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C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70 : Le Vieux fusil fête ce 20 août 2020 son 45ème anniversaire. Dans le cadre d’un exercice d’appréhension critique d’une œuvre cinématographique, il est nécessaire (en particulier sur un film qui a déjà fait couler beaucoup d’encre) d’avoir à l’esprit les quelques questionnements complémentaires qui vont guider l’analyse, sous peine de n’envisager qu’un bout de la lorgnette : que raconte le film ? dans quel contexte de narration ou de production ? avec quelle approche thématique ou stylistique ?

Parfois, ces interrogations se fondent, formant une essence cohérente de laquelle on tire facilement les chefs-d’oeuvre. Et parfois, c’est beaucoup moins simple : selon l’angle avec lequel on l’aborde, Le Vieux fusil est un film qui a parfois figé ses commentateurs dans la posture, que celle-ci soit d’ailleurs pour sa défense ou violemment à charge. Ces positions, sur lesquelles nous allons revenir, nous paraissent pour la plupart en partie compréhensibles, mais aucune ne nous paraît en réalité suffisante. Le Vieux fusil, qu’est-ce, finalement ? Un revenge (voire un rape-and-revenge) movie ? Un film de guerre ? Un document historique, en ce qu’il commente des faits historiques avec le regard rétrospectif de son époque ? Un mélodrame en temps de guerre ? Ou un film signé Robert Enrico ? Un peu tout cela, peut-être.

Genèse et Inspiration du Film

Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret (dont Jardin avait signé les dialogues) et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux fusil. Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée. Impressionné, Pascal Jardin décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944.

Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz. Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.

Casting et Réalisation

Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien. Il l’a déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum. Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent. Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre.

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Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri. Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Le premier rendez-vous de travail à trois est pour le moins tendu. Romy Schneider arrive deux heures en retard. Excédé, Philippe Noiret lui jette alors un : « Ah l'Autrichienne ! On commençait à se languir de vous. Pardonnez-moi mais je dois partir » avant de lever le camp devant le réalisateur blême qui réussit pourtant à rattraper tant bien que mal son acteur quand Romy Schneider lui explique qu’elle ne peut pas jouer avec un tel goujat.

Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.

Contexte Historique et Thématique

Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico (qui va des Grandes gueules aux Aventuriers en passant par Pile ou face ou Fait d’hiver) c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie. Pourtant, Le Vieux fusil s’inscrit dans un double contexte particulier. Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos. Le Vieux fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique.

Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry. Forcément, cette violence dérange. Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert.

Réception et Distinctions

En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance. Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant). Le temps confirmera cet engouement. En 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession.

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Apologie de l’autodéfense, le long métrage repose sur des arguments détestables : Dandieu utilise les mêmes procédés que ses ennemis, jusqu’à leur dérober un lance-flammes pour immoler le chef de ces assassins. Ainsi, les enjeux de la guerre sont clairement évoqués en privilégiant un schéma cathartique, où le bon Français se débarrasse du méchant Allemand, le but étant de caresser dans le sens du poil la bonne conscience d’un pays dont le gouvernement officiel collabora avec l’occupant. Ici, l’émotion envahit tout, détermine chaque geste, chaque plan, chaque parole, pour construire une sorte d’infernal chantage lacrymal. A la fin, les FFI débarquent. La caméra s’attarde sur eux. En revanche, les miliciens du début passent rapidement.

Analyse Thématique et Stylistique

Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Leur lecture du film, qui bien qu’assez sommaire trouve encore aujourd’hui des souscripteurs, le réduisait à une chasse à l’homme dans lequel un « gentil » se rendait justice lui-même en tuant des « méchants », associant de fait le film aux œuvres de « justicier » telles qu’on pouvait alors les voir alors aux Etats-Unis, par exemple sous les traits de Charles Bronson dans la série des Death Wish.

Ceci appelle deux commentaires sous forme d’évidences : d’une part, quand bien même il ne s’agirait que de cela, traiter un tel sujet n’est pas un interdit formel (décrété par ?), et quelques grands cinéastes s’y sont attelés en de multiples occasions (Bergman, Kazan, Peckinpah ?) ; au cinéma, nous y reviendrons, l’important n’est souvent pas tant ce qu’on raconte que comment on le raconte. Mais au-delà de considérations qualitatives, le fait de décrire ce processus « justicier » chez un personnage n’implique pas forcément une adhésion morale (du film, de son auteur, de ses participants) au principe général de la « loi du talion », et l’une des vocations de l’art (en particulier du septième) est justement de donner à voir de telles situations en dehors de la réalité.

D’autre part, il existe probablement une différence notable, liée au contexte du récit, entre le principe des films de justice expéditive façon Death Wish (qui prétendent dénoncer l’inefficacité des organes légaux de maintien de l’ordre ou de la justice) et celui du Vieux fusil... L’action du film se déroule dans le Sud de la France durant l’été 1944, après le débarquement américain, et s’inspire des exactions monstrueuses commises par la division SS Das Reich lors de sa remontée sanglante vers la Normandie, et en particulier des massacres de Tulle, d’Argenton-sur-Creuse et d’Oradour-sur-Glane, les 8, 9 et 10 juin 1944. A cet instant-là, et compte tenu à la fois de la confusion structurelle (qui représente la « justice », alors, en France ? l’occupant ? la collaboration de Vichy ? la Résistance ?) et de l’incertitude en l’avenir (le film montre bien l’inquiétude alors des Allemands), s’établit une situation particulière de non-droit, voire de béance dans le cours de la civilisation.

Des procès (notamment celui de Bordeaux) auront certes lieu, dans la décennie qui suivra, pour identifier les responsables (et de façon souvent insatisfaisante) mais, à cet instant précis, c’est bien en partie le sentiment d’impunité qui aura dicté le comportement de cette division SS, qui se livra à ces massacres parce qu’elle pouvait alors le faire, sans personne pour l’en empêcher ou pour la condamner.

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Si l'on peut donc (sans forcément en appeler à l’abjection ou à l’obscénité) avoir des réserves d’ordre moral sur le film, elles ne doivent donc pas tant être sur ce qu’il décide de raconter que sur la manière dont il le fait. Philippe Noiret (sur l’apport duquel nous reviendrons plus tard) évoque dans sa Mémoire cavalière sa déception de ne pas avoir vu ce sujet délicat traité avec plus de retenue ou de subtilité. Et, de fait, Robert Enrico ne cherche pas spécialement à prendre des pincettes quand il s’agit de décrire ou les massacres perpétués par la division nazie ou la séquence d’assassinats vengeurs de Dandieu : il y opte à la fois pour des mécaniques de film de genre (avec une représentation explicite des choses, y compris les plus sanglantes) et de mélodrame (en opérant sur le contraste entre la violence des actions et la douceur des souvenirs, pour mieux susciter l’émotion).

On peut notamment lui reprocher, dans cette logique, des caractérisations grossières (tous les personnages allemands, sans aucun doute (1)) et des transitions malhabiles, comme ce fondu enchaîné entre un corps calciné et la flamme d’une bougie dans un flash-back... Tout d’abord, le film est tourné, au milieu des années 70, à une époque où la France commence à interroger son passé d’une manière un peu différente : au niveau cinématographique, notamment, des films comme Lacombe Lucien de Louis Malle, ont fait polémique en remettant à plat les comportements individuels durant le conflit. Non, tous les Français n’étaient pas résistants, tous les Français n’étaient pas des héros, tous n’ont pas eu une attitude morale irréprochable face à l’Occupation.

Dandieu, par un prisme différent, incarne lui aussi cette reconnaissance de l’inexemplarité individuelle : il n’agit probablement pas comme il faudrait qu’il le fasse, mais (sempiternelle question) qui sait comment il faut se comporter face à l’ignominie et - plus encore - qui sait comment il ou elle se comporterait en telle situation ? Dans les premières minutes du film, Dandieu nous est présenté d’emblée comme un Français quelconque : ni collabo ni résistant, il continue de travailler, et ce n’est de toute façon pas un personnage politisé, ni même engagé, à titre individuel, dans ce conflit. De fait, parce qu’il adopte un strict point de vue individuel, Le Vieux fusil est un film qui envisage beaucoup moins de considérations générales sur l’humanité que ce que l’on a voulu lui attribuer, en bien comme en mal d’ailleurs.

Et c’est précisément ce qui explique, également, sa forme mélodramatique (pathétique, même) : les dédales, portes dérobées, vitres sans tain qui peuplent ce château ne sont pas là que pour alimenter (de façon tout à fait palpitante) la manière romanesque du récit, ils traduisent l’état mental d’un personnage qui (littéralement) erre dans les méandres de ses souvenirs ou qui, face à un miroir, ne parvient même plus à se voir. Il faut alors repenser à la séquence essentielle, traumatisante, qui déclenche cette violence : celle où Dandieu, découvrant les corps de son épouse et de sa fille, « voit » ce qui s’est passé.

Il ne s’agit alors pas forcément tant d’un flash-back (et, à ce titre, cet exemple matriciel sert à envisager différemment tous ceux qui suivront) que d’une « vision », une manière de faire entrer dans l’esprit du personnage. Et c’est là que le rôle de Robert Enrico, que l’on a jusqu’ici pas forcément présenté de la manière la plus estimable qui soit, se définit plus précisément. Ancien élève de l’IDHEC (section mise en scène) et monteur à ses débuts, Enrico sait aussi bien que quiconque que le cinéma est un art des images et des sons, qui prend du sens par la manière dont ceux-ci s’agencent les uns avec les autres. Et la séquence dont nous parlons, précisément, a pour vocation de créer sur le spectateur un impact émotionnel comme seul les moyens cinématographiques peuvent le permettre : pour dire les choses sommairement, si on devait dresser un palmarès des séquences les plus traumatisantes de l’histoire du cinéma populaire français, cette séquence arriverait en très haute position.

Pour des générations entières de spectateurs (pas forcément cinéphiles, on y arrive tout de suite), Le Vieux fusil, c’est la séquence du lance-flammes, et les frissons que son souvenir procure inévitablement. Sans cette séquence, le film n’aurait pas été le même, et il n’aurait, sans aucun doute, pas eu la même postérité. Surtout, le cheminement du personnage de Dandieu n’aurait pas été, en tout cas dans la même mesure, aussi « justifiable » (à tort ou à raison). On peut, lorsque l’on porte en haute estime les moyens cinématographiques, trouver qu’il s’agit là d’une forme de manipulation peu glorieuse.

Car, enfin, placé dans la cohérence d’une filmographie qui vaut certainement plus que la manière dont elle est souvent considérée, Le Vieux fusil ne choque pas : des Grandes gueules (avec le personnage de Bourvil) à Fait d’hiver (celui de Charles Berling), en passant par Les Aventuriers (Ventura), Ho ! (Belmondo), Pile ou face (Serrault) et quelques autres, l’histoire centrale du cinéma de Robert Enrico, c’est la manière dont un type quelconque, a priori équilibré, va être amené par les circonstances à basculer malgré lui dans la violence, voire la folie. Autrement dit, ce qui intéresse Enrico, ce n’est pas la violence à proprement parler, ce sont les mécanismes qui la déclenchent. A cet égard, Le Vieux fusil a quelque chose de l’ordre de l’évidence, et le coeur du film ne se trouve pas dans les actes commis par Dandieu, mais dans la manière dont ceux-ci le transforment.

L'Impact Psychologique et la Cruauté

Cela pousse à la réflexion personnelle en nous mettant en face de notre propre violence dans pareille situation; ce que notre conscience n'oserait même pas imaginer, même pas un instant, dans notre vie de tous les jours. Car Robert Enrico, au travers de son récit, sans concessions et très réaliste, délivre une vérité profondément brute et au-delà de la cruauté sur les aspects les plus noirs de l'être humain. La cruauté peut engendrer la cruauté. Et cette cruauté est la même qu'elle soit totalement gratuite ou rendue "morale" par des mobiles affectifs donc "acceptables".

Dans ce film, la guerre mondiale prend l'aspect d'une guerre personnelle qui tourne non plus autour d'idéaux politiques mais de l'amour simple. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce. "Le vieux fusil" nous plonge dans l'horreur de la guerre, et en particulier dans le massacre de civils par les nazis. Robert Enrico s'est inspiré du triste évènement d'Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne qui eut lieu le 10 juin 1944 et qui fit 642 victimes pour réaliser ce film.

Le film, qui alterne entre poésie et cruauté, nous subjugue du début à la fin. Je n'avais jamais eu l'opportunité de voir ce film avant. Et je peux le mettre dans la liste des film à ne plus jamais regarder. Pas parce qu'il est mauvais mais parce qu'il m'a tellement chamboulée que même après je n'ai pu arrêté d'y penser et de revivre les scènes et de pleurer.
Film très fort, je ne m'attendais pas à ça, j'ai adoré et j'ai détesté. Il fait si bien écho à ce qui existe encore à travers le monde dans certains pays. Il est triste et désespérant qu'il soit finalement si d'actualité... Quelle claque ! J'ai pu voir ce film au cinéma lors d'une rediffusion, le rendant encore plus impressionnant.

Tableau Récapitulatif :

Aspect du Film Détails
Réalisateur Robert Enrico
Scénariste Pascal Jardin
Acteurs Principaux Philippe Noiret, Romy Schneider
Contexte Historique Seconde Guerre Mondiale, Massacres de Tulle et Oradour-sur-Glane
Thèmes Principaux Vengeance, Justice Expéditive, Horreur de la Guerre
Réception Succès au Box-Office, César du Meilleur Film, Acteur, Musique

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