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La position du tireur couché est un roman noir de Jean-Patrick Manchette, adapté en bande dessinée par Jacques Tardi. Ce qui est formidable chez Tardi, finalement, c'est sa transparence. L'album retrace une ambiance très noire, avec un récit sans concession et sans affect.

L'Histoire d'un Tueur en Quête de Rédemption

L'histoire est celle de Martin, un tueur aguerri qui, après une dernière mission, décide de raccrocher pour profiter du pactole accumulé et prendre sa revanche sur les déceptions de sa jeunesse. Hélas pour lui, ses anciens employeurs ne sont pas du même avis et il est rapidement forcé de sortir de sa retraite anticipée pour reprendre de la gâchette.

À 20 ans, Martin Terrier était pauvre, esseulé, inculte et crétin. Mais pour changer tout cela, il avait un plan de vie beau comme une ligne droite. À 30 ans, Christian Terrier, tueur à gages, sa dernière mission accomplie, impeccablement ou presque, il décide de se retirer, de congédier sa régulière en cinq minutes, lui faisant cadeau de son chat Soudan, de récupérer son fric bien placé, et de rentrer au pays pour couler des jours tranquilles avec sa promise, en tout cas celle qui lui avait promis de l'attendre...

A dix-huit ans, Terrier est amoureux d'une jeune fille d'un milieu plus aisé qui lui promet de l'attendre dix ans le temps qu'il fasse fortune. Terrier s'engage dans l'armée, devient mercenaire puis tueur à gages. Son but est simple : gagner suffisamment d'argent pour aller chercher sa bien-aimée. A trente ans, Terrier décide de se retirer pour retrouver sa promise comme promis. Mais rien ne se passe comme prévu...

Martin Terrier, Christian, Monsieur Charles. Autant de pseudonymes pour une seule et même personne. Un homme froid et méthodique, qui ne laisse rien au hasard. Il fait juste son boulot, ni plus ni moins, et se fait rémunérer comptant. L'affaire est simple : on lui donne un nom, une photographie, et les armes qu'il demande. Lorsqu'il a terminé, il vient chercher son cachet, et attend qu'on le contacte pour une nouvelle cible. Mais la rumeur court qu'il veut arrêter. Ses employeurs le regrettent évidemment, mais ils comptent bien l'y aider...

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Un Exercice Technique Maîtrisé

Dans une lettre adressée à son ami Pierre Signac datant de 1977 et reprise au début de l'album, Manchette écrivait à propos de son roman : « [ ] une histoire de tueur absolument sans intérêt intrinsèque, uniquement un exercice technique de mon point de vue. » La position du tireur couché relève donc de la mécanique de précision. Tout s'enchaîne pour aboutir à cette fin où le « héros » est plus pitoyable qu'il ne l'a jamais été.

Selon l'auteur de l'œuvre initiale, La position du tireur couché est « une histoire de tueur absolument sans intérêt intrinsèque, uniquement un exercice technique, de mon point de vue, qui progresse à peu près régulièrement, mais glacialement. » On ne pouvait pas mieux résumer le scénario tellement il est rythmé, malgré ses presque 100 pages.

L'Adaptation de Tardi : Fidélité et Noirceur

Pour Tardi, la difficulté était là : ne pas dérégler cette horlogerie en respectant au maximum le texte original. Et le challenge est relevé avec brio. Les 40 premières pages ronronnent un peu (trop de récitatifs qui nuisent à la fluidité du récit) mais la seconde partie est beaucoup plus prenante.

Tardi adapte Manchette et c'est parfait.

Un Style Visuel Impeccable

Pour le dessin, pas de surprise, Tardi fait du Tardi. Un noir et blanc maîtrisé, des trognes qu'on reconnaît au premier coup d'oeil, quelques balades dans les rues de Paris ou à la cambrousse pour les décors. Les scènes ultra-violentes sont retranscrites avec froideur. Pas de théâtralisation, c'est net et précis : les os craquent, le sang coule, les cadavres s'accumulent le trait est parfait pour retranscrire le désespoir qui traverse l'oeuvre de Manchette.

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Tout le monde s'accorde à dire que Jacques Tardi est l'homme de la situation, et que son graphisme est de loin le plus approprié pour ce type d'ambiance. Des lignes rondes, épurées, claires et détaillées. Le dessin « vieille école » d'après Badelel. On va droit au but, sans fioritures, comme pour mieux accompagner ce récit où les moindres détails ancrent dans la boue du réel, où la violence presque ordinaire rappelle combien la vie est dure.

Jacques Tardi, c'est l'auteur par excellence capable de faire ressentir cette ambiance de polar à l'ancienne. Inutile de présenter ce grand monsieur, depuis longtemps déjà grand prix d'Angoulême, c'était en 1985. Sa collaboration avec Jean-Patrick Manchette est ancienne, puisqu'ils ont travaillé ensemble sur Griffu en 1978. Une alchimie diabolique d'après David : le dessin de l'un s'associant à merveille au scénario de l'autre. Et il faut bien l'avouer, il n'y a pas mieux que Tardi pour illustrer le Paris des années 70 : décors, vêtements, voitures, unes des journaux, on s'y croirait !

Alcoolisme, adultère, manipulation, meurtres, traîtrise… mais aussi un univers de contrastes permanents. Il faut dire que l'opposition est forte entre le milieu rural français et le grand banditisme.

Un Récit Implacable

Le récit est froid, précis et méthodique. Il déroule les péripéties de son assassin avec l'inexorabilité d'une trotteuse sur un quadrant de montre. Il n'y a que peu d'affect sinon de l'amertume et de la mélancolie. le monde dépeint est cruel, violent et sans compassion. Chacun est tour à tour manipulateur puis manipulé, bourreau puis victime. Une narration méthodique, chirurgicale même d'après Mo' : le rythme est déroutant et apporte une foultitude de détails d'une précision infinie. On ne nous laisse pas le temps de souffler. Un récit pourtant volubile, en parfaite opposition avec les personnages, laconiques au point même d'en perdre « la voix » à la fin.

Adaptation Cinématographique

Le thriller très hollywoodien Gunman est l'adaptation du polar de Jean-Patrick Manchette (1942-1995), La position du tireur couché, paru dans la "Série noire" de Gallimard en 1981. Réalisé par Pierre Morel, habitué des films d'action produits par Luc Besson, le film met en scène Sean Penn, dans le rôle principal, et Javier Bardem.

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Le film a pris des libertés avec le livre qui se déroulait dans les années 1980. Le héros est un ancien tueur à gages qui a tourné la page en travaillant pour une association humanitaire en Afrique. Son passé le rattrape.

L'Héritage de Manchette et Tardi

En 1977, le dessinateur Jacques Tardi et le romancier Jean-Patrick Manchette amènent à parution une BD mythique: "Griffu". Tardi sait déjà à l'époque qu'il ne sera jamais aussi bon qu'épaulé par un scénariste. Tardi a compris la recette à appliquer, celle de l'hommage rendu: coller au plus près des romans de Manchette, rester fidèle à l'écrit dans les moindres détails et, ainsi, recréer la magie du tandem initial. Manchette pensait en théoricien ses néo-polars comme des mécaniques minutieusement agencées. les adaptations de Tardi devaient suivre en copiés collés graphiques sous peine de se perdre.

Le pitch de "La position du tireur couché" est simple: un tueur à gages rêve de retraite dorée. Ses plans échouent quand ses commanditaires ne le laisse pas partir et, plus improbable, quand son ex petite amie refuse de tenir sa promesse de jadis, celle de l'attendre pour une nouvelle vie en sa compagnie.

Le propos de Manchette est sombre. En conséquence, le dessin de Tardi l'est aussi. Absence de couleurs, omniprésence du noir et blanc. Pas de nuances: noir ténèbres et blanc éclatant. Prépondérance de l'obscur, des ombres profondes. Les scènes urbaines restituent des architectures précises et détaillées. Les visages, chez Tardi, sont tout en rondeurs simples, en facilités graphiques délibérées. Ils contrastent avec le soin minutieux apportés aux architectures. Pour donner de la crédibilité à son récit Manchette détaille à outrance le background environnemental: véhicules, vêtements, armes de poing, bouteilles d'alcools prestigieux, magazines, publicités murales, quotidiens à l'étal ...

Le monde de Manchette est d'une extrême violence, celui de Tardi l'est aussi. Manchette ne la suggère pas, Tardi non plus. Les corps explosent sous la pression des balles, éviscèrent, éclatent les crânes ...

La Psychologie des Personnages

Martin Terrier est un con. Tout au long de cette histoire, plusieurs personnages ne se gêneront d'ailleurs pas pour le lui signifier, au point qu'il ne tardera pas à en être convaincu. Agé de vingt ans, il quitte son trou perdu en jurant à Alice, sa bien-aimée, de revenir la chercher dix ans plus tard. En retour, celle-ci, jeune et innocente (?) lui promet de l'attendre.

Dans une récente interview à 'La Libre', Tardi avouait avoir voulu rester le plus fidèle possible au texte du roman de Manchette. Ce respect de l'oeuvre contribue à la réussite de cette adaptation. Au coeur de l'intrigue, la France des années '70, l'époque-phare des romans de Manchette, celle des Citroën DS, des Peugeot 504, des attentats politiques et celle, surtout, d'un Paris encore à taille humaine, tel que Tardi aime à le dessiner. Mais au coeur de cette 'Position du tireur couché', il y a également la violence, omniprésente, et que Tardi présente avec le même réalisme qui prévalait dans ses récits de la Première Guerre mondiale.

Cette violence, comme innée chez la plupart des personnages ici présents s'installe en tous cas comme partie prenante de leur psychologie et de leur manière de fonctionner. Elle semble être pour eux la seule manière d'arriver à leur objectif pourave : le fric. Car oui, Manchette devait sentir que l'ambiance générale commençait à tourner à l'aigre, que les motivations commençaient à puer le dollar et que la cote de la vie humaine tendait à accuser une sérieuse baisse sur les marchés.

Tout est effectivement possible avec Manchette et Tardi. Lorsque Martin Terrier, aussi connu sous le pseudonyme de Christian, signifie son départ à son patron, on est loin de penser qu'un bal sanglant vient de commencer et dont peu de personnes ressortiront indemnes. C'est qu'il faudrait encore préciser que Martin alias Christian est un tueur à gages redoutable et expert que, naturellement, son employeur ne veut pas voir s'éloigner. Martin, cependant, commet une erreur : il revient à ses premières amours, et notamment à Alice, un amour de jeunesse qu'il a juré de retrouvé dix ans après l'avoir quittée.

Le noir et blanc de Tardi se mêle ici à la perfection au noir de Manchette. Comme à son habitude, Tardi sait croquer, capturer les ambiances, celle des grandes villes et notamment de Paris, celle des villes de province et des campagnes inquiétantes où l'on attend, désespérément, le top départ de missions dangereuses. le récit, enlevé, rythmé, bavard aussi, manque peut-être d'un peu de chaleur ; Manchette le disait lui-même : il avait l'ambition d'un roman froid et technique.

En 96 pages en N&B, le libertaire Tardi adapte le gaucho Manchette et nous raconte l'histoire d'un tueur qui a décidé de décrocher et que ses employeurs refusent de lâcher (un grand classique du genre). Bénéficiant d'une ambiance générale magnifiquement lugubre, cette troisième adaptation en date de JPM par JT est un vrai roman noir aussi dense que l'asphalte sur laquelle roule vers son triste destin ce tueur pas du tout fou, mais qui est plus proche de la marionnette que du héros qui tire les ficelles.

Déceptions et désillusions pavent le chemin de ce solitaire brisé jusqu'à l'issue sinon fatale, du moins tragique de ce récit sombre et fort qui mérite d'être lu par une froide nuit d'hiver !

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