En 1914, Jean Galtier-Boissière, jeune licencié de la Sorbonne et client assidu des cabarets de Montmartre, déjà sous les drapeaux, est envoyé au front. De la caserne des Lilas au baptême du feu dans les Ardennes, le caporal "La Galtouse", matricule 42 63 - futur directeur de l'impertinent journal Le Crapouillot -, raconte sa mobilisation avec humour et réalisme.
En juillet 1914, Jean Galtier-Boissière arrive au terme de son service militaire. Encore deux mois et il sera rendu à la vie civile. Son heureux caractère lui a permis de vivre cette période qui s'achève avec bonne humeur, et une curiosité bienveillante sur la vie en caserne, ses camarades, ses supérieurs. Avec beaucoup d'humour aussi. Mais la guerre est déclarée et c'est la mobilisation.
Le régiment de Galtier-Boissière va chercher le front pendant plusieurs jours, sans le trouver. Ces errances dès les premiers jours de la guerre, sont une révélation pour moi qui imaginais des opérations dûment pensées et organisées... La première découverte de l'horreur du front n'en est que plus terrible.
À hauteur du soldat de l'infanterie, à hauteur de ma lecture, cette guerre allie l'absurdité et la confusion à l'horreur. Marches, retraites, bonds en avant, dégagements, nuits blanches pour progresser sans savoir vers quoi, ou attentes de plusieurs jours en pleine campagne, sans abri et à proximité des lignes ennemies, les mouvements de cette guerre sont incompréhensibles. Comment discerner les desseins et les intentions de l'état-major ? Comment ne pas se demander s'il a une idée juste et raisonnable du front et des opérations ?
En fait, les troupes françaises n'ont cessé de reculer, jusqu'au « miracle » de la bataille de la Marne. Galtier-Boissière et ses camarades se sont bien rendu compte de l'échec du premier mois de guerre, par la direction que prenaient leurs mouvements, mais les informations officielles étaient inexistantes.
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Des hommes extraits brutalement de leur quotidien banal et versés d'un coup dans un univers où plus rien n'est assuré : ni l'abri, ni le ravitaillement, ni l'hygiène, ni l'information, ni la certitude d'être encore vivant ou indemne le lendemain. Un univers où des hommes croisent d'autres hommes atrocement blessés et mutilés et ne savent plus s'y attarder. Un univers où l'angoisse et la peur sont tellement prégnantes que lorsque l'occasion se présente enfin de se battre, elles se résolvent en rage, « paroxysme de vie et intense jouissance ».
Jean Galtier-Boissière raconte ce qu'il a vécu pendant ces deux mois de l'été 1914, avec simplicité, réalisme et intelligence, n'ignorant pas plus l'absurde ou le grotesque que le tragique.
Les témoignages de la guerre des tranchées furent nombreux dans les années 20, tant le traumatisme de cette amère victoire militaire fut énorme pour la plupart des français. "La Fleur au Fusil" est en ce sens un des ouvrages les plus modernes qui aient été écrits sur ce thème.
Entré en littérature en 1921, fondateur du "Crapouillot", journal satirique qui a existé plus d'un siècle, Jean Galtier-Boissière a fait partie de cette génération de combattants qui étaient à la base de jeunes gens effectuant leur service militaire, et qui furent parmi les tous premiers à être envoyés au front quand la querre de 1914-1918 fut déclarée. Parce qu'il était enrôlé en temps de paix pour son service militaire, Jean-Galtier-Boissière fut "doublement" conscrit, et son expérience du champ de bataille s'inscrit dans le prolongement d'un service militaire qui n'avait pas tellement plus de sens pour lui que la guerre qui lui a succédé.
Pour autant, Jean Galtier-Boissière, de sensibilité anarchiste, ne donne pas non plus dans l'antimilitarisme ou dans le pacifisme militant. Sa guerre est un brouillard opaque, d'où jaillissent de temps à autres, des obus, des balles, des shrapnels, qui portent la mort un peu partout de manière aléatoire. Dans ces Ardennes abondamment boisées, chaque armée est invisible, y compris pour elle-même. Au sein de ces tranchées, au coeur de ces bois, au final, chaque soldat est un homme seul, préoccupé de sa survie ou éventuellement de mourir utilement ou en héros.
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Cette vision intériorisée, quasiment autiste, d'un champ de bataille perçu comme l'oeil d'un cyclone, apporte quelque chose de fondamentalement nouveau au récit de guerre. Présenté de plus comme une sorte de journal intime reconstitué des premiers mois de cette guerre, "La Fleur Au Fusil" est une errance contrôlée en terrain mortifère, marquée par des mouvements de troupe annulés, des replis imprévus, des changements de direction, des ordres absurdes et contradictoires, tout cela formant l'enchaînement chaotique des évènements au cours desquels les soldats ne savent jamais vraiment si leur armée est victorieuse ou non.
La fin du roman est particulièrement touchante, car les survivants de l'escouade traversent des villages, jadis occupés par les Allemands qui ont déserté la place après avoir longuement pillé les maisons. Et ces hommes qui ont connu le terrible enfer des obus, des tranchées, des sièges interminables sous des pluies battantes, des ravages de la dysenterie et qui ont vu mourir leurs meilleurs amis à côté d'eux, se retrouvent face à des villageois qui pleurent le vol de leurs jambons, le bris de leurs fenêtres et de leurs murs, ou la lacération gratuite de leurs garde-robes.
"La Fleur Au Fusil" est donc un roman acerbe, froidement cynique, au style compact et factuel qui raconte cependant beaucoup d'anecdotes en un nombre de pages relativement modeste, et ce, avec une froideur et un détachement qui font frissonner, tout en reflétant très fidèlement le ressenti cloisonné des soldats sur le champ de bataille. Journal intime romancé d'un homme qui n'avait plus d'intimité, figé dans un éternel présent sans passé ni avenir, "La Fleur Au Fusil" est une expérience littéraire purement psychologique mais d'une grande intensité et d'une totale vérité, qui, plus d'un siècle après les évènements qui y sont narrés, restitue fidèlement l'horreur et la folie d'une guerre fratricide totale, et le fait d'une manière clinique, sans leçons de morale, sans célébrer la gloire des héros tombés au champ d'honneur, simplement par le biais d'un nihilisme tranquille et désabusé qui représente sans doute la principale révélation que fut cette guerre pour ceux qui l'ont vécue, et en sont revenus, brisés à jamais.
Galtier-Boissière, avec son style alerte, trace un tableau vivant et cruel du début de la guerre de 1914-1918, époque où par dizaine de milliers les soldats au pantalon garance sont fauchés dans les combats meurtriers des Ardennes. Dans ses souvenirs des années 1914 et 1915, rassemblés sous le titre La Fleur au fusil, il relate sa guerre qu'il terminera blessé, puis démobilisé, à l'été 1917.
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