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Fréquemment décrite par les autorités civiles ou religieuses des XVIIe et XVIIIe siècles comme violente et libertine, la population des travailleurs forestiers itinérants (bûcherons, fendeurs, charbonniers...), étudiée dans cet article, se révèle bien plus conforme aux normes et aux valeurs dominantes de l'Ancien Régime qu'on aurait pu s'y attendre. Loin d'être des bandits ou des marginaux, les femmes et les hommes des bois s'attachent à maintenir une stricte discipline au sein de leur groupe, ainsi que des relations pacifiques avec les gens du terroir.

Mais les pratiques autonomes de régulation embarrassent l'administration civile, la hiérarchie religieuse et le patronat qui diffusent une image caricaturale et dépréciative de ces migrants, dans le but de mieux contrôler leur déplacement et leur organisation interne.

La perception biaisée des élites

Les appréciations caricaturales lues ça et là sur ce que nous avons appelé le « peuple de la forêt » ne font finalement que reproduire la perception également biaisée des élites du temps. Charbonniers, fendeurs, bûcherons souffrent en fait de vivre à l’écart des bourgs et des hameaux, dans ces cahutes rassemblées en villages provisoires (ou loges), à l’orée d’un taillis ou dans une trouée de la futaie. Ils sont victimes de leur environnement quotidien - la forêt - qui leur communique sa dimension fantasmagorique de royaume de l’ombre, de dédale végétal protégeant l’impunité du brigand, du maraudeur et du fugitif.

Hôtes des marges du terroir, ces forestiers sont ainsi enveloppés d’un soupçon d’illégalité ou de sorcellerie, à plus forte raison le charbonnier, dont la maîtrise du feu et la gueule noircie par les cendres de sa meule éventrée renforcent l’assimilation symbolique à un univers de forces chthoniennes d’essence diabolique. La volatilité est une autre composante du mode de vie de ces ouvriers qui attise la méfiance des populations locales.

La présence des forestiers dans une paroisse ne dure en effet que le temps d’un chantier d’abattage, une dizaine d’années tout au plus. Marginalité et mobilité permanentes : ces deux caractéristiques du « peuple de la forêt » embarrassent aussi grandement les autorités morales et politiques. Elles leur posent un véritable dilemme au fur et à mesure que grandissent tant les besoins en matériaux et en combustible de l’industrie métallurgique ou de la construction navale que l’impératif absolutiste visant à contrôler le déplacement d’ouvriers spécialisés, dont la cohésion forte est aussi un ferment de tendance libertaire et de rébellion à l’ordre établi.

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Les forestiers représenteraient ainsi une sorte d’humanité particulière, primitive et mutine, à la lisière du monde civilisé : « ces fendeurs de bois », écrit en 1712 l’intendant de Moulins Turgot, « sont un peuple assez sauvage, toujours armé de cognées, serpes et haches, qui se secourent mutuellement. »

À moins qu’elle ne trahisse la volonté d’en diffuser une image apocalyptique. Le portrait qu’en 1737, Henry de Greuille, maître des Eaux et Forêts du duché de Châteauroux, dessine de la population des loges établies en bordure de la forêt de Châteauroux est tout autant révélateur de l’opinion extrêmement dépréciative que l’administration forestière, - et avec elle, sans doute, une bonne partie de la classe dirigeante -, se fait de cette société évoluant en marge du contrôle étatique.

Activités illégales et fiscalité

Certaines de ces accusations sont corroborées par d’autres sources. C’est par exemple le cas du faux-saunage. Des trafiquants venaient s’abriter dans les forêts, se mêlant aux ouvriers qui travaillaient sur les coupes. Ils y étaient d’autant mieux acceptés qu’ils permettaient aux forestiers de s’approvisionner en sel au meilleur prix.

Il ne fait guère de doute, non plus, que les forestiers nomades aient pu être de mauvais contribuables. Le déplacement régulier permettait à certains de s’affranchir aisément de l’obligation fiscale. La généralisation de cette indocilité est toutefois à nuancer. Car un nombre significatif de forestiers sont bien inscrits avec leur cote fiscale, ce qui tendrait à prouver que le tableau d’Henry de Greuille tient davantage de la fabrication d’une réputation que du constat objectif.

Organisation sociale et relations avec le voisinage

Il est tout aussi abusif de se représenter cette sorte de « banlieue rurale », formée en habitat précaire par une réunion de cabanes, comme une « espèce de République », c’est-à-dire une enclave autarcique, potentiellement séditieuse ou, pour utiliser un vocable anachronique, une « zone de non-droit ». Mais les loges d’Ardentes muées en villages durables restent une exception.

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La plupart du temps, la durée de vie de ces petites agglomérations de planches et de branchages n’excède pas quelques saisons de coupe et rend nécessaires des contacts réguliers avec le voisinage, comme avec les agents subalternes des autorités, royales, féodales ou religieuses. Des rapports se tissaient entre ces familles et celles du finage, déterminés notamment par une dépendance alimentaire du forestier à ne pas sous-estimer (puisqu’il ne dispose pas d’espace à cultiver), et donc par son insertion dans les circuits ordinaires de l’échange de biens et de services.

Ajoutons que ces sociétés forestières ne sont pas composées que d’hommes : elles sont également structurées par les liens familiaux, ceux d’une parentèle à la fois éclatée et élargie, mais surtout ceux du noyau conjugal. Les femmes des deux mondes se côtoyaient sans doute au lavoir et à l’office.

Conflits et justice interne

L’agressivité des hommes des bois à l’égard de la société du terroir est souvent réaction plus que provocation gratuite. Elle se nourrit manifestement de la fréquentation régulière des tavernes et trouve un point de focalisation des plus communs dans l’usage de l’espace agricole.

Si les anciens du groupe avaient sans doute pour rôle de contrôler les débordements de violence de leur jeunesse sur le monde extérieur en enrayant le cycle des vengeances, c’est en fait progressivement au commis des bois que revient la responsabilité de la discipline au sein du chantier. Sa présence est attestée sur les coupes en Berry depuis au moins le milieu du XVIIe siècle, mais n’est pas toujours visible dans les sources. Le commis était généralement choisi parmi les fendeurs sachant lire et écrire : sa tâche consistait à enregistrer le nombre de sacs de charbon destinés à être convoyés et à vérifier leur bon remplissage.

Au final, la violence des forestiers reste plutôt circonscrite à leur propre communauté, ne débordant qu’exceptionnellement au-delà de ses frontières, sur le territoire des populations sédentaires. Probablement réglée et punie par une justice interne dont on ignore tout, elle reste du coup invisible dans les sources, sauf dans les cas où elle aboutit au décès d’un des ouvriers, nécessitant alors le recours à la société extérieure, à tout le moins au curé pour le service d’inhumation.

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