J'ai appris récemment qu'en Angleterre, une université - de Liverpool, ça ne s'invente pas - consacre un cursus master en art aux Beatles, et ça ne m'étonne pas. Si l'on considère que la musique est un élément essentiel de notre existence, au niveau individuel comme au niveau social pour les cas les plus caractéristiques, alors les enseignements que l'on peut tirer des œuvres les plus marquantes sont sans doute au moins aussi valables que certaines théories fumeuses de microéconomie. Dans cette optique, certains disques sont tellement bons, tellement fondamentalement réussis, que personne ne devrait être autorisé à passer à côté.
Parlons un peu contexte avant de parler musique: en 1966, les Beatles avaient largement pris les rênes de la pop internationale, à coups de cravache. Pas moins de six albums seront publiés entre 63 et 65, plus des tournées et des long-métrages. La Beatlesmania bat son plein. Pourtant, l'album "Rubber Soul" sera un tournant, discret, qui verra le groupe se replier sur lui-même et sur son travail de studio. Seule l'expérience en tant que producteur de Brian Wilson permettra aux Beach Boys de présenter un concurrent à peu près valable (le superbe "Pet Sounds").
Pour comprendre l'immense réussite que représente le disque, il faut décomposer l'admiration béate en deux admirations. En premier lieu, chaque morceau de ce disque est un modèle parfait de musique pop. Au plus profond des titres les plus sinueux, les mélodies restent éclatantes et les harmonies vocales sont toujours aussi enchanteresses, quelle que soit leur sophistication (du simplissime 'Good Day Sunshine' au délicat 'Here, There, & Everywhere'). Tous les titres sont des tubes en puissance.
Le deuxième motif de réjouissance vient des expérimentations utilisées. Bien loin du bruitisme auquel céderont plus tard nombre de groupes, les Fab Four ne gardent que des sons, des idées, des petits motifs musicaux. Jamais la recherche sonore ne défigure les morceaux, et tout ce qui est tenté marche avec insolence: le titre 'Eleanor Rigby' n'est joué qu'avec des instruments classiques, George Harrison prouve son amour pour la musique indienne sur 'Love You To', le solo de 'I'm Only Sleeping' est le tout premier joué à l'envers, etc... À chaque fois, le travail réalisé est digne d'un orfèvre, tout en retenue et en pertinence (quelle délicatesse dans l'utilisation des cuivres sur 'For No One', pourtant le titre en est transcendé).
Après la sortie de cet album, la popularité des Beatles atteindra son apogée. Après "Revolver", les Beatles cesseront de donner des concerts. Une nouvelle ère s'ouvre pour eux, qui les mènera vers la fin du groupe.
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Paru le 5 août 1966 et 3 jours plus tard aux Etats-Unis (avec une liste de chansons différentes), Revolver est le septième album des Beatles. Cet album marquera un tournant dans la carrière des anglais car il marque la fin du côté "bons garçons" du quatuor. Rubber Soul est sorti le 3 décembre 1965 et avec lui, débutait cet ère des Beatles "studio". McCartney, Lennon, Starr et Harrison délaissent quelque peu la scène et se consacrent plus à l'exercice studio. Ils prennent leur temps pour composer, travailler, peaufiner leurs titres.
Le producteur est une fois de plus le magicien George Martin, à qui le quatuor britannique demandait des effets de plus en plus complexes. Les Beatles sont restés en studio du 6 avril au 20 juin 1966. C'était une période excitante et innovante à la fois car les idées qui fusaient constamment de la part de McCartney, Lennon et Harrison étaient perçues positivement par George Martin et l'ingénieur du son Geoff Emerick, âgé d'à peine vingt ans à l'époque.
Ce dernier change complètement la manière d'enregistrer la batterie en positionnant les micros plus près des fûts, en « assourdissant » la grosse caisse à l'aide de vêtements placés à l'intérieur, le jour même de son entrée en fonction, le 6 avril 1966, et la basse, en se servant d'un haut-parleur comme micro placé en face de l'ampli.
Preuve flagrante que Revolver est un album où les Beatles ont enfin pris leur temps pour enregistrer, il contient quatorze titres dont trois composés par George Harrison. Taxman, écrit par Harrison est un rock chanté par Harrison lui-même. Le guitariste a indéniablement passé un cap dans son style d'écriture plus aboutie. Le solo de McCartney prouve l'amour que le groupe a pour la musique indienne, très en vogue à l'époque.
Eleanor Rigby est aujourd'hui devenu un hymne, un tube international. Le quartet de cuivres est enregistré sur quatre bandes distinctes qui seront ensuite mixées sur une seule. Quand on parlait d'innovation et de nouvelles idées. Les trois bandes restantes sont utilisées pour la voix et les choeurs. Chanson de Paul McCartney, Eleanor Rigby parle de ces vieilles dames qui permettaient à l'enfant que Paul était de faire quelques petits boulots pour gagner 1 shilling. Eleanor Rigby s'inspire de l'une de ces vieilles dames que Macca aimait bien. Le nom, Eleanor Rigby, est gravé sur une tombe du cimetière de l'église St Peter à Woolton, Liverpool. Il est resté imprimé dans l'inconscient de McCartney. Le quartet de cordes sur cette chanson donne un certain style et McCartney devient en quelque sorte la figure harmonique dominante du groupe.
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I'm Only Sleeping, porté par Lennon, est un manifeste sur la paresse. Le solo de guitare est passé à l'envers. Encore une prouesse technique. John Lennon transmet sur trois titres ses expériences avec le LSD, dont il est très friand à l'époque. Doctor Robert mis en quatrième position sur la face deux du vinyl raconte l'histoire véridique d'un médecin newyorkais prêt à prescrire toutes les pilules qu'on lui demandait. Lennon raconte ses expériences d'acide également dans She Said She Said tandis que Tomorrow Never Knows écrit sous acide traite de préceptes du bouddhisme tibétain.
L'admiration pour l'Inde de George Harrison est totalement évidente et écoutable sur Love You To, composé spécifiquement pour le sitar, instrument indien emblématique s'il en est. Harrison y joue aussi de la tampoura (instrument à cordes proche du luth). Here, There And Everywhere est influencé par les harmonies vocales des Beach Boys (le morceau God Only Knows) , très en vogue à l'époque. Ce titre est le préféré de McCartney. Yellow Submarine est un tube. Hier et aujourd'hui. Comme l'explique McCartney, une grande partie du sous-texte était que les Beatles vivaient dans leur propre capsule. Dans une atmosphère protectrice. Le morceau est chanté par Ringo Starr.
Good Day Sunshine est né du désir du duo Lennon/McCartney d'écrire une chanson sur le soleil comme l'avaient fait des groupes comme The Lovin' Spoonful (Summer In The City et Daydream) et aussi les Kinks avec Sunny Afternoon. Les texte est assez simple, il parle d'amour et de soleil. Le rythme de la chanson reste proche de celui de Yellow Submarine. Le piano quelque peu funky de George Martin, emmène le tout. C'est Lennon qui est à l'origine de And Your Bird Can Sing, une petite chanson psychédélique qui reprend et développe des effets de guitare qui n'apparaissaient que discrètement à la fin de Ticket to Ride.
Le titre suivant, For No One, "est une chanson sur l'abandon, la rupture, ce moment où l'on acte la fin d'une relation qui ne marche plus", dixit Macca. Beaucoup de personnes pourraient s'identifier à ce titre. McCartney raconte la fin de son histoire avec Jane Asher et ça le déchire. C'est une descente d'accords et Paul se montre un maitre des harmonies. Cette chanson s'est imposée comme une évidence à McCartney. Sans doute une thérapie car après cette rupture il a connu Linda.
I Want To Tell You est l'oeuvre de Harrison. Il essaie d'exprimer sa difficulté à ... s'exprimer avec des mots. C'est un rock, avec un piano (McCartney) qui prédomine, ainsi qu'une guitare, totalement dans l'esprit des Beatles de l'après Rubber Soul. Harrison chante ce morceau en la majeur. Il est rejoint dans les choeurs par Lennon et McCartney. Got to Get You Into My Life est une ôde à la marijuana. Elle est entrée dans la vie des Beatles par l'intermédiaire de Bob Dylan en 1964 à New York. Ce n'est pas une histoire d'amour avec une femme, c'est juste une histoire d'herbe. Les Beatles y introduisent des instruments comme les cuivres, comme dans ces disques américains de soul et rhythm'n'blues que McCartney affectionnait à l'époque. Donc beaucoup de trompettes et de saxophones. Le tout sonne comme une bande originale de film des années 60.
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Tomorrow Never Knows est une chanson écrite par John Lennon. Elle est en dernière piste de l'album mais fut la première à être écrite. Par bien des touches, elle marque le début de la période psychédélique des liverpuldiens. Lennon est très influencé une fois de plus par la musique indienne. Une série de boucles sonores est injectée dans le morceau grâce au génie de l'ingénieur du son Geoff Emerick. Le rythme est répétitif mais assez addictif. Une fois n'est pas coutume, la rythmique est lourde et Ringo Starr abat un incroyable boulot derrière sa batterie et ses percussions.
La pochette est une oeuvre de Klaus Voormann, ami des Beatles depuis leurs débuts à Hambourg. C'est un mélange de collages, de vieilles photos et de dessins. Voormann y a même mis sa propre photo juste au-dessous de sa signature. Avec cette pochette les conventions photographiques des pochettes de disques évoluent et changent complètement. Un album innovant, où les nouvelles formes d'enregistrements et d'arrangements fusent. Même la pochette de l'album parait audacieuse pour l'époque.
La remastérisation 2022 de Revolver est proprement fabuleuse.
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