucléaire |
Iskander (9M729) | Sol-Sol | Inconnue | Inconnue |
Topol-E/ME (SS-25) | ICBM Modifié | Inconnue | Tests de Têtes Futures |
Minuteman III | ICBM | ~6700 km (test) | Nucléaire (test sans charge) |
Lire aussi: Enjeux du nouveau tir de missile nord-coréen
tags: #tir #de #missile #impact #russie