Il y a encore quelques jours, malgré les avancées déjà anciennes de la recherche historique depuis les travaux pionniers de l'historien Jean-Jacques Becker, un reportage de France 2 continuait à colporter la légende des Français partis à la guerre "la fleur au fusil", images de 1914 et témoignage de Roland Dorgelès enregistré en 1965 à l'appui.
Dans la réalité, ce qui nous a été montré était loin de correspondre à l'opinion majoritaire des Français telle qu'elle a pu être reconstituée par les historiens et ce qui nous a été présenté comme un départ en guerre "la fleur au fusil" n'était qu'un mouvement de surface, plutôt urbain, concernant les élites intellectuelles et des civils d'autant plus exaltés qu'ils n'étaient plus mobilisables, surtout parisien, parfois suscité par la jeunesse nationaliste proche de l'Action française et de ses Camelots du roi, aux abords de la Gare de l'Est, des casernes et des grands boulevards où quelques magasins à l'enseigne "germanique" (en fait souvent suisse ou alsacienne), ont été saccagés.
Et encore, à bien observer en détail la foule des images en question, on y décèle des attitudes bien plus diverses qu'il n'y parait: certaines femmes et certains soldats ont le visage grave et sont loin d'éprouver cette ferveur patriotique , d'autres tiennent des mouchoirs à la main...
Dans d'autres villes et dans certains quartiers, notamment les quartiers ouvriers, l'ambiance fut beaucoup plus complexe et les réserves face à la guerre se sont bien plus manifestées qu'on ne le pensait jusqu'ici : « A Paris, le pavé des grands boulevards est occupé par une manifestation nationaliste le 29 juillet, mais, le 27, les pacifistes ont été aussi nombreux. Il faut aussi comptabiliser les manifestations qui sont dispersées par la police à Reims ou Nantes ou celles qui sont simplement interdites comme à Rouen, Nîmes ou Toulouse » (in La Grande Guerre, François Cochet), et, jusqu'au 4 août, des manifestations diverses (meetings, signes d'opposition divers), ont continué à s'exprimer.
De plus, la France est à l'époque majoritairement rurale. Le journaliste en fait d'ailleurs mention, mais curieusement, il ne retient rien de ce qu'il dit pour la suite de son reportage puisqu'il embouche ensuite la ritournelle de "la fleur au fusil", comme si de rien n'était. En août 1914, on y est en pleine période des moissons et on n'a guère le temps pour se passionner pour les dernières nouvelles du monde. C'est d'ailleurs le tocsin qui avertit les ruraux et, dans une France où le son des cloches a encore une signification importante, le tocsin est d'abord et avant tout l'annonciateur d'une catastrophe: c'est dire si on est loin d'être très enthousiastes à l'idée d'une guerre, même si on s'y résigne, à la fois par obéissance au devoir, mais aussi parce que domine le sentiment d'un patriotisme défensif face à ce qui semble être une agression allemande.
Lire aussi: Aperçu complet des camions
D'ailleurs, le laps de temps est si court et les gens sont tellement sidérés et hébétés qu'ils n'ont pas vraiment le temps d'avoir d'autres types de réactions. Même au sein de la famille socialiste, la plus à même de s'opposer à la guerre, l'assassinat de Jaurès et le vote des crédits de guerre par le SPD allemand au Reichstag, ont tôt fait de doucher quelques vélléités de résistance.
Autres élements un peu oubliés aujourd'hui mais qui rendent compte d'une attitude bien plus ambivalente des Français face à la guerre, c'est la véritable panique qui s'empare des épargnants qui n'hésitent pas à effectuer des retraits bancaires massifs de leur compte, les motifs d'un certain nombre de procès à la réouverture des tribunaux en septembre (cris séditieux, propos appelant à la désertion, ...) et l'aptitude particulière de certains commmerçants ou simples Français à tirer parti de tout et donc à vendre certaines denrées à des prix soudain prohibitifs, y compris aux soldats... Pas très "patriotique" tout cela !
En réalité, la guerre, en 1914, sembla bien plus acceptée par résignation que par réel enthousiasme, loin du cliché du départ "la fleur au fusil" et surtout parce que, soldats comme généraux, tous étaient convaincus, pour des raisons parfois opposées, que la guerre serait courte.
Il est donc regrettable que certains journalistes, depuis 1976/77, n'aient toujours pas remis à jour leurs connaissances et continuent à diffuser des clichés qui n'ont plus lieu d'être sous prétexte que ce sont les seuls pour lesquels ils aient des "images à montrer".
Au lendemain de la déclaration de guerre, des ordres de mobilisation sont placardés sur tous les murs. Des troupes en partance pour le front défilent dans Paris et sont acclamées par la population. Les trains sont chargés en hommes et en matériels.
Lire aussi: Découvrez La Fleur au Fusil
La crise balkanique déclenchée à la suite de l'assassinat le 28 juin à Sarajevo de l'archiduc héritier d'Autriche-Hongrie François Ferdinand et le jeu des alliances font que la France décrète le 1er août 1914 la mobilisation générale. Cette mobilisation se déroule dans les meilleures conditions : aucun plan de grève générale ne fut mis en application pour tenter de s'opposer à la guerre, aucune manifestation pacifiste, pourtant nombreuses au cours du mois de juillet, ne vint s'opposer à l'esprit "d'union sacrée" qui s'installe dans le pays. Surtout, les conseils de guerre n'ont retenu à peu près aucun cas réel de désertion et le nombre d'insoumis fut infime. Si la mobilisation s'est donc déroulée dans les meilleures conditions, il ne faut toutefois pas en conclure trop facilement que les Français sont partis à la guerre avec "enthousiasme".
Plusieurs images ou reportages tel que celui proposé ont, pour des raisons évidentes de propagande, tenté de véhiculer cette idée en montrant des manifestations de joie dans les grandes villes à l'annonce de la mobilisation, des soldats impatients, partant au front la fleur au fusil, des scènes de départ se faisant dans une totale allégresse. De telles scènes ont certes pu exister ponctuellement. S'appuyant sur la censure postale, l'historien Jean-Jacques Becker a notamment bien montré dans sa thèse que l'ordre de mobilisation du 1er août 1914 constitua plutôt une surprise générale : les Français avaient fini par se lasser des nombreuses tensions internationales et ne plus véritablement croire à la réalité d'une guerre. L'opinion française était tout aussi massivement pacifique que patriote et le nationalisme virulent ne concernait en fait qu'une minorité.
Dans ces conditions, le départ des mobilisés ne se fit qu'assez rarement dans l'enthousiasme mais à peu près toujours avec acceptation et résolution. Surtout, l'Allemagne fut présentée comme l'agresseur (idée confortée par l'invasion allemande), ce qui renforça la volonté des soldats de défendre le pays. Les soldats avaient donc le sentiment d'accomplir leur devoir. Ils étaient également persuadés que la guerre serait courte, ce qui bien sûr renforçait leur résolution, surtout dans les campagnes où les paysans (la majorité des appelés) étaient persuadés être de retour chez eux pour les moissons.
Les départs et les transports de troupes furent l'occasion pour la population civile de venir donner aux mobilisés le témoignage de leur soutien, mais là encore, il ne faut pas exagérer l'aveuglement enthousiaste des foules. Une certaine inquiétude transparaît et le jeune lieutenant de Gaulle a par exemple noté avoir vu "des gens résolus qui retiennent leurs larmes".
Le reportage constitue tout d'abord une illustration parfaite de cette image d'Epinal selon laquelle les soldats français seraient partis au combat avec enthousiasme, la fleur au fusil et dans un grand élan de manifestation patriotique. Les images montrent ainsi un régiment de zouaves ayant fixé des petits drapeaux à leurs fusils et communiant leur joie de partir au front avec une foule nombreuse venue les acclamer.
Lire aussi: "La Fleur au Bout du Fusil": Analyse
Un autre intérêt de ce reportage sur la mobilisation concerne les précieux renseignements qu'il donne sur l'armement et la tenue des soldats français lors de l'entrée en guerre. Les soldats partent en effet dans une tenue qui est quasiment la même qu'en 1870. Les fantassins portent un long pardessus bleu à rabats et un pantalon garance fourré dans des bottes montant jusqu'aux mollets. Les zouaves portent une large culotte rouge et un gilet turc. Ces uniformes extrêmement voyants allaient rapidement devenir de lourds handicaps sur les champs de batailles, constituant des cibles beaucoup trop faciles pour les tireurs ennemis.
Le chargement des trains apparaît quant à lui révélateur des armements (artillerie légère) et surtout de la place essentielle occupée en 1914 par les chevaux au sein de l'armée française. Les estimations de l'Etat-major faisaient état de la nécessité de pouvoir compter au total sur un cheval pour trois hommes. Cette place du cheval, que ce soit pour les unités de cavalerie ou le transport, diminuera considérablement tout au long du conflit.
Les soldats ont trouvé des plantes pour symboliser le conflit de 1914-1918. Le bleuet bien sûr. Mais on retrouve également dans ce panthéon le coquelicot, la marguerite, le laurier, le romarin, le chrysanthème et la bruyère.Tout d’abord, il faut expliquer cette expression : « partir la fleur au fusil ». Les historiens s’accordent désormais à dire que les scènes de liesse observées au début du conflit doivent être nuancées. En réalité, le 2 août 1914, l’annonce de la mobilisation générale suscite la consternation dans les villes et la surprise dans les campagnes. Les paysans songent surtout aux récoltes. Les Français ne se précipitent pas dans les casernes mais les hommes ne veulent pas pour autant passer pour des lâches. Ils fanfaronnent et paradent… des fleurs aux képis !
Les tombes à fleurir, les blessés à secourir… les fleurs sont venus très vite commémorer les défunts et soutenir les soldats revenus du front. La plante la plus connue reste sans doute le coquelicot. Pour les pays anglophones, le poppy rappelle le sang versé par les combattants de la Première Guerre Mondiale. Le coquelicot repoussait le long des tranchées et sur les champs de bataille. C’est ce qui inspira en 1915 un poème au lieutenant-colonel canadien John McCrae : In Flanders fields (Au champ d’honneur). Le coquelicot s’institutionnalise après 1920 : le maréchal britannique Douglas Haig organise en 1921 un British Poppy Day Appeal afin de récolter des fonds destinés aux anciens combattants invalides et sans ressources. En 1921, la Great War Veteran’s Association, le plus importants des groupes d’anciens combattants canadiens, choisit le coquelicot comme symbole du souvenir.
En France la fleur de la guerre demeure le bleuet. Le nom a commencé par désigner les soldats de la classe 1915 en raison de leur nouvel uniforme bleu horizon. Ce dernier tranchait par rapport au rouge très visible de la tenue militaire de 1914. En 1916, Suzanne Lenhard et Charlotte Malleterre-Niox, deux infirmières parisiennes, ont créé un atelier de confection de fleurs en tissu pour venir en aide aux soldats blessés durant la Grande Guerre. Les infirmières voulaient offrir aux mutilés un revenu grâce à la vente de leur production.
En 1919, la France va rajouter les chrysanthèmes et les bruyères aux fleurs symboliques de la Grande Guerre. Le président de la République, Raymond Poincaré appelle alors à fleurir les tombes des soldats tombés au front. Si ces deux plantes ornent aujourd’hui toutes les sépultures, le bleuet reste dédié aux soldats. L’association du Bleuet de France est, dès 1934, autorisé à collecter des fonds sur la voie publique le 11 novembre et, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 8 mai.
Aux coquelicots, les Australiens et les Néo-Zélandais rajoutent le romarin en souvenir de la bataille de Gallipoli, en Turquie. Il est d’usage de porter des brins de cette aromatique le 25 avril pour la journée de l’Anzac (Australian and New Zealand Army Corps). De leur côté, les Canadiens de Terre-Neuve et du Labrador ont opté pour le myosotis.La Belgique adopte tardivement la pâquerette comme symbole de la guerre. Dans les années 1930, la princesse Marie-Louise de Mérode a décidé de vendre cette fleurette pour aider financièrement les anciens combattants.
Les vaincus de la Grande Guerre n’ont pas vraiment adopté de fleurs symboliques. Il semblerait que les fleurs séchées de myosotis soient glissées dans les lettres envoyées par les soldats allemands. Y sont surtout représentés des chênes, pins et sapins, des couronnes de laurier ainsi que des fleurs de réséda et des violettes. Cette absence de symbole s’explique sans doute par la défaite mais aussi par le changement de régimes que vont connaître l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, mais aussi la Russie.
Dès le début de la Grande Guerre sont aménagés, dans la proximité immédiate des zones de combat, des cimetières provisoires dont les tombes se fleurissent spontanément, ce qui retient l’attention de certains combattants. En 1915, en Flandre, la floraison de coquelicots inspire au lieutenant-colonel canadien John McCrae le poème In Flander Fields, qui érige le poppy en symbole du sang versé par les hommes tombés au champ d’honneur. En France, les survivants de la première année du conflit appellent les recrues de la classe 1915 les bleuets.
Comme le coquelicot en Grande-Bretagne, le bleuet ne devient véritablement une marque du souvenir en France qu’après la fin du conflit. Mais à la différence de l’emblème floral choisi dans les pays du Commonwealth, il ne renvoie pas à l’ensemble des combattants tombés au champ d’honneur, Charlotte Malleterre, fille du commandant de l’hôtel national des Invalides, et Suzanne Lenhardt, infirmière major, en faisant le symbole spécifique des gueules cassées. Celui-ci doit honorer les 300 000 soldats qui portent les stigmates de la guerre sur leurs corps et leurs visages. Produits dans des ateliers par des mutilés, les bleuets de papier sont vendus afin de fournir un revenu supplémentaire à ces derniers.
En érigeant les fleurs au rang de marqueur mémoriel, la Grande Guerre a inventé une tradition qui se perpétue au cours de la Seconde Guerre mondiale.
tags: #fleur #au #fusil #1914 #signification