Myriam ! Le grand ennui me tient. S’il se glisse dans ces pages un peu d’amertume, il n’en tombera jamais de venin : - je hais le moule maudit dans lequel nous jettent les erreurs et les préjugés séculaires, mais je crois peu à la responsabilité.
Nous sommes sur le radeau de la Méduse ; encore veut-on laisser libre la sinistre épave à l’ancre au milieu des brisants. Quand donc, ô noir radeau ! Hélas ! Mais pourquoi s’attendrir sur soi-même, au milieu des générales douleurs ? pourquoi s’arrêter sur une goutte d’eau ?
J’ajouterai pour la foule, la grande foule, mes amours, des observations que je n’ai pas cru devoir faire aux juges.
Le nid de mon enfance avait quatre tours carrées, de la même hauteur que le corps de bâtiment, avec des toits en forme de clochers. Au bout de ce chemin qu’on appelait la routote, le ruisseau descendait l’unique rue du village. Je les aimais surtout, quand la bise soufflait fort, et que nous lisions bien tard, la famille réunie dans la grande salle, la mise en scène de l’hiver et des hautes chambres froides, sabots garnis de panoufles en peau de mouton.
Souvent, des amis venaient veiller avec nous ; quand Bertrand était là, ou le vieil instituteur d’Ozières, M. L’été, la ruine s’emplissait d’oiseaux, entrant par les fenêtres. Et les vaches ? Je n’en valais pas mieux, il est vrai. Étudiant par rage, mais trouvant toujours le temps de faire des malices aux vilaines gens, je leur faisais une rude guerre !
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Le grand-père y avait ajouté quelques pages, et moi-même, encore enfant, j’osai y commencer une Histoire universelle, parce que celle de Bossuet (A monseigneur le dauphin) m’ennuyait et que mon cousin Jules avait remporté après les vacances l’histoire générale de son collège, essaye d’ingurgiter à nos seigneurs et maîtres des boulettes de science à leur crever le jabot.
Hélas ! Il devait se trouver de fameuses âneries dans mon travail ; j’avais consulté assez de livres infaillibles pour cela, mais on me donna quelques volumes de Voltaire et je plantai là mon œuvre inachevée avec le grand poème sur le Cona dont M. même M. Laumont le grand, autrement dit le docteur Laumont, parlait avec enthousiasme.
Je quittai la poésie pour établir, au sommet de la tour du nord, une logette pleine de tout ce qui pouvait passer pour des trouvailles géologiques. Ma mère, moitié grondant, moitié riant, m’entendit pendant quelques jours chanter sur mon luth la Grilla rapita, qu’elle a depuis conservée avec de vieux papiers qui avaient porté le titre de Chants de l’aube.
Ah ! Ah ! La vieille ruine ne garda pas longtemps les adieux que j’avais inscrits au mur de la tourelle. Tout s’est évanoui, jusqu’à la guitare de mon grand-père, émiettée pendant que j’étais en Calédonie. Combien étaient différentes mes deux grand-mères !
Tantôt encore, nous en allant à travers l’inconnu, nous parlions des choses qu’il voyait monter à l’horizon. Ma mère était alors une blonde, aux yeux bleus souriants et doux, aux longs cheveux bouclés, si fraîche et si jolie que les amis lui disaient en riant : Il n’est pas possible que ce vilain enfant soit à vous.
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Pour moi, grande, maigre, hérissée, sauvage et hardie à la fois, brûlée du soleil et souvent décorée de déchirures rattachées avec des épingles, je me rendais justice et cela m’amusait qu’on me trouvât laide.
Nous parlions de tout ; nous emportions, pour les lire, assises dans la grande herbe, les Magasins pittoresques, les Musées des familles, Hugo, Lamartine, le vieux Corneille, etc. Je ne sais si Nanette et Joséphine ne m’aimaient pas mieux que leurs enfants.
A dater de ce jour, j’appartins à la foule ; à dater de ce jour, je montai d’étape en étape à travers toutes les transformations de la pensée, depuis Lamennais jusqu’à l’anarchie. Est-ce la fin ? Non, sans doute !
Je suis étonnée maintenant des questions de toutes sortes que nous agitions, Jules et moi ; tantôt perchés chacun dans un arbre où nous suivions les chats, tantôt nous arrêtant pour discuter au milieu d’une répétition de quelque drame d’Hugo, que nous arrangions pour deux personnages. Pourquoi aimions-nous causer d’un arbre à l’autre ? Marie Verdet voyait toujours ces choses-là, et nous jamais !
Plaisir à ses récits, tant et si bien que du feullot à Faust, j’en vins à m’éprendre tout à fait du fantastique, et que dans les ruines hantées du châté païot je déclarai, au milieu de cercles magiques, mon amour à Satan qui ne vint pas.
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Nous résolûmes d’accorder nos luths sur d’autres sujets ; j’en avais justement offert un, fabriqué comme le mien, à mon cousin, après une répétition, je crois, des Burgraves ou d’Hernani, arrangé par nous pour deux acteurs.
Dans une discussion orageuse sur l’égalité des sexes, Jules ayant prétendu que si j’apprenais dans ses livres, apportés aux vacances (à peu près de manière à être de niveau avec lui), c’est que j’étais une anomalie. Mer, que fais-tu du flot ? Oh ! O flamme ! Que de souvenirs ! Mais n’est-il pas oiseux d’écrire ces niaiseries ?
Voici les pierres rondes, au fond du clos, près de la butte et du bosquet de coudriers ; des milliers de jeunes crapauds y subiraient en paix leurs métamorphoses, s’ils ne servaient à être jetés dans les jambes des vilaines gens.
Dans la cour, derrière le puits, on mettait des tas de fagots de brindilles, des fascines ; cela nous menait à élever un échafaud, avec des degrés, une plate-forme, deux grands montants de bois, tout enfin ! Nous cherchions dans les annales des cruautés humaines.
Les cochons chez eux, et quelquefois, par leur chute dans le trou à l’eau du potager où, la graisse les soutenant, ils faisaient des « oufs » désespérés jusqu’à ce qu’on les retirât. Ce n’était pas toujours facile. Des hommes avec des cordes s’en chargeaient en criant après nous.
Et les Louis d’or ? et la Fiancée du timbalier ? Avec ces jours d’aurore s’en sont allés les refrains tristes ou rêveurs. Mais je fus plus favorisée que bien d’autres, pouvant donner des leçons de musique et de dessin après les classes.
O mon amie ! ma chère mère ! En remuant ces souvenirs, je retourne le poignard, cela fait du bien souvent. Allons, les chasseurs de l’inconnu ! L’étape légendaire qui ouvrira la route ! A bas toutes les forteresses ! C’est au versant de la montagne, entre la forêt et la plaine ; on y entend hurler les loups, mais on n’y voit pas égorger les agneaux.
A Vroncourt on est séparé du monde. Le vent ébranle le vieux clocher de l’église et les vieilles tours du château ; il courbe comme une mer les champs de blé mûr ; l’orage fait un bruit formidable et c’est là tout ce qu’on entend.
Une autre illustration du même ouvrage représentait la grande diablerie de Chaumont. Tous les sept ans, disent les chroniqueurs de la Champagne, douze hommes vêtus en diables, comme l’on suppose que s’habillent les diables, avec des friperies de l’enfer où se trouvent tous les déguisements, voire même celui de Jéhovah, - les diables de Chaumont trouvent le leur chez la vieille Anne Larousse, à l’enseigne Brac et joie : immense paire de cornes et une cagoule noire ; - ils accompagnaient la procession du dimanche des Rameaux, pour honorer le ciel en y représentant l’enfer. Pourquoi avait-on choisi ce nombre de douze ? La fête se terminait par un supplice.
Son grand-père tenait du sien, qui le tenait d’une arrière-aïeule, que cette fois l’âme d’Hérode avait si bellement gesticulé que les assistants s’en esbattaient plein le val des escholiers ; tout à coup l’ombre se prit à gémir, on cria : Au miracle ! Lors même qu’il n’y aurait pas eu un peu d’atavisme dans ma facilité à rimer, qui ne serait pas devenu poète, dans ce pays de Champagne et Lorraine, où les vents soufflent en bardits de révolte ou d’amour ! Oui, là, tout le monde est un peu poète. Est-ce la peine, après cela, de mettre mes strophes ? Que le lecteur les passe s’il lui plaît. Force aveugle !
J’ai peur de faire trop longue cette première partie de ma vie où si calmes d’événements, si tourmentés de songes, sont les jours d’autrefois ; des choses puériles s’y trouveront, il en est dans les premières années de toute existence humaine (et même dans tout le cours de l’existence). En écrivant, comme en parlant, je m’emballe souvent !
J’ai parlé d’atavisme. Là-bas, tout au fond de ma vie, sont des récits légendaires, morts avec ceux qui me les disaient. La charrue y met au jour le cercueil de pierre de nos pères les Gaulois ; le couteau à égorger la victime et l’encens du Romain. Comme j’aime à songer à ce petit coin de terre ! Tant d’autres vivent si longtemps !
Dans Montsongeon comme dans une place de guerre on fermait les portes aux moines d’Auberive. Un autre Pierre ayant grand besoin d’argent et sa femme aussi, ils vendirent tout ce qu’ils possédaient à Boissey et autres lieux. On voulut le faire dériver des prêtres de Mars (les Saliens). A Beurville, sur le cours d’eau du Ceffondret, c’est une histoire d’amour qu’on place. Il semblait que leur mariage fût impossible. C’est ce qui fut fait.
Une longue rue sur le roc escarpé du Cona, des tombes sous les ruines d’une chapelle au bas de la montagne, si nombreuses qu’elles forment un nid, le nid de la mort, c’est Bourmont entouré de collines bleuâtres ; quelques-unes sont couronnées de forêts. Après le siège de la Mothe, dont une horloge et d’autres choses curieuses furent apportées à Bourmont, on y utilisa les épaves de cette ville.
De Langres et de Chaumont, je ne dirai pas grand’chose : on les connaît. - Bonjo tout le monde ! disait-il en entrant ; on lui offrait une chaise, et au bout de longues heures il se levait, disait : Bonso teurteu ! Quand, rouge jusqu’aux oreilles, il osait faire sa demande, la jeune fille, si elle acceptait, rapprochait les tisons ; si elle refusait, elle laissait le feu s’éteindre.
Pourquoi faire la pièce d’argent ? disais-je. Et la chandelle allumée ? C’est pour le bon Dieu ! Et la chemise blanche ? Pour les morts ! Et le couteau à la lame affilée ? Et la forêt du Der (des Chênes), n’en dirons-nous rien ? La forêt du Der ou Derff tout entière était sacrée, - l’ombre épaisse des chênes y règne encore. - Eh petiote ! le gâde as té pa lé ? Vès t’en, pa lé quiche de lé tranche, si le gâde passot tu chanteros !
Je voulais que ma mère fût heureuse. J’eus, outre mon tuteur (M. Ce n’était pas trop, disait-on, pour m’empêcher de dépenser de suite les huit ou dix mille francs (en terres) dont j’héritais.
Continua de soigner pendant son long séjour dans la Haute-Marne, près de sa mère, tandis que j’étais sous-maîtresse à Paris : c’est-à-dire jusque vers 1865 ou 1866. « Les choses ont des larmes », a dit Virgile. Revenons au passé. Le manque de temps ! c’était avant 71, la torture de toute vie d’institutrice. Parbleu ! J’aurais voulu, tout en continuant mes études, rester à Paris comme sous-maîtresse : beaucoup le faisaient.
Les grands-oncles en avaient quelque chose ; volumes de sciences à l’état rudimentaire ; romans du temps passé, tout cela avec privilège du roy. Les frères de ma mère y puisèrent : l’oncle Georges, une étonnante érudition historique ; l’oncle Michel, la passion des mécaniques dont j’abusais étant enfant, l’ayant fait descendre à la confection d’un petit chariot et de mille autres objets, et que je mis, pendant la guerre de 70, à contribution encore pour un moyen de défense qu’on refusa et qui était bon.
J’aimais beaucoup mes oncles que j’appelais effrontément Georges et Fanfan jusqu’au jour où ma grand’mère me dit que c’était très mal de traiter ses parents avec aussi peu de respect. Mon troisième oncle, qui revenait du service militaire, y avait pris ou gardé de vieux livres le goût des voyages ; une juste appréciation de bien des choses, et surtout de la discipline, lui fournissait des réflexions, qu’il était loin de me croire capable de comprendre. Au fond de toute discipline germe l’anarchie. Les voilà, tous les chers ensevelis !
Dans la première jeunesse de ma tante Victoire, des missionnaires prêchant à Audeloncourt avaient laissé un fanatisme religieux qui entraîne bien des jeunes filles au couvent. Jamais je n’entendis de missionnaire plus ardent que ma tante ; elle avait pris du christianisme tout ce qui peut entraîner : les hymnes sombres ; les visites le soir aux églises noyées d’ombre ; les vies de vierges qui font songer aux druidesses, aux vestales, aux valkyries. Étrange impression que je ressens encore ! J’écoutais à la fois ma tante catholique exaltée et les grands-parents voltairiens. Le fanatisme descendit du rêve dans la réalité ; ma vie, au pas de charge, s’en alla dans les Marseillaises de la fin de l’Empire. Quand on avait le temps de se dire des vérités les uns aux autres, Ferré me disait que j’étais dévote de la Révolution. C’était vrai ! n’en étions-nous pas tous fanatiques ?
Revenons à mon école d’Audeloncourt ouverte en janvier 1853. qui appartenaient à d’autres villages. Ces accusations étaient parfaitement vraies : Paris à peine entrevu, et entrevu bien au-dessous des merveilles qu’on m’en avait dites, m’attirait ; c’était là seulement qu’on pouvait combattre l’Empire. Les dénonciations qui troublaient le repos de ma pauvre mère me procuraient un bon voyage à Chaumont. car les uns y virent le triangle égalitaire (un peu allongé), les autres un instrument de supplice inconnu) et ceux qui n’étaient pas intéressés dans l’affaire, une grande oreille d’âne.
Je revois Chaumont tel qu’il était alors : le Boulingrin ; la vieille rue de Choignes, de sinistre mémoire, où demeure le bourreau ; le viaduc tenant tout le val des Écoliers ; la librairie Sucot, contenant tout ce qui pouvait me tenter, et où, institutrice comme élève, j’avais toujours des dettes. La grosse tête frisée de M. Cela me rappelait mes éblouissements d’enfant devant la librairie Guerre, à Bourmont.
J’allais chez le recteur de l’académie, M. Le recteur me regardait longtemps en silence avant de me répondre, et sa femme, qui prenait toujours mon parti, souriait tandis que des colombes en liberté volaient dans la chambre pleine de soleil. M. D’Audeloncourt, j’envoyais des vers à Victor Hugo ; nous l’avions vu, ma mère et moi, à Paris, à l’automne de 1851, - et il me répondait de l’exil comme il m’avait autrefois répondu de Paris, à mon nid de Vroncourt et à ma pension de Chaumont.
Domitien régnait ; il avait banni de Rome les philosophes et les savants, augmenté la solde des prétoriens, rétabli les jeux Capitolins et l’on adorait le clément empereur en attendant qu’on le poignardât. Je répondis que ceux qui reconnaissaient M. - Pisque c’est mé que je le demande ka ke cé vo fait ! Voyant revenir le bonhomme, après son expédition de Chaumont, j’avoue que je riais déjà des ennuis qu’il allait me raconter, quand, à ma grande surprise, il me dit : Eh ben ! Qui donc l’écoute maintenant, dans cette maison obscure où j’étais environnée d’élèves attentives comme on l’est dans les villages, où nulle distraction ne vient du dehors ? Je pourrais les appeler encore toutes par leur nom, depuis la petite Rose jusqu’à la grande, qui est in...
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