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Jean-Christophe Meurisse, le maître des Chiens de Navarre, est de retour au cinéma avec une farce cruelle sur l’obsession des faits divers. Pour celles et ceux qui ne les connaîtraient pas encore, la troupe des Chiens de Navarre décape depuis maintenant des années le théâtre contemporain à coups de pièces drôles et choc qui ne respectent rien, ni personne. Un mélange d’humour potache et de provocation joyeuse, des portraits de l’époque mélancoliques et iconoclastes, sur fond de constat social terrible, emballé dans des spectacles en forme de crises de nerfs, de colère ou de rire épiques.

Et depuis deux films déjà (APNÉE, ORANGES SANGUINES), le patron des Chiens, Jean-Christophe Meurisse, emmène sa troupe sur grand écran avec la même envie d’en découdre. Du cinéma électrique, quelque part entre la comédie et le film d’horreur social, qui secoue les spectateurs dans tous les sens. Si APNÉE avait quelque chose de burlesque, de flottant, traçant la veine poético-absurde des premiers spectacles des Chiens, ORANGES SANGUINES et maintenant LES PISTOLETS EN PLASTIQUE s’inscrivent dans le virage brutal et radical des dernières créations de la troupe. Des spectacles, des films qui tapent fort, très fort. Mais juste ? C’est toute la question.

Un Regard Sur la France à Travers un Fait Divers Sanglant

Après Oranges sanguines, Jean-Christophe Meurisse, le chef de file des Chiens de Navarre, poursuit sa satire au vitriol de notre société. Il nous la peint ici friande de faits divers, de préférence sanglants, à travers l’histoire de Paul Bernardin, double à peine déguisé de Xavier Dupont de Ligonnès. Comme ORANGES SANGUINES regardait la violence de la France de Macron, LES PISTOLETS EN PLASTIQUE attrape un pan de l’époque pour nous le renvoyer dans la gueule. Ici l’affaire Dupont de Ligonnès et notre obsession pour les faits divers.

L’intrigue se tisse à partir de trois fils parallèles qui vont, peu à peu, se rejoindre. Deux femmes, « enquêtrices web » fraîchement récompensées par un diplôme FB, se lancent sur les traces de Paul Bernardin, qui a tué toute sa famille avant de disparaître. En parallèle, un homme est arrêté à sa descente d’avion au Danemark, soupçonné d’être Paul Bernardin. Un homme - Michel Uzès - , identifié par un indic comme étant l’assassin, est arrêté à son arrivée à l’aéroport de Copenhague par la police danoise. Pendant ce temps, le vrai Paul Bernardin, nouvellement marié, coule des jours heureux en Argentine.

Une Galerie de Personnages Bouffons et Inquiétants

Se déploie ainsi toute une galerie de portraits, mettant en scène des personnages aussi bouffons qu’inquiétants, qui tendent un miroir grossissant à notre goût pour le sensationnel, à notre fascination voyeuriste, en même temps qu’à notre propension à banaliser la violence. Ici sont mis au premier plan deux enquêtrices un peu simplettes qui, sur le lieu des crimes, se répandent en commentaires sur la déco ; des policiers danois au comportement surréaliste face à des policiers français incapables ; deux médecins-légistes déplorant le goût du public pour les serial killers héros des séries de Netflix ; un suspect colérique qui perd les pédales, une voisine qui débite un interminable monologue raciste.

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Tout démarre plutôt bien avec une scène d’intro improbable qui rappelle tout de suite où on est. Une logorrhée délirante, une situation scabreuse traitée à froid, un sens du contrepoint drôle et dérangeant : pas de doute on est chez les Chiens de Navarre. Pendant quelque temps, on est même ravis d’y être. Obsédées par cet homme qui a décimé toute sa famille pour disparaître ensuite, elles mènent une enquête minable pour combler le vide de leur vie. Comme toujours, avec les Chiens, les interprètes sont phénoménaux. Delphine Baril et Charlotte Laemmel offrent à ces deux femmes une humanité aussi tordante que flippante.

Questions et Réflexions Autour de la Violence

Les pistolets en plastique pose la question des raisons de l’attraction qu’exerce le crime sur beaucoup d’entre nous mais aussi celle du vrai et du faux, de la violence et de sa représentation. Entre le vrai Bernardin et le faux - Michel Uzès - qu’y a-t-il de commun ? Notre entendement est-il si débile qu’il nous conduise, contre toute évidence, à prendre le faux pour le vrai et à ignorer le vrai quand il se présente à nous ?

Quant au spectacle de la violence, a t-il une fonction autre que celle de satisfaire nos instincts les plus bas ? Et ne contribue-t-il pas à sa dangereuse banalisation ? Ou, au contraire, a-t-il une valeur cathartique ? Exorcise-t-il nos terreurs ? Mieux, nous évite-t-il de passer à l’acte ? La mise en abyme de la représentation de la violence dans Les pistolets en plastique nous incite à nous interroger sur l’utilité du spectacle sanglant, grand-guignolesque, qu’il nous offre et que son outrance tourne à la dérision. N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie à flatter le goût du spectateur pour la violence alors même qu’on prétend la dénoncer ? Mais tous les pistolets ne sont pas en plastique…

La rupture que marque la sobriété glaçante de la scène du meurtre familial nous rappelle brutalement à la réalité : plus de grand-guignol, mais une tragédie tout entière concentrée dans les gestes, les regards, le bruit des détonations. Le disque s’enraie, répète la même satire pour arriver là où, au fond, Meurisse semble prendre le plus de plaisir : la nausée. Comme ORANGES SANGUINES qui basculait dans sa dernière partie dans l’insoutenable, LES PISTOLETS EN PLASTIQUE arrête de rire et se retourne contre nous dans une dernière partie oppressante où Meurisse filme comme toujours les monstres en nous.

La nausée attendue est là - notamment dans une séquence très dure de tuerie - et après ? À force de répéter toujours les mêmes « trucs », le cinéma de Meurisse est devenu ce qu’il semble dénoncer : un système. Une petite machine qui tourne en rond, qui appuie là où il faut pour faire rire (étirer les scènes et créer le malaise) ou foutre la frousse (mettre des images sur l’inconscient collectif), et déroule son programme rigolo-punitif à la lettre. Une rigolade, une tape sur les doigts. Rien de neuf. Des Pistolets en plastique pour un monde où la violence captive et où le vrai et le faux tendent à se confondre…

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Réactions et Critiques

On peut trouver ce portrait satirique de notre société bêtement provocateur et de très mauvais goût. On peut y voir la marque d’un mépris pour « la France d’en-bas » On peut juger que Meurisse se complait dans la caricature et la facilité. On peut être dérouté par une structure morcelée qui apparente le film à une succession de sketches. Si le point de départ saugrenu intriguait, il ne sert finalement que de prétexte pour resservir le même programme qu’Oranges Sanguines : une succession de séquences étirées qui confondent comédie et hystérie, en mêlant regard ricanant sur la France périphérique, explosion gratuite de violence, sketches d’humoristes en vogue arbitrairement intégrés à l’ensemble, le tout fondu dans une esthétique boursouflée rythmée par de la variété française.

Au-delà du grotesque, Jean-Christophe Meurisse vise aussi à installer une forme de malaise qui pose davantage question. En témoigne une séquence particulièrement longue, où les deux détectives en herbe rencontrent une voisine de de Ligonnès qui se met à débiter un interminable monologue d’injures racistes et homophobes. À la fois convenu et paresseux, le « gag » invite à se moquer de la France moyenne. Il est difficile de ne pas voir dans l’étirement de cette tirade une forme d’autosatisfaction un peu crasse à l’idée de choquer le spectateur. Cette tendance à la provocation facile et puérile atteint son acmé avec la reconstitution aberrante de la tuerie, qui tombe comme un cheveu sur la soupe vers la fin du film.

Les quatre acteurs principaux, Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Laurent Stocker et Gaëtan Peau ont longuement répété avec Jean-Christophe Meurisse. Jean-Christophe Meurisse a voulu faire une comédie noire, mélangeant humour et horreur. Le réalisateur explique : "C’est ce que j’aime : le mélange. Ce que je n’aime pas : rester dans un registre unique. Je veux que tout soit tendu, aussi bien dans la narration que dans la forme. On ne sait pas sur quel pied danser.

Fiche technique

  • Réalisation : Jean-Christophe Meurisse
  • Scénario : Jean-Christophe Meurisse
  • Image : Javier Ruiz Gomez
  • Décors : Hervé Redoules
  • Son : Lucas Héberlé
  • Montage : Flora Volpelière
  • Musique : Thibault Deboaisne
  • Producteur(s) : Marine Bergere, Antoine Blesson, Romain Daubeach, Nicolas Descalles
  • Production : Mamma Roman, Kick'n Rush
  • Interprétation : Laurent Stocker (Paul Bernardin), Delphine Baril (Léa Blanchard), Charlotte Laemmel (Christine Valet-Dubreuil), Gaëtan Peau (Michel Uzès), Nora Hamzawi (La femme enceinte), Jonathan Cohen (Johnny le légiste)
  • Distributeur : Bac Films
  • Date de sortie : 26 juin 2024
  • Durée : 1h36

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