C'est la version foot de la roulette russe : cinq balles sur le point de pénalty, et en général une qui ne rentre pas. 5 fois sur 10 en compétition, les Bleus s’en sont sortis à cette loterie.
Les quarts de finale de la Coupe du monde 2022 au Qatar nous ont réservé un spectacle incroyable avec des dénouements exceptionnels lors des séances de tirs au but haletantes. Mais dans l’histoire du Mondial, d’autres séances ont marqué l’histoire, que ce soit avec l’équipe de France, le Brésil ou encore l’Italie.
Et pour assister à la première séance des tirs au but en Coupe du monde, il faut remonter 40 ans en arrière. C’était en 1982, à Séville, dans une rencontre qui a d’ailleurs écrit l’histoire du football français : France-RFA.
Les Allemands ont déjà expérimenté ce type d’épreuve lors de la finale du Championnat d’Europe en 1976. Ce jour-là, ils s’étaient inclinés mais aucun des joueurs ayant participé à cette séance n’est présent à Séville.
Après l’invraisemblable scénario des prolongations, où quatre buts sont inscrits en 17 minutes, arrive donc la première séance de tirs au but de l’histoire de la coupe du monde. Les Bleus sont si épuisés qu’on voit mal comment Michel Hidalgo va faire pour trouver cinq volontaires.
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Ce sera donc Giresse, Amoros, Rocheteau, Six et Platini. Les trois premiers marquent (avec une mention spéciale à Amoros qui n’a que vingt ans et dont le calme est sidérant).
En face, Stielike vient de tirer sur Ettori et Six, qui joue alors à Stuttgart, a l’occasion de donner un avantage quasi-définitif aux Bleus. Mais sa frappe du gauche est renvoyée par Schumacher, et Platini termine les poings serrés en lâchant un « fais chier ! » alors qu’il pensait envoyer les Bleus en finale.
A l’issue de la demi-finale, la France et la RFA sont à égalité 3-3, puisque Michel Platini a égalisé sur pénalty après l’ouverture du score de Pierre Littbarski avant que les Bleus ne prennent l’avantage en prolongations (Marius Trésor et Alain Giresse) puis se fasse rejoindre (Karl-Heinz Rummenigge et Klaus Fischer).
Les cinq premiers tireurs (Alain Giresse, Manuel Amoros et Dominique Rocheteau côté français, Manfred Kaltz et Paul Breitner côté allemand) marquent, tandis que le troisième tireur allemand, Uli Stielike, voit sa tentative repoussée par Jean-Luc Ettori. C’est donc presqu’une balle de match que Didier Six a au bout du pied, mais il est mis en échec par Harald Schumacher. Ce moment reste pour l’attaquant français le plus dur de sa carrière.
La série se poursuit avec deux réussites allemandes (Pierre Littbarski et Karl-Heinz Rummenigge) et une française (Michel Platini) qui mettent les deux équipes à égalité (4-4). Maxime Bossis est alors désigné comme sixième tireur français mais ne parvient pas à tromper le portier allemand. Quelques instants plus tard, Horst Hrubesch envoie l’Allemagne en finale.
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« Je n’étais pas prévu dans les cinq premiers tireurs donc je n’étais pas préparé psychologiquement à ce tir au but, explique le futur recordman des sélections. Je me souviens de mon départ du rond central et de ma marche jusqu’au point de penalty. Ça m’a paru durer une éternité. Je me disais : Qu’est-ce que je fais ? Je place le ballon où ? Je tire en force ? Est-ce que je le mets sur le côté droit, sur le gauche ? J’ai hésité jusqu’au bout. Je me suis toujours demandé pourquoi j’avais autant assuré le coup et essayé de placer le ballon à droite alors que j’étais tout à fait capable de le placer de l’autre côté ou de tirer en force au milieu. Plus de 2 000 fois, je me suis dit que j’aurais dû tirer autrement. Cet échec a traumatisé le Nantais au point qu’il n’a plus jamais tiré de penalty.
« Mais je n’en ai plus jamais tiré depuis ! Je suis resté traumatisé par ça. Après, dans le jeu, je n’ai pas été traumatisé car j’ai enchaîné avec une saison extraordinaire au FC Nantes, champion de France 82-83.
Quatre ans plus tard, c’est au terme de ce qui restera sans doute comme le plus grand match de son histoire que l’équipe de France se retrouve à l’épreuve des tirs au but contre le Brésil. Qu’elle en soit arrivée là tient du miracle, tant les Auriverde ont dominé et se sont créé des occasions à la pelle. Mais Bats et les poteaux se sont toujours trouvés sur la trajectoire, et ça continue pendant la séance de tirs au but.
Au terme d’un nouveau match épique (but de Careca, égalisation de Platini), les deux équipes ne peuvent se départager. C’est donc la séance des tirs au but qui déterminera le vainqueur de cette rencontre. Et cette fois, la réussite sourit aux Bleus.
Joël Bats, qui a déjà repoussé un penalty de Zico à la 75e minute, stoppe le tir de Socrates et voit son poteau faire échouer la cinquième tentative brésilienne (Julio Cesar).
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Menés rapidement après l’ouverture du score de Careca (1-0, 17e), les Bleus égalisent grâce à Platini servi par Rocheteau peu avant la pause (1-1, 40e). Il ne le sait pas encore mais ce sera son 41e et dernier but avec l’équipe de France.
À vingt minutes de la fin, les Brésiliens ont une occasion en or de faire le break. Sur une balle perdue par Luis Fernandez, Zico - qui vient d’entrer en jeu - fait une ouverture sur Branco fauché dans la surface de réparation par Joël Bats. Penalty.
Le portier français fait preuve d’une certaine sérénité quand la séance démarre, d’autant plus qu’il a déjà mis Zico en échec sur ce genre d’exercice au cours du match. « Je le dis souvent : dans une séance de tirs au but, un gardien a cinq chances de réaliser un arrêt alors que le joueur n’a qu’une seule chance, le rapport de forces est donc favorable au gardien. J’avais vu Socrates marquer un penalty lors du premier tour contre la Pologne en s’arrêtant dans sa course d’élan puis en frappant croisée en hauteur.
Le numéro 10 français se rappelle parfaitement de ces instants. « Je vais vers le point de penalty avec les chaussettes en bas. Je suis fatigué. Mais j’y vais pour marquer le but, pour remporter le match, pour envoyer le groupe en demi-finales et aller ensuite gagner la Coupe du monde. Je prépare le ballon, je le mets bien sur le point de penalty. Je tire en pensant le mettre en bas à droite, et le ballon part en haut à gauche. A ce moment-là, je pense à mes copains, à l’équipe, en me disant : “Merde, pour beaucoup c’est la dernière Coupe du monde et à cause de moi, c’est peut-être la fin d’une génération qui a fait de si belles choses mais qui ne gagnera jamais la Coupe du monde.” Ensuite, je pense aux gens qui m’aiment qui doivent être déçus à Paris, à ma famille. Mais comme Julio César manque sa tentative, Luis Fernandez a la balle de match sur le dernier tir des Bleus.
Avant le début de la séance, le milieu français avait demandé à son capitaine de tirer en cinquième. « Michel, quand je tire le cinquième, je marque toujours et on gagne. » Avant qu’il ne parte sceller le destin de ce match, Platini demande à son coéquipier de lui sauver la mise. Le petit bonhomme assure et envoie la France jouer sa seconde demi-finale de rang.
« La veille de la rencontre on était allé faire une séance d’entraînement à huis clos et j’avais repéré qu’il y avait une caméra cachée dans les tribunes. Elle devait appartenir aux Brésiliens… Je l’avais signalé à Luis Fernandez. Et il m’avait dit : « Reste avec moi à la fin de l’entraînement, je vais te tirer des penaltys. Je vais tous les tirer à gauche et demain je frapperai à droite » Il m’a tiré cinq penalties à gauche et le lendemain cela se termine aux tirs au but et lorsque c’est à Luis de tirer, le gardien part complètement à gauche.
Le héros de ce match est pourtant Joël Bats, qui arrête deux des penalties brésiliens (celui de Zico dans le jeu, puis celui de Socrates lors de la séance de tirs au but) et voit le poteau en repousser un troisième.
Jean-Luc Ettori stoppe le tir de Uli Stielike en 1982, mais encaisse cinq buts. Joël met en échec Socrates puis est sauvé par son poteau sur la frappe de Julio Cesar, et encaisse trois penalties entre temps.
Côté tireurs, seuls Michel Platini et Manuel Amoros tirent en 1982 et 1986. Si le défenseur réussit les deux, le numéro 10 des Bleus envoie sa balle hors cadre en 1986 mais marque en 1982. Les autres joueurs ayant fait trembler les filets sont Alain Giresse et Dominique Rocheteau en 1982, Yannick Stopyra, Bruno Bellone (qui envoie son ballon sur le poteau, avant de rebondir sur le gardien et de rentrer) et Luis Fernandez en 1986.
Dans son livre « Histoires insolites de la Coupe du monde », Frédéric Veille raconte les conséquences dramatiques de ce tir au but victorieux au Brésil : « Sept morts, une tentative de suicide et plus de 2.000 hospitalisations, tels sont les chiffres livrés par les autorités brésiliennes sur la nuit du 21 juin 1986 qui a suivi la défaite de l’équipe nationale du Brésil face à la France, en quart de finale de la Coupe du monde 1986, au Mexique.
Il faudra attendre quinze ans pour revoir un tel exercice, et il n’aura pas plus de succès que le précédent. Le 28 juin 2021 à Bucarest contre la Suisse en huitième de finale d’un Euro dont ils sont les favoris, les Bleus se cassent les dents en étant poussés à la prolongation après avoir menés 3-1 à un quart d’heure de la fin. Lors de la séance de tirs au but, Paul Pogba, Olivier Giroud, Marcus Thuram et Presnel Kimpembe font le job, tout comme les cinq tireurs suisses. Il ne reste plus que Kylian Mbappé, qui a raté plusieurs fois le cadre pendant le match.
Il ne fallait pas en arriver là : contre l’Argentine en finale de la Coupe du monde 2022, et contre Emiliano Martinez, grand spécialiste du genre, alors que deux des spécialistes français de l’exercice (Giroud et Griezmann) ne sont plus sur le terrain, on se doutait que la séance de tirs au but allait être douloureuse. Et ça n’a pas raté. Alors que les quatre tireurs argentins transformaient leur tentative (2-4), les Bleus échouaient deux fois par Kingsley Coman et Aurélien Tchouaméni, rendant inutiles les tirs victorieux de Kylian Mbappé (le premier) et de Randal Kolo Muani (le quatrième). Perdre une finale de Coupe du monde aux tirs au but, c’est très dur.
Et c’est au moment où on ne les attendaient plus que les Bleus en ont enfin gagné une : le 5 juillet 2024 contre le Portugal à Hambourg. Au terme d’un match très frustrant où ils ont encore canardé les tribunes, et alors que Griezmann et Mbappé étaient sortis et que Giroud n’avait pas pu rentrer (changement demandé à la 120e...), les cinq tireurs ont tous marqué (5-3), même si la liste était plutôt improbable : Ousmane Dembélé, Youssouf Fofana, Jules Koundé, Bradley Barcola et Théo Hernandez, le seul spécialiste de la série.
En dominant le Portugal aux tirs au but (0-0, 5-3 aux t.a.b.), la France a remporté sa première séance de tirs au but en grande compétition depuis le quart de finale de la Coupe du monde 1998 face à l'Italie (0-0, 4-3 aux t.a.b.).
C'est Laurent Blanc qui détient le record de tirs au but réussis, avec quatre tentatives entre 1996 et 1998. Youri Djorkaeff en a lui aussi tiré quatre mais il en a manqué un, certes anecdotique contre le Maroc. Enfin, Zinedine Zidane en a réussi trois sur trois (96 et 98), toujours en premier tireur.
Les bilans des pays aux tirs au but en Coupe du monde :
Pays | Victoires | Séances | Réussite |
---|---|---|---|
Argentine | 6 | 7 | 85,71% |
Allemagne | 4 | 4 | 100% |
Croatie | 4 | 4 | 100% |
Brésil | 3 | 5 | 60% |
France | 2 | 5 | 40% |
Italie | 1 | 4 | 25% |
Angleterre | 1 | 4 | 25% |
Espagne | 1 | 5 | 20% |
Avec quatre victoires en autant de séances de tirs au but, la Nationalmannschaft est d’ailleurs toujours invaincue en Coupe du monde. À l’inverse, l’Italie, les Pays-Bas, l’Angleterre (une victoire en quatre tentatives) et l’Espagne (1/5) font figure de mauvais élèves. La France, deux victoires en cinq séances de tirs au but, a eu plus de réussite dans l’exercice.
En quatre séances de tirs au but, toutes remportées, les joueurs allemands ont converti 17 de leurs 18 essais (94 % de réussite). Seul Uli Stielike, lors de la nuit de Séville terrible pour les Français, a manqué sa tentative. Cet échec n’a pas empêché l’Allemagne d’être sacrée lors de la Coupe du monde 1982 en Espagne après avoir remporté la première séance de tirs au but de l’histoire de la Coupe du monde contre les Bleus en demi-finales.
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