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Dans de nombreuses villes françaises, entre les XVe et XVIIe siècles, parmi les espaces de convivialité et de sociabilité les plus fréquentés, on trouve des lieux dédiés à une forme d’association méconnue : « les compagnies des chevaliers des nobles jeux ».

Ce présent article propose d’étudier les territoires de présence et d'action de ces compagnies dans leurs activités publiques. Seront analysés dans un premier temps les jardins d’exercice des nobles jeux, afin de déterminer si leurs emplacements dans les villes étaient dans ou hors des murailles. Ensuite, les missions réalisées par ces compagnies seront abordées : s’effectuaient-elles aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des villes ? Enfin, les emplacements utilisés par les chevaliers lors de leurs Prix provinciaux et généraux seront analysés à travers l’exemple de celui qui fut rendu à Reims en 1687.

Les « jardins » d’exercice des nobles jeux

Emplacement des jardins des nobles jeux : dans ou hors les murailles ?

Pour s’exercer à leurs nobles jeux, les chevaliers s’assemblaient tous les dimanches de la belle saison dans leurs « jardins », pour y tirer des « prix ». Lorsque ces derniers n’étaient pas offerts par la ville, un officier du roi, un seigneur ou encore un officier ou chevalier de la compagnie, les tireurs payaient une mise avant de débuter le tir.

Les participants tiraient ensuite leurs flèches, carreaux ou balles vers les cibles afin de départager les meilleurs concurrents. Lesquels obtenaient un « prix » qui consistait généralement en des pièces d’orfèvrerie, comme des plats, salières ou couverts en étain.

Au regard des plans des XVIe et XVIIe siècles et des rares sources écrites mentionnant l’emplacement des jardins, il semble que ces lieux étaient généralement situés à l’extérieur des murailles. C’est le cas à Paris où, jusqu’en 1379, les arbalétriers s'exerçaient encore hors de la ville, dans un vaste espace nommé le Champ des Arbalétriers, placé le long des murailles près de la porte Saint-Denis.

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Il en est de même pour le jardin des arbalétriers de Chalon-sur-Saône, déplacé à plusieurs reprises dans différents endroits de même nature, entre 1360 et 1526. L’extension progressive des villes amène des quartiers à se développer à l’extérieur des lignes fortifiés. Lorsque les jardins extra-muros des compagnies ne déménagent pas, ils se retrouvent alors au sein de cette urbanisation nouvelle. Les plans lyonnais de 1619 et de 1700 témoignent de ce phénomène.

Ils montrent en effet que les jeux de l’arbalète et de l’arquebuse se déroulaient alors dans les « vieux fossés » situés à l’est de la ville. Cela étant, plus on avance dans l’époque moderne et plus les chevaliers semblent quitter progressivement leurs anciens fossés, qui ne devaient sans doute pas être des endroits très adaptés aux éléments (étuve brûlante en été, bourbier infect en hiver).

À partir du troisième quart du XVIe siècle, en particulier pour le jeu de l’arquebuse qui se généralise dans le Royaume, les chevaliers préfèrent investir un terrain à l’intérieur de l’enceinte et y ériger de beaux « jardins » dans le dessein de bénéficier d’un meilleur confort et d’une vitrine plus luxueuse.

Ainsi, de nombreux hôtels, pavillons et buttes de tir sortent de terre à cette période. Ce phénomène se retrouve avant tout dans la création de jardins de l’Arquebuse à Chalon-sur-Saône (1573), à Saint-Quentin (1604), à Dijon (1608), ou encore à Soissons (1626).

Si jusqu’au milieu du XVIIe siècle, beaucoup de compagnies sont encore localisées intra-muros, comme à Compiègne, à Reims, à Rouen ou à encore Troyes, sur la fin de ce siècle, les chevaliers des nobles jeux s’expatrient souvent à l’extérieur des murs comme à Dijon ou à Paris. Les raisons en sont multiples : pression immobilière au sein de la ville close, nuisances occasionnées par le jeu de l’arquebuse (le bruit et la peur des accidents), recherche d’espace pour s’ébattre et aménager un jardin luxuriant.

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Les lieux de la sociabilité pour la notabilité bourgeoise

Une fois que ces jardins quittent les fossés où ils étaient situés à l’origine, soit pour un autre fossé soit pour un lieu plus commode situé intra ou extra-muros, ceux-ci deviennent toujours de grands espaces fleuris, arborés, aménagés et décorés, accueillant un pavillon ou un hôtel bien ouvragé.

Par exemple, la maison des chevaliers de l'arc de Péronne, daté de la fin du XVIe siècle et restaurée en 1680, est ornée avec beaucoup de soin et de luxe. Pour réhausser l’éclat de la grande salle où se tenaient leurs assemblées, les chevaliers y placèrent de nombreux trophées d'armes, des pistolets, des casques, des arcs et des flèches, sans oublier les tableaux de maîtres.

Citons par exemple la peinture représentant la bataille de Rethel de 1650, à laquelle les chevaliers de l'arc de Péronne auraient pris une part importante. Il semblerait donc que, par cet élément de décoration, la compagnie cherchait à se glorifier de ce fait d’armes.

Présentons également un autre cas révélateur du luxe recherché : la grande salle du pavillon de l’Arquebuse de Soissons comptait dix vitraux, peints en 1622, représentant plusieurs sujets tirés des Métamorphoses d'Ovide, et dont les six plus grands faisaient environ dix pieds de haut, sur trois de large. Ces vitraux attiraient les visiteurs jusqu’au roi.

Ainsi, de passage à Soissons en 1663, Louis XIV, informé de la beauté de ces vitres peintes, voulut les voir. Reprenons la description de l’abbé de Fontenai :« Accompagné à l'Arquebuse par M. l'Intendant, après avoir passé l'espace d'une heure à en parcourir toutes les beautés, le roi demanda quatre de ces panneaux pour les faire placer dans son cabinet. La compagnie lui offrit la totalité. Mais quelques semaines plus tard, le roi n'y pensa plus ».

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En sus des pavillons, les jardins étaient aménagés pour contribuer à la belle image des compagnies : pelouses, statues, allées arborées, parterres de fleurs, ruisseaux, etc. Souvent subventionnés par les villes, les jardins de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse devinrent ainsi des espaces urbains de loisir luxuriant, accueillant des spectateurs-promeneurs venus pour admirer les lieux et l’adresse des tireurs.

Pour retenir ce public, en particulier les jeunes dames à convoiter, les chevaliers ne proposent pas uniquement un spectacle de tir. Comme dans bon nombre d’autres jardins urbains, moultes divertissements sont régulièrement donnés. Ainsi, s’y développent des échoppes, la pratique du lancer de dragées, l’organisation de courses légères, de tirs en l'honneur des dames, d’illuminations et de bals ou encore l’installation de tables réservées lors des banquets.

La diversité de ces loisirs intra et extra muros permet de renforcer la sociabilité qui, ici, attire essentiellement les élites urbaines ; les seules à être instruites des traités d’éducation à l’« art de jouer » qui émerge à la Renaissance.

Ainsi, qu’il s’agisse de tireur ou de promeneur-spectateur, les individus déambulent dans ces nouveaux lieux de sociabilité. Citons ainsi les propos des abbés Plomet et Courtepée à propos des exemples de Montpellier et de Beaune :« La civilité vient [y] côtoyer la courtoisie héritée de l’époque médiévale, elle donne naissance à l’honnêteté et, bien sûr, au gentilhomme qui, s’il veut se conformer à un idéal de vertu et de morale, devra suivre à la lettre les règles fixées ».

Avec sa fonction d’apparat et son rituel de distinction sociale, la promenade dans les jardins, pour les tireurs comme pour les promeneurs-spectateurs, participe à l’organisation des corps dans les espaces publics et privés.

Sortes de salon en plein air, il est de bon ton d’aller s’y promener mais aussi et surtout de s’y montrer, afin de regarder, dévisager et critiquer, aussi bien les tireurs que les autres promeneurs. Pour la ville, les enceintes des jardins des nobles jeux deviennent, en quelque sorte, les remparts d’un lieu de sociabilité d’excellence, où la civilité de la « cour » urbaine est autant mise en jeu que la dextérité des tireurs.

La renommée des jardins des nobles jeux est telle qu’à partir du quatrième quart du XVIIe siècle, on retrouve régulièrement ces lieux mentionnés dans des correspondances, almanachs ou encore sur les cartes et plans. Cet espace de promenade est aussi un endroit pour la diplomatie qui reflète à la fois la puissance des chevaliers des nobles jeux vis-à-vis des autres bourgeois de leur cité, mais aussi ceux des autres villes.

Missions des compagnies privilégiées

Missions à l’intérieur des villes

Exemptées des missions contraignantes de la milice bourgeoise dans bon nombre de villes - comme la garde et le guet des portes, des remparts ou encore des rues -, les autorités municipales et royales attribuaient plutôt à ces compagnies des missions de confiance, diplomatiques comme à Amiens ou sécuritaires comme à Pont-de-Vaux où la compagnie de l'arbalète était chargée de la garde de l'artillerie de la ville.

Dans le cas de sièges, d’émeutes ou d’incendies, les membres des compagnies devaient participer à la défense et à la sécurité de la ville. Bien que les statuts et règlements internes à ces associations évoquent ces engagements, dans la pratique leurs actions civiques et solidaires en faveur du bien-être de la communauté sont difficilement identifiables.

Concernant les faits de guerre, une seule action a pu être mise en lumière. Celle-ci concerne, non pas un acte guerrier, mais la participation aux réjouissances publiques célébrant le cessez-le-feu, réalisées à la gloire de leur ville ou du royaume triomphant. Ce constat confirme le fait que dans la pratique, les compagnies des nobles jeux recevaient le plus souvent des missions d’honneur et de sécurité lors des grandes fêtes et réjouissances urbaines organisées en temps de paix.

Les chevaliers des nobles jeux, arborant leurs uniformes d’apparat et leurs armes bien entretenues, en plus de jouer les gardes et protecteurs des pouvoirs royaux et municipaux, contribuaient à solennité et au rayonnement des processions, montres et entrées royales, princières et autres événements diplomatiques.

Généralement réalisées intra-muros, mais pas toujours, ces fêtes contribuaient à promouvoir l’unité citadine, bien qu’existât un cadre social dans lequel chacun tenait un rôle précis selon son rang social. Suivant la nature des cérémonies, les chevaliers des nobles jeux jouaient un rôle protecteur en encadrant les autorités royales, municipales et religieuses.

Ainsi, leurs corps étaient le reflet d’une enceinte mouvante, existante entre les autorités et le peuple, ce qui leur permettait par ailleurs d’affirmer leur place privilégiée auprès du pouvoir et ce, jusqu’à la Révolution.

Avec des missions d'honneur et de protection, les membres des compagnies s'inscrivent dans une tradition militaire où se mêlent fierté des acteurs et admiration des spectateurs. Ils devenaient eux-mêmes des symboles urbains, délégués au culte des emblèmes de la ville, comme l’étaient encore à l’époque les mousquetaires au sein du Royaume pour les rois.

Les compagnies privilégiées des nobles jeux interviennent donc comme les acteurs principaux de la mise en scène d’une politique urbaine. Elles confortent, dans la vie urbaine, la place des pouvoirs, des élites, de la bourgeoisie et du reste du peuple des villes comme des faubourgs.

Missions à l’extérieur des villes

Bien que les diverses patentes de création ou de confirmation prévoyaient généralement l’emploi des compagnies des nobles jeux hors des villes et de leurs faubourgs, pour ce genre de missions à l’extérieur des villes, il en allait souvent différemment. Malgré leurs exercices guerriers et bien que les sources imprimées mentionnent leur participation à des expéditions militaires antérieurs au XVIIIe siècle, les confréries ne semblent guère sortir de leurs villes pour combattre.

Citons l’exemple des arquebusiers de Dijon qui se seraient rendus au siège de Besançon, en 1674, à l'invitation du Prince de Condé. L'abbé Courtépée nous rapporte que :« Ils [les arquebusiers de Dijon] arrivèrent le 10 Mai 1674 au camp où le Roi les passa en revue le lendemain, les fit poster, & les vit se conduire en gens de cœur. On attribue même à l'adresse d'un des Chevaliers (Evrard) la prise de la citadelle ».

Ce témoignage fait état d’une mission extérieur qui s’apparente aux expéditions que réalisaient parfois les gardes et milices bourgeoises des villes. Toutefois, aucun autre élément au sujet de ce siège ou d’actes guerriers menés n’ayant pu être retrouvé, il se pourrait que nous soyons ici en présence d’une fiction héroïque et légendaire. Ceci est d’autant plus probable que de telles créations semblent se multiplier au cours du XVIIIe siècle.

En réalité, les « expéditions » que menaient les compagnies des nobles jeux à l’extérieur des enceintes de leurs villes, et qui se trouvent être les mieux documentées, sont les « prix provinciaux et généraux ».

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