Envie de participer ?
Bandeau

Le Code criminel canadien remonte à 1892. Jusqu’à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, le législateur canadien est intervenu plusieurs fois pour amender ce recueil d’interdits dans le champ des armes à feu. L’objectif de cet article est d’étudier le contrôle des armes à feu dans le droit pénal canadien - en y incluant, de façon plus large, les armes blanches et à air comprimé - en prenant comme point de départ de la recherche l’état de la loi telle qu’exprimée lors de l’édiction du Code criminel canadien en 1892.

D’entrée de jeu, il convient d’exposer les trois particularités que présente le Code criminel canadien. Sa première caractéristique est de comprendre non seulement une partie substantive regroupant les actes interdits et les peines correspondantes (comme c’est le cas en Europe continentale et en Amérique latine) mais également une partie procédurale. Or, et c’est la deuxième particularité, ces deux parties ne sont pas cloisonnées en ce sens que l’on retrouve très souvent certains éléments de procédure à l’intérieur même de la partie substantive.

Créé donc en 1892, le Code criminel canadien traversera le premier demi-siècle de son histoire sous le regard attentif du législateur qui n’hésite pas à en remodeler souvent le contenu. À preuve, environ le quart de ses articles auront déjà été amendés en 1927. Dans le seul champ des armes à feu, entre 1892 et 1939, le Parlement canadien adoptera, à l’intérieur de 11 lois, pas moins de 35 amendements qui viennent modifier 13 articles de la partie substantive du Code criminel. Ces retouches à répétition qui n’ont évidemment rien de fortuit méritent d’être appréhendées car elles laissent facilement deviner que la question du contrôle des armes à feu est très sensible aux aléas de la conjoncture.

Nous entendons donc précisément décoder ici les nombreuses résonances sociales liées à une activité législative aussi fébrile en démontrant que les transformations subies par le Code criminel canadien en matière d’armes à feu sont l’expression d’une réaction à l’évolution de la conjoncture du pays. Des changements profonds ont façonné la jeune nation canadienne entre les années 1892 et 1939.

Contexte socio-économique et politique (1892-1939)

La fluidité de la configuration du paysage démographique s’explique par l’accroissement spectaculaire de la population canadienne qui s’enclenche au tournant du siècle. Le phénomène est déterminant : un peu plus de 5 millions de personnes habitaient le Canada en 1901; en l’espace de vingt ans seulement, ce nombre est grimpé à près de 9 millions. Ces moments de croissance démographique intense, que permet une économie qui progresse alors à un rythme effréné, sont le fruit d’un courant migratoire au débit soutenu. Cette arrivée massive de cohortes d’immigrants s’inscrit vraiment dans la réalité canadienne après 1896, alors que le gouvernement adapte sa politique d’immigration pour qu’elle s’harmonise avec trois grands changements survenus sur la scène internationale.

Lire aussi: "Coup de fusil": Définition et utilisation

Ce contexte de santé démographique exceptionnelle que traduit d’ailleurs la création dès 1905 de deux nouvelles provinces, l’Alberta et la Saskatchewan, a comme corollaire la prospérité économique fulgurante que connaît alors le pays. Par opposition à l’Ontario et au Québec qui sont le cœur industriel et urbain du pays, les provinces de l’Ouest pourtant responsables du miracle économique de l’avant-guerre par leurs exportations de blé (Manitoba, Saskatchewan et Alberta), ont néanmoins été négligées en termes d’investissements industriels, si bien qu’au lendemain de la guerre, elles vogueront, elles, sur des eaux plus instables. Ces retombées inégales de la croissance économique ne seront pas sans créer un ressentiment certain chez ceux qui s’en sentent lésés. De façon générale toutefois, c’est bien campée sur les rails de la prospérité que la majeure partie de la société canadienne s’engage dans le virage de la dépression économique des années 1930 : la sortie de piste, on le sait, sera catastrophique !

Sur la scène politique, c’est sous le règne de l’équipe libérale de Wilfrid Laurier qu’à partir du tournant du siècle se produit l’effervescence économique qui fait entrer le pays d’un océan à l’autre dans l’ère industrielle et urbaine. Aux performances économiques et au renouveau politique associés à l’ère de Laurier, il faut malheureusement ajouter aussi les tensions ethniques nées de l’éveil du nationalisme canadien-anglais issu des guerres impériales.

Sur le plan social, les phénomènes de l’industrialisation et de l’immigration massive se traduiront par un formidable mouvement d’urbanisation et par l’émergence, au fil de la conjoncture, de tensions entre les ethnies et les classes. L’explosion urbaine marquera la fin de l’ère de l’environnement à prédominance rurale dans lequel vivaient encore 60 % des Canadiens en 1901. L’environnement urbain dans lequel vit un Canadien sur deux dès 1921 est caractérisé entre autres par la montée de la classe ouvrière et par les nombreuses inégalités sociales charriées par une économie dont l’industrie et la finance sont devenues les maîtres mots.

Le Code criminel et les armes offensives en 1892

Dans le Code criminel canadien, la question des armes offensives est traitée dans la section des Crimes contre l’ordre public, une rubrique dans laquelle se retrouvent aussi les infractions liées à la trahison, aux attroupements illégaux, aux substances explosives et aux séditions. En 1892, au moment où naît le Code criminel, un total de 16 articles (102-117) viennent spécifiquement baliser le port et la possession d’armes offensives. Les codificateurs de 1892 voulaient donc ratisser large et certains des articles qu’ils couchent alors dans le Code résisteront bien au passage du temps, puisqu’on les retrouvera à peu près inchangés encore en 1954. D’autres, par contre, subiront les balafres répétées de nombreux amendements apportés dans le sillon de la conjoncture.

D’abord, il y a prohibition du port d’armes. L’article 105 interdit en effet à quiconque de porter un pistolet ou un fusil à vent ailleurs que dans sa propre maison, boutique, magasin ou bureau d’affaires, à moins d’avoir préalablement obtenu un « certificat d’exemption ». La loi prévoit cependant des exceptions à l’obligation de détenir un tel certificat comme l’appartenance à un corps policier ou militaire et la crainte légitime d’un individu que sa personne, sa famille ou sa propriété ne soient en danger. L’âge minimum pour obtenir un certificat d’exemption est de seize ans et le juge de paix chargé de déterminer la pertinence des raisons formulées par le demandeur ne peut l’accorder que pour une période maximum de douze mois. Enfin, les contrevenants sont passibles, sur conviction par voie sommaire, d’une amende de 5$ à 25$ ou d’un emprisonnement d’un mois; cette peine augmente lorsqu’un individu est reconnu coupable de port illégal d’armes lors d’une arrestation (20$ à 50$ ou trois mois de prison).

Lire aussi: Plongez dans le passé du stand de tir de Port-Louis

Enfin, obligation est faite aux vendeurs de pistolets ou de fusils à vent de conserver un registre de leurs transactions dans lequel doivent être consignés la date de la vente, les noms de l’acheteur et du fabricant de l’arme, ainsi que tout autre détail pouvant servir à identifier ladite arme.

Prohibition du port d’armes, criminalisation de l’aliénation d’armes aux mineurs et obligation pour le vendeur de conserver un registre de transactions, voilà donc en matière d’armes offensives trois traits du Code criminel de 1892 auxquels le gouvernement canadien apportera par la suite de nombreuses retouches.

Entre 1892 et 1927, le Parlement du Canada adopte un total de 9 amendements pour remodeler certains articles du Code criminel traitant des armes offensives.

C’est donc en 1909 (chapitre 9, article 2) que, depuis la codification, le législateur se penche pour la première fois sur la question des armes offensives. L’article 123 du Code criminel qui prohibe le port d’armes blanches et l’article 124 qui interdit spécifiquement - à moins d’y être obligé par son métier - de porter des couteaux à gaine dans les villes, voient les peines prévues s’alourdir : la sentence d’emprisonnement maximum, applicable jusque là seulement en cas de non-paiement de l’amende, sera dorénavant imposée seule ou en sus de l’amende et elle passera de 30 jours à 3 mois. En fait, la durée de l’enfermement carcéral pourra même grimper à 6 mois lorsque l’individu condamné à une peine jumelant amende et prison aura négligé d’acquitter ladite amende. Tant au Sénat qu’à la Chambre des Communes, cette pénalisation accrue est justifiée par l’utilisation devenue fréquente...

Lois récentes et débats actuels sur le contrôle des armes à feu

Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, a déclaré le 30 mai : "Le calcul est fort simple, a lancé Justin Trudeau, lundi 30 mai au soir, lors d’une conférence de presse, moins il y aura d’armes à feu dans nos communautés, et plus chacun se sentira en sécurité (…) C’est notre devoir d’agir". Mais surtout, au-delà des mots, le Premier ministre canadien passe donc aux actes. Il dépose un projet de loi, nom de code C21, qui vise à geler tout achat d’armes de poing au Canada. Les armes de poing, ce sont en gros les pistolets et les revolvers, les armes à canon court que l’on peut tenir d’une seule main. Le gouvernement souhaite qu’il ne soit plus possible ni d’en acheter, ni d’en vendre, ni d’en transférer, ni d’en importer.

Lire aussi: Tout savoir sur le Stand de Tir à Port la Nouvelle

Le texte prévoit également d’interdire les chargeurs de fusils de plus de cinq balles, de rendre illégale la modification de chargeur pour en augmenter la capacité, de supprimer les permis de port d’armes pour les personnes impliquées dans des agissements criminels ou de la violence domestique et enfin de porter à 14 ans de prison les peines maximales pour contrebande d’armes à feu.

Selon les statistiques officielles, les armes à feu sont impliquées dans 3% des crimes violents au Canada et Justin Trudeau affirme que la proportion augmente. Le projet de loi ne prévoit toutefois pas l’interdiction totale des armes de poing puisqu’il ne concernera pas les personnes qui en possèdent déjà : elles seront autorisées à les conserver et à continuer à les utiliser.

Après cette annonce, les militants favorables au contrôle des armes sont satisfaits même s’ils jugent qu’il faudrait aller plus loin en visant aussi ceux qui sont déjà en possession de ce type d’armes. À l’inverse, l’opposition conservatrice est sceptique. Elle entend défendre les propriétaires d’armes à feu, et elle considère que le vrai problème du Canada, c’est le trafic d’armes illégales en provenance des États-Unis, en particulier les armes de type militaire. Leur nombre est évalué à 100.000.

Ce nouveau projet de loi C21 doit encore évidemment être examiné par le Parlement, où le parti libéral de Justin Trudeau ne possède pas à lui seul la majorité absolue. Donc les débats seront peut-être animés.

Arguments pour et contre le contrôle des armes à feu

Malgré ces baisses, le débat quant à la nécessité de contrôler les AAF fait rage, tant sur le plan politique que scientifique. Devrait-on assouplir ou resserrer le contrôle des AAF au Canada ? Les partis politiques, pas plus que les chercheurs, ne semblent s’entendre sur les retombées potentielles du contrôle des AAF. Ce litige est en partie alimenté par un vide empirique, c’est-à-dire une incapacité des études scientifiques à appuyer ou à réfuter les affirmations des uns et des autres.

Il faut tout d’abord comprendre que, selon les partisans du contrôle des armes à feu, ces dernières représentent l’outil par excellence du crime ou du suicide. Elles sont ce que l’on nomme un facilitateur.

L’efficacité attendue du contrôle des armes à feu repose principalement sur deux notions et sur une théorie qui visent à rendre leur accès plus difficile et leur utilisation moins intéressante pour les délinquants.

  1. En vertu du concept de la disponibilité, la proportion d’homicides et de suicides par AAF est intimement liée au nombre d’AAF en circulation.
  2. L’idée d’accessibilité fait référence à la facilité avec laquelle un individu peut se procurer une AAF à un endroit et à un moment donnés.
  3. La théorie de la dissuasion est souvent employée pour justifier l’introduction de peines plus sévères.

Alors que les médias canadiens ont surtout évoqué le scandale des coûts faramineux associés au « registre universel des armes à feu », les plus récentes lois canadiennes en matière de contrôle des AAF s’inspirent des notions de la disponibilité et de l’accessibilité, et de la théorie de la dissuasion.

Alors que les concepts de disponibilité, d’accessibilité et de dissuasion sont mis de l’avant par les partisans du contrôle des armes à feu, ses détracteurs y opposent d’autres arguments. Les deux projets de loi présentement à l’étude (C-391 et S-5), qui visent à alléger le contrôle des AAF, reposent principalement sur trois arguments. Ceux-ci sont d’ailleurs avancés par plusieurs chercheurs qui s’opposent aux points de vue présentés plus haut.

  1. L’AAF serait le meilleur moyen d’autodéfense.
  2. Un délinquant motivé parviendra toujours à ses fins.
  3. Le gouvernement conservateur actuellement au pouvoir au Canada affirme qu’il faut s’attaquer aux criminels et non aux fermiers et aux chasseurs.

Les arguments qui sous-tendent les positions des différentes parties ne permettent pas de trancher quant à la nécessité du contrôle des armes à feu (AAF). Ces propositions ne demeurent, à ce stade, que des hypothèses qui méritent d’être confrontées aux données probantes. Or, les évaluations réalisées jusqu’à présent comportent de nombreuses limites qui remettent en question la crédibilité de leurs résultats.

Effet des lois sur le contrôle des armes à feu

Rappelons que 80 % des décès impliquant des AAF sont des suicides. Ainsi, les lois visent principalement à prévenir les suicides en limitant l’accès au moyen le plus utilisé. Bref, les préoccupations des politiciens devraient davantage être articulées autour de questions liées à la prévention des suicides plutôt que de la criminalité.

Les résultats de ses analyses montrent que les suicides et les homicides par AAF ont diminué après l’entrée en vigueur de la loi C-51 et de la Loi sur les armes à feu (C-68). Les lois permettent donc de sauver des vies. Aucune évaluation n’a permis de documenter l’effet de cette loi sur les autres crimes et traumatismes liés aux AAF.

Il appert que seuls les homicides commis à l’aide d’une AAF sans restriction (c’està-dire les carabines et les fusils de chasse, aussi appelés armes longues ou d’épaule) ont diminué. Les homicides commis avec une arme prohibée (par exemple, une arme automatique ou une carabine à canon tronçonné) ou à utilisation restreinte (pistolets) n’ont pas été affectés par les lois C-51 et C-68. Autrement dit, les effets des lois mises en vigueur ne touchent que les armes acquises légalement, et ce sont justement les homicides commis avec ces armes qui ont chuté.

Ces résultats rappellent la nécessité de bien distinguer les principales problématiques liées aux homicides par AAF au Canada : 1) les homicides commis à l’aide d’AAF illégalement acquises impliquent majoritairement des délinquants et bandes criminalisées et 2) les homicides commis à l’aide d’AAF légalement acquises impliquent majoritairement des individus qui n’ont pas nécessairement d’intentions criminelles au préalable. Ces problématiques demandent des interventions bien différentes. Il est donc légitime d’investir dans la répression des bandes criminelles et des violences armées, mais surtout pas au détriment du contrôle des armes longues.

Les résultats montrent que le fait d’accroître le contrôle des AAF n’a pas entraîné de recrudescence de la violence. Les homicides par AAF ont diminué plutôt qu’augmenté après l’introduction des lois C-51 et C-68. L’AAF procurerait donc un faux sentiment de sécurité et ne contribuerait qu’à l’aggravation des violences criminelles.

Aucun déplacement tactique n’est observé, tant pour les suicides que pour les homicides. Il n’y a pas eu de tendance à la hausse des homicides et des suicides commis par d’autres moyens que les AAF depuis ...

Statistiques comparatives sur les homicides liés aux armes à feu (pour 100 000 habitants)
Pays Homicides liés aux armes à feu Année
Canada 0,61 2016
États-Unis 3,85 2016

tags: #port #d'arme #Canada #lois #et #restrictions

Post popolari: