Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, c’est Le Vieux Fusil qui reste son œuvre la plus célèbre, récompensée par plusieurs Césars. Sorti en 1975, Le Vieux Fusil, réalisé par Robert Enrico, est un film qui a marqué le cinéma français et continue de susciter des débats et des émotions fortes. Inspiré par le massacre d'Oradour-sur-Glane, ce long-métrage glacial est l'un des plus intenses de la filmographie de Romy Schneider.
Montauban, été 1944 : le chirurgien Julien Dandieu essaye de continuer son travail, malgré la pression de la Milice, en préservant son épouse Clara et sa fille Florence. Afin de mettre celles-ci à l'abri jusqu'à la fin de la guerre, il les envoie se réfugier dans le château familial de la Barberie. Quelques jours plus tard, Julien décide de les rejoindre. En arrivant à son château, Julien découvre les cadavres massacrés de tous les habitants du village à l’intérieur de la chapelle.
Dans le cadre d’un exercice d’appréhension critique d’une œuvre cinématographique, il est nécessaire d’avoir à l’esprit les quelques questionnements complémentaires qui vont guider l’analyse. Selon l’angle avec lequel on l’aborde, Le Vieux Fusil est un film qui a parfois figé ses commentateurs dans la posture. Qu’est-ce, finalement ? Un revenge movie ? Un film de guerre ? Un document historique ? Un mélodrame en temps de guerre ? Ou un film signé Robert Enrico ? Un peu tout cela, peut-être.
L’action du film se déroule dans le Sud de la France durant l’été 1944, après le débarquement américain, et s’inspire des exactions monstrueuses commises par la division SS Das Reich lors de sa remontée sanglante vers la Normandie, et en particulier des massacres de Tulle, d’Argenton-sur-Creuse et d’Oradour-sur-Glane, les 8, 9 et 10 juin 1944. Le film est tourné, au milieu des années 70, à une époque où la France commence à interroger son passé d’une manière un peu différente. Des films comme Lacombe Lucien de Louis Malle ont fait polémique en remettant à plat les comportements individuels durant le conflit. Non, tous les Français n’étaient pas résistants, tous les Français n’ont pas eu une attitude morale irréprochable face à l’Occupation.
Dans les premières minutes du film, Dandieu nous est présenté d’emblée comme un Français quelconque : ni collabo ni résistant, il continue de travailler, et ce n’est de toute façon pas un personnage politisé, ni même engagé, à titre individuel, dans ce conflit. De fait, parce qu’il adopte un strict point de vue individuel, Le Vieux Fusil est un film qui envisage beaucoup moins de considérations générales sur l’humanité que ce que l’on a voulu lui attribuer.
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Le Vieux Fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique. Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry.
Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle. Lumineuse, radieuse, elle incarne plus qu’un personnage : une lumière. Même aux milieux des bruits de bombardements, elle conserve sa grâce. Son personnage est pourtant le centre même du film, son souvenir qui va guider le docteur dans son expédition vengeresse. Pendant qu’il prépare sa vengeance contre les soldats nazis, Dandieu va être assailli par les souvenirs de sa femme, sa rencontre avec elle, sa petite vie de famille de bon père bourgeois de province avant la guerre, etc. De ces flashbacks va donc se dégager une impression paradoxale, mélange de bonté, de sérénité, de joie, et de douleur.
Il faut alors repenser à la séquence essentielle, traumatisante, qui déclenche cette violence : celle où Dandieu, découvrant les corps de son épouse et de sa fille, « voit » ce qui s’est passé. Il ne s’agit alors pas forcément tant d’un flash-back que d’une « vision », une manière de faire entrer dans l’esprit du personnage. Et c’est là que le rôle de Robert Enrico se définit plus précisément.
En fait, cette vengeance est désabusée, en tuant ces Allemands Julien Dandieu ne va pas vraiment en retirer quelque chose. Par la perte de ses proches, on comprend que ce personnage est profondément gentil. Cela se voit avec le casting ; on a un Philippe Noiret au visage rond, au ventre légèrement bedonnant et aux lunettes rondes. Cet homme qui a pour habitude de sauver des vies condamne désormais les bourreaux de sa femme et de sa fille à la peine de mort. Il devient le vengeur, machine à broyer l’ennemi.
Ce que l’on retient, ce sont les conséquences de ces actes qui sont terriblement dramatiques ; on les vit au travers des yeux du personnage principal. Au début, Dandieu est un homme qui essaie de faire son métier de son mieux. Dandieu pensait sincèrement échapper à tout cela et protéger sa famille en l’envoyant à la campagne, dans le hameau de la Barberie. Mais pourtant, la guerre ne préserve rien, tout est touché, souillé par sa folie destructrice.
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Ce que je retiens du film Le Vieux Fusil, c’est aussi sa photographie poussée ; la composition des plans a un vrai sens et donne une dimension supplémentaire au film. La scène qui l’exprime le mieux est celle-ci : attendant de tuer les soldats occupant son château, Julien Dandieu reste, dans le noir, seul et fatigué.
Lieux mythiques du cinéma : Le village de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, a accueilli le tournage du film de Robert Enrico, au printemps 1975. À Bruniquel, le tournage du Vieux Fusil, en 1975, reste un temps fort de l’histoire locale. Les figurants qui ont participé à cette aventure ne sont plus nombreux, mais le film continue à drainer toute l’année des touristes jusqu’à la cité médiévale, classée parmi les plus beaux villages de France.
Plusieurs habitants évoquent aussi avec émotion la présence du fils de Romy Schneider, David Meyen, alors âgé de 9 ans, mort six ans plus tard. Mais de tous, c’est bien Philippe Noiret, cet homme « simple et ouvert», qui a su le mieux se faire aimer des Bruniquelais.
Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant). Le temps confirmera cet engouement. En 1985, Le Vieux Fusil sera élu comme César… des César par la même profession.
Catégorie | Lauréat |
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Meilleur film | Le Vieux Fusil |
Meilleur acteur | Philippe Noiret |
Meilleure musique | François de Roubaix (à titre posthume) |
Le Vieux Fusil s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent.
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Sorti en 1975, Le Vieux Fusil, réalisé par Robert Enrico, est un film qui a marqué le cinéma français et continue de susciter des débats et des émotions fortes.
Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Si l'on peut donc avoir des réserves d’ordre moral sur le film, elles ne doivent donc pas tant être sur ce qu’il décide de raconter que sur la manière dont il le fait. Philippe Noiret évoque dans sa Mémoire cavalière sa déception de ne pas avoir vu ce sujet délicat traité avec plus de retenue ou de subtilité. Et, de fait, Robert Enrico ne cherche pas spécialement à prendre des pincettes quand il s’agit de décrire ou les massacres perpétués par la division nazie ou la séquence d’assassinats vengeurs de Dandieu : il y opte à la fois pour des mécaniques de film de genre et de mélodrame.
La scène de viol cristallise l'apogée du film de Robert Enrico, qui lui a valu d'être censurée en Allemagne principalement en raison de sa violence graphique et de l'impact émotionnel extrême qu'elle suscite. Ce passage montre l'agression brutale de Clara, l'héroïne qu'interprète Romy Schneider, par des soldats nazis, dans un souci de représentation réaliste et sans détour des atrocités de guerre. La censure de cette scène en Allemagne n'est pas non plus sans lien avec la perception ambiguë de Romy Schneider dans son pays natal, à cette époque.
Dans les années 1970, les normes de censure en Allemagne étaient plus strictes, particulièrement pour les contenus violents ou explicites, surtout lorsque ceux-ci évoquaient des périodes historiques sombres. Les autorités de censure allemande, FSK, estimaient que cette scène pourrait susciter des réactions trop perturbantes. Elles ont donc pris la décision de retirer cette séquence du film pour les projections publiques.
En 1975, Le Vieux Fusil réunit 3 365 471 spectateurs et triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes. Il y a peu de films et de musique dans une vie qui vous laissent des images et des sons ancrées dans votre mémoire de manière indélébile: Le Vieux Fusil en fait partie. C'est une œuvre absolument marquante à cause de son impact psychologique et émotionnel puissant.
Ce que l’on retient, ce sont les conséquences de ces actes qui sont terriblement dramatiques ; on les vit au travers des yeux du personnage principal. Julien Dandieu est un homme plutôt sympathique, tout en rondeur. Un professionnel de santé exposé à la souffrance du quotidien. Plus il soigne et plus on lui envoie de blessés, avec toujours moins de médicaments. Il vient en aide aux blessés, sans discrimination, y compris les miliciens. Même s’il apporte un soutient discret à la Résistance, il ne s’engage pas.
Clara le trouve laid. Julien lui offre un peu de sécurité. Elle se marie donc avec lui. Lorsque l’ennemi approche, Julien ne prend pas de décision. Il laisse François décider pour lui et va le regretter puisqu’il ne reverra plus jamais ni sa femme, ni sa fille. Sans le savoir, il les a données en pâture aux sauvages. Une fois. Il se refait le film des événements. S’en veut. Les femmes de sa vie, celles qu’il se devait de protéger, sont mortes par sa faute. Il les a abandonnées. Sa culpabilité est énorme, sa colère sourde. La barbarie de la guerre est en train de le transformer.
Cet homme qui a pour habitude de sauver des vies condamne désormais les bourreaux de sa femme et de sa fille à la peine de mort. Il devient le vengeur, machine à broyer l’ennemi. Julien pousse le vice jusqu’à mentir aux Partisans pour mieux en finir avec les Nazis, seul. Julien fait le ménage. Il liquide tous les Nazis de sang froid, sans dire un mot. Lorsque François le retrouve, Julien est égal à lui même malgré le drame qu’il vient de traverser. Il n’a pas changé alors qu’il vient de tuer une dizaine d’hommes : il devient un monstre. Puis il revient à lui même et retrouve son humanité l’espace de quelques secondes. Prend conscience de l’atrocité qu’il vient de subir - et de commettre. Les larmes montent. Puis sa nature reprend le dessus.
Le Vieux Fusil s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent.
Robert Enrico, ancien élève de l’IDHEC et monteur à ses débuts, sait aussi bien que quiconque que le cinéma est un art des images et des sons, qui prend du sens par la manière dont ceux-ci s’agencent les uns avec les autres. Et la séquence dont nous parlons, précisément, a pour vocation de créer sur le spectateur un impact émotionnel comme seul les moyens cinématographiques peuvent le permettre : pour dire les choses sommairement, si on devait dresser un palmarès des séquences les plus traumatisantes de l’histoire du cinéma populaire français, cette séquence arriverait en très haute position.
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