Le cinéma western regorge de pépites, certaines célèbres, d'autres injustement oubliées. Cet article propose une exploration de plusieurs westerns, en mettant en lumière leurs qualités visuelles, scénaristiques et la performance des acteurs.
A tout seigneur, tout honneur, commençons par L’HOMME DE NULLE PART (JUBAL) de Delmer Daves qui coécrit le scénario. Ce premier volet d’une trilogie avec Glenn Ford est une transposition d’Othello dans les paysages somptueux de Jackson Hole où Rod Steiger joue (voire surjoue) Iago. J’ai revu le dvd américain et j’ai été très sensible à la grande variété des paysages, à la manière magistrale dont Daves les intègre à l’action, aux émotions des personnages. Il y filme pour la première fois l’émouvante Felicia Farr. Charles Bronson y est aussi spectaculaire que dans L’AIGLE SOLITAIRE.
À découvrir également LA MISSION DU COMMANDANT LEX d’André de Toth que j’aime davantage à chaque vision. LA DERNIERE CHASSE m’a passablement déçu (alors que j’ai été transporté par une nouvelle vision de DEADLINE USA, hélas inédit en dvd) malgré les audaces scénaristiques, les bonnes intentions. J’avais gardé un bon souvenir de ce western écologique, de ce plaidoyer contre le massacre des bisons que Brooks rapprochait du massacre des Indiens. Mais le scénario m’a paru assez lourd et démonstratif et surtout on a l’impression que le film n’est pas monté comme il a été tourné. Il y a des raccords très étranges qui brouillent toute progression dans l’espace, des rapports de plans lourds et maladroits, défauts que l’on ne sent jamais dans ELMER GANTRY ou LES PROFESSIONNELS.
AU DELÀ DU MISSOURI est vraiment un film impressionnant. Dans son utilisation de paysages, d’extérieurs somptueux et magnifiquement filmé. Dans ses partis pris notamment la volonté de faire parler tous les indiens dans leur langue des décennies avant DANSE AVEC LES LOUPS. Et de manière plus compliquée parce que Wellman ajoute le français que parlent les trappeurs canadiens. Adolphe Menjou, qui joue Pierre, passe plus de la moitié de son rôle soit à parler français soit à traduire ce que disent les indiens dans l’une ou l’autre des langues. Il est en effet le traducteur de Gable, lequel ne peut communiquer aux chefs indiens ou sa future épouse qu’à travers un interprète. Autres détails pittoresques, John Hodiak, un trappeur censé connaître plusieurs dialectes a de nombreuses tirades en pied noir et tout le monde chante Alouette, gentille alouette en français (quand vient le tour de Gable, il a un accent prononcé, mais qui est justifié) On imagine la perplexité des dirigeants du studio devant ces échanges qui nécessitent tous des sous-titres.
On sent d’ailleurs que le film a été remonté et coupé (il ne dure que 76 minutes) et affublé d’un commentaire hyper insistant qui ne colle pas avec le style dépouillé, elliptique (sauf dans les séquences comiques) de Wellman. Je suis sûr que cette voix-off a été conçue au montage et elle est souvent pléonastique, soulignant des détails qu’on a compris. Comme dans CONVOI DE FEMMES, Wellman laisse de côté certains moments qui se déroulent en partie hors champ ou sont brusquement coupés ou traités en quelques secondes, ce qui provoque une incompréhension chez certains internautes qui regrettent le morceau de bravoure traditionnel. Il reste néanmoins un grand nombre de plans superbes. Gable est remarquable et souvent touchant. Je voudrais bien savoir ce qui s’est vraiment passé au montage.
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Quel plaisir en revanche de revoir un film qu’on a adoré à 18 ans et de constater qu’il est encore meilleur que dans votre souvenir. C’est le cas de WESTWARD THE WOMEN (CONVOI DE FEMMES). Il s’agit d’un des chefs d’œuvres de Wellman et du western. Il prend le contre-pied d’une des audaces d’OX-BOW INCIDENT. À la quasi-absence de femmes, il substitue au contraire une pléthore de personnages féminins décrits avec le minimum de sentimentalisme, réduit de manière drastique le rôle des hommes, à l’exception de John McIntire, excellent, du savoureux personnage du cuisinier japonais et de Robert Taylor. Ce dernier est utilisé ici de manière très convaincante (ses plans de réaction quand il découvre les femmes sont cadrés avec une grande intelligence).
On retrouve magnifiées, toutes les qualités de Wellman - ton dépouillé, direction d’acteurs et d’actrices extrêmement sobre (Denise Darcel, très sensuelle, est excellente tout comme la gigantesque Hope Emerson), travail impressionnant sur les paysages - toutes les figures stylistiques ou narratives qui portent sa marque : longs travellings qui suivent deux cavaliers de dos, plongées spectaculaires. J’avais gardé depuis la première vision au California, un souvenir vivace des plus beaux plans et de certaines séquences : les survivantes lançant les noms des femmes qui ont péri, noms que l’écho reprend, la mort d’un enfant, filmé de façon foudroyante. J’ai redécouvert des moments comme cet accouchement dans un chariot que les femmes soutiennent. Séquence ultra wellmanienne montrant que l’individu doit se fondre dans la collectivité.
L’action est souvent traitée hors champ : une bagarre très importante est aux trois quarts occultée derrière des chariots, des obstacles divers ; l’attaque des Indiens qu’on attend depuis le début se déroule hors champ. Robert Taylor et Denise Darcel l’entendent, mais arrivent trop tard. Wellman privilégie, ici comme ailleurs, les conséquences d’une action : ces panoramiques qui recadrent les femmes qui ont été tuées.
VAQUERO de John Farrow sorti dans la même collection, frappe par sa beauté visuelle. Majestueuse utilisation des paysages (ce grand panoramique découvrant le rassemblement des vaqueros), cadres extrêmement soignés, décors empreints d’esthétisme : le saloon où se déroule le règlement de comptes final. Le scénario de l’excellent Frank Fenton (LE JARDIN DU DIABLE) est complexe, fouillé, flirtant comme souvent chez Fenton avec la fable morale. Son dénouement, vraiment fort, évite tous les compromis. Ce dernier film comme LA RIVIÈRE D’ARGENT de Raoul Walsh, western sur la volonté de puissance qui, dans mon souvenir, avait des résonances shakespeariennes, une gravité tragique.
On peut commander en zone 1 toi à un prix modique le DVD de THE TRAIL OF THE LONESOME PINE. Le transfert est excellent et j’ai aimé revoir le film que je trouve riche et passionnant quant au talent d’Hathaway. Il utilise brillamment le technicolor qui est d’une beauté à couper le souffle (même si certains maquillages sont forcés). C’est le premier film utilisant ce procédé qui fut tourné en extérieurs. Qui sont d’ailleurs somptueux, admirablement intégrés à l’action. Lyriques ou dépouillés lors de certains moments de violence qui se déroulent souvent parmi des rochers, dans des escarpements qui en renforcent le côté dramatique.
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Une fois de plus, ce qui frappe chez Hathaway, c’est la netteté aiguë, souvent acérée du découpage qui lui permet de brider le sentimentalisme de cette histoire, déjà gommé dans le scénario de Grover Jones (pour Hathaway le meilleur scénariste avec qui il ait travaillé avec Wendell Mayes). Et dans la direction d’acteurs chez les personnages âgés notamment. A noter la manière très moderne dont Hathaway termine abruptement certaines séquences, en apparence classiques. Et il se permet des échappées sentimentales comme ces plans du petit oiseau qui se pose sur différents meubles avant que la caméra panoramique pour recadrer le visage de Sylvia Sidney. On peut regretter deux ou trois gags appuyés avec Nigel Bruce et le petit Bobbie, une bagarre filmée à l’accéléré et la construction dramatique prévisible. Le premier affrontement avec Fonda, en plans larges avec amorce, est spectaculaire.
Il est intéressant de comparer l’ouverture de ce film et celle de Sheperd of the Hill (film châtré par le studio selon John Wayne) qui se déroule dans les mêmes paysages et avec le même genre de personnages.
STRANGER ON A HORSEBACK (VCI entertainment) avait été une des plus heureuses surprises de la rétrospective Tourneur. On avait découvert un film original, d’une légèreté aérienne qui s’impose dès les premiers plans : Joel McCrea chevauchant en lisant en livre de loi passe près d’une tombe qu’on est en train de creuser. Pas de dialogue… juste un léger travelling latéral coupé par un plan serré d’une femme, plan inattendu qui s’enchaîne sur un plan large où McCrea, à droite du cadre, s’éloigne de la tombe. Un peu plus tard, un chat roux prend une place importante dans le bureau du marshal et sa présence décale les scènes. On le verra sauter du bureau quand trois hommes font brusquement irruption pour délivrer Kevin McCarthy.
Ce dernier joue le rejeton du potentat local, rejeté violent, dégénéré, tyrannique et pourtant charmeur qui semble débarrassé de tous les clichés qui alourdissent ce personnage archétypal. Et la manière dont McCrea qui refuse de se servir de ses armes, le réduit à l’impuissance est irrésistible. Il se débarrassera de la même manière d’un homme de main qui le provoque après un échange jubilatoire : l’homme l’arrose quand il passe près d’un abreuvoir. McCrea se contente de dire « il fait chaud ». Quand il revient sur ses pas, l’autre l’arrête : « je n’ai pas aimé ce que vous avez dit » - « J’ai dit qu’il faisait chaud » - « j’ai pas aimé le ton sur lequel vous l’avez dit ».
Le ton, le traitement sont constamment inhabituels. McCrea, juge itinérant, découvre presque accidentellement qu’il y eu un meurtre et commence à souligner toute une série d’actes délictueux. Ce film fut tourné en Ansco Color, procédé étrange qui semble bichrome et donne des teintes étranges (le dvd n’est pas trop mal restauré, mais la copie vue à Beaubourg me semblait plus contrastée) qui dans les plans larges ne sont pas désagréables. Tourneur en tire quelques effets heureux.
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MEN IN THE WILDERNESS (LE CONVOI SAUVAGE) est un chef d’œuvre méconnu qui est sorti (avec sous-titres français) en double programme avec THE DEADLY TRACKERS de Barry Shear dont j’ai gardé un souvenir détestable bien qu’il ait été commencé par Fuller. Les deux œuvres se partagent la même vedette, Richard Harris qui trouve dans MEN IN THE WILDERNESS l’un de ses meilleurs rôles. Il joue un guide, un trappeur qui accompagne l’expédition du Capitaine Henry (interprété par John Huston). Attaqué par un ours, il est laissé pour mort et abandonné par Henry. Sarafian nous raconte comment il va littéralement renaître, réapprendre à marcher, à survivre et sa lutte pour la vie qui nous vaut de fulgurants plans de nature (thématique qui anticipe sur INTO THE WILD sans le contexte hippie) se double de son désir de vengeance. On pense parfois à MOBY DICK.
Photographie inspirée, épique de Gerry Fischer qui culmine dans ces plans de ce bateau que l’on pousse, que l’on tire à travers ces paysages de neige. Un des plus beaux moments, insolite, original, est cet accouchement d’une Indienne auquel assiste Richard Harris. La manière dont Sarafian filme cette scène (et d’ailleurs les Indiens), est exemplaire.
Tout comme L’HOMME SAUVAGE (THE STALKING MOON - également sorti en zone 2 en mars dernier) de Robert Mulligan qui est mort fin 2008 dans un semi anonymat. C’était pourtant un cinéaste sensible, attachant qui signa plusieurs œuvres personnelles et originales comme BABY THE RAIN MUST FALL, écrit par Horton Foote, LOVE WITH A PROPER STRANGER, TO KILL A MOCKINGBIRD (DU SILENCE ET DES OMBRES) belle adaptation de l’émouvant roman de Harper Lee qui vient d’être réédité sous le titre Ne tirez pas sur l’Oiseau Moqueur. THE STALKING MOON est un western méconnu, une variation sur le thème des femmes enlevées par les Indiens qui doivent affronter la civilisation. Eva Marie Saint est bouleversante dans ce rôle. C’est aussi un western fondé sur l’angoisse, la peur latente. Les protagonistes sont sans cesse menacés par un ennemi impitoyable et invisible. On ne le devinera que dans les derniers plans. Charles Lang prestigieux opérateur de studio démontre ici qu’il est tout aussi inspiré par les décors naturels.
Sortons du western pour saluer un autre Mulligan, UP THE DOWN STAIRCASE (ESCALIER INTERDIT), toujours écrit par Alvin Sargent qui annonce de manière incroyablement prémonitoire ENTRE LES MURS de Laurent Cantet. Un double programme serait tout à fait passionnant, même si le Mulligan paraît plus scénarisé. Le regard porté sur l’école, sur les minorités, sur les injustices est le même et UP THE DOWN STAIRCASE annonce tout ce qui arrivera 25 ans plus tard dans l’école française (sous titres français). Sorti d’un coffret distribué par Warner (sous-titres français) qui comprend deux excellents Sturges, ESCAPE FROM FORT BRAVO (magnifique utilisation de l’espace et des paysages) et THE LAW AND JACKE WADE qu’André Glucksmann jugeait Hégélien. Ajoutons pour faire bonne mesure le très intéressant western de Robert Parrish SADDLE THE WIND avec Robert Taylor et surtout Julie London et John Cassavetes.
Enfin, cerise sur le gâteau, Sony Pictures a enfin sorti (avec sous-titres français) un coffret consacré aux Boetticher avec Randolph Scott, à l’exception du sublime 7 HOMMES A ABATTRE. Je me suis déjà régalé à revoir le magnifique THE TALL T (d’une rare violence et où Maureen O’Sullivan campe le plus intéressant personnage de femmes de cette série, avec Gail Russell dans 7 HOMMES). Scott, dans les premières scènes sourit beaucoup et joue avec une décontraction absente des autres œuvres. Ce qui rend l’irruption de la violence encore plus forte, plus troublante. COMANCHE STATION, RIDE LONESOME sont tout aussi remarquables avec cette flopée de hors la loi savoureux, souvent minables, illettrés, obsédés par les femmes et qui ont dû beaucoup inspirer Quentin Tarentino.
Nous étions trop sévères dans 50 ANS DE CINEMA AMERICAIN pour ARROWHEAD (LE SORCIER DU RIO GRANDE) écrit et réalisé par Charles Marquis Warren que j’ai revu avec un grand plaisir. On soulignait, à juste titre, l’interprétation spectaculaire de Jack Palance (son arrivée dans le film est mémorable tout comme le moment où il retrouve son père) mais il aurait aussi fallu louer Charlton Heston (aussi puissant que dans NAKED JUNGLE) qui jamais n’édulcore, n’affadit la violence noire, la rage haineuse du personnage. Tous les Apaches sont cruels et l’on ne peut leur faire confiance surtout pas à ceux qui semblent civilisés : l’une des premières actions de Palance/Toriano est d’abattre son frère de sang, le scout indien est un traître. Mais néanmoins, le propos témoigne d’une certaine complexité, supérieure à la moyenne des westerns, évite le manichéisme « noble sauvage méchant civilisé » ou l’inverse, les Apaches sont ce qu’ils sont et font ce qu’ils font (« That’s what they do ») et pareil pour les blancs, militaires ou autres.
Tout le monde a ses raisons, bonnes ou mauvaises (et souvent les deux selon le point de vue). Heston qui a vécu avec les Apaches dit bien comme Lancaster dans ULZANA’S RAID (FUREUR APACHE) qu’il ne déteste pas les Apache, simplement qu’il les connaît mais le film n’atteint pas la complexité de l’Aldrich dont il constitue une sorte d’ébauche. Le rapport avec ULZANA’S RAID est plus sensible, comme nous le soulignions, dans le beau roman de Burnett.
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