C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70 : Le Vieux fusil a produit l'effet d'un électrochoc au moment de sa sortie au cinéma le 20 août 1975.
Ce film a bouleversé la France. À l'époque, on ne s'attendait pas à ça de la part de Robert Enrico, le réalisateur des Grandes Gueules et des Aventuriers. C’est la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux fusil.
Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée.
Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz. Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
Librement inspirée des événements tragiques d'Oradour-sur-Glane, village martyr à la fin de l'Occupation, l'intrigue du film a été influencée aussi par un fait divers qui a été romancé. Si le scénario écrit par le romancier Pascal Jardin se déroule à Montauban, c'est pour une raison historique. Au printemps 1944, un régiment de la terrifiante SS-Panzer-Division « Das Reich » était cantonné sur place.
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En effet, Le Vieux Fusil prend place en 1944, date au cours de laquelle l’armée nazie est en pleine déroute. Ainsi, les Allemands sont désarçonnés par les Soviétiques qui leur infligent défaite sur défaite sur le front Est et les Américains qui apportent un soutien de poids à la coalition alliée sur le front ouest. Excédé par tout cela, la division blindée SS Reich décide alors de s’en prendre à la population en semant la terreur et la mort sur son passage.
On retrouve d’ailleurs des références au célèbre massacre de Tulle dans Le Vieux Fusil, lorsque des soldats allemands marchent devant des pendus au début du film. Pour faire diminuer les actions des résistants, l’armée allemande décide alors de marcher vers le petit village Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Le bilan sera monstrueux : 643 morts, qu’ils soient hommes, femmes ou enfants. Le village lui-même est totalement détruit, tandis que les maisons et autres bâtisses sont brûlées.
L’intrigue de Le Vieux Fusil se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale et raconte l’histoire de Julien Dandieu, un médecin pacifique, interprété par Philippe Noiret. L'action se déroule à Montauban, juste après le débarquement des Alliés en Normandie, en juin 1944, lors des derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle allemande.
Julien Dandieu (Philippe Noiret) est chirurgien. En manque de morphine dans son hôpital, il est menacé par la Milice qui le soupçonne de soigner des résistants. Soucieux de protéger les membres de sa famille et de les mettre à l'abri, il envoie son épouse Clara (Romy Schneider) et sa fille de 13 ans, Florence (Catherine Delaporte), se réfugier dans le château familial où il a passé son enfance. Un château fort délabré situé à proximité d'un petit village de campagne.
Lorsque les troupes allemandes envahissent son village, Dandieu découvre que sa femme (interprétée par Romy Schneider) et sa fille ont été massacrées par les soldats. Inquiet, il part les rejoindre au bout de quelques jours. Et découvre avec horreur qu'une division de la Waffen-SS a massacré tous les habitants du village dans une église ! Puis il reconnaît, dans la cour du château, le corps de sa fille tuée d'une balle de revolver et celui de sa femme, brûlée vive au lance-flammes ! Un corps calciné qui réduit la vie de Julien en cendres.
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Dévasté et animé par un désir de vengeance, il utilise un vieux fusil pour traquer et éliminer les responsables de ce massacre. Ivre de douleur, sa souffrance se meut en colère froide. Il décide d'appliquer méthodiquement la loi du Talion et d'éliminer un à un les responsables de la tuerie. En l'occurrence les SS qui occupent encore la forteresse. Dandieu s'introduit en cachette dans le château et s'empare d'un fusil de chasse avec lequel son père tuait des sangliers à la chevrotine.
Sa connaissance des lieux va lui permettre d'emprunter des passages secrets et d'épier les nazis par l'entremise d'une glace sans tain. Il fait sauter aussi le pont-levis pour retenir prisonnier l'ennemi dans l'enceinte du château.Chroniques d'un bonheur perdu.
Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien. Il l’a déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum. Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent.
Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre. Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri. Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée.
Robert Enrico a eu aussi du mal à convaincre Romy Schneider. L'agence artistique de l'actrice, Artmedia, n'était pas enthousiaste pour qu'elle accepte le rôle. Le cinéaste a insisté et obtenu l'accord de la comédienne.
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Le premier rendez-vous de travail à trois est pour le moins tendu. Romy Schneider arrive deux heures en retard. Excédé, Philippe Noiret lui jette alors un : « Ah l'Autrichienne ! On commençait à se languir de vous. Pardonnez-moi mais je dois partir » avant de lever le camp devant le réalisateur blême qui réussit pourtant à rattraper tant bien que mal son acteur quand Romy Schneider lui explique qu’elle ne peut pas jouer avec un tel goujat.
Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.
Le Vieux Fusil est la seconde collaboration de Roberto Enrico et Philippe Noiret. L'année précédente, en 1974, ils avaient déjà tourné Le Secret, un drame conjugal avec également Marlène Jobert et Jean-Louis Trintignant, en commun. On retrouve Claire Denis créditée en tant qu'assistante réalisatrice au générique.
En 1974, Claude Sautet accepte de jeter un œil à la première mouture du scénario et conseille à Robert Enrico de faire exister davantage le personnage féminin. Du coup, c'est Sautet qui va écrire en partie le rôle de Romy Schneider. Une actrice qu'il venait de diriger en tant que réalisateur dans Les Choses de la vie (1970), Max et les Ferrailleurs (1971) et César et Rosalie (1972).
Tourné en partie à Bruniquel, une commune située en Tarn-et-Garonne, à trente kilomètres de Montauban, le film a bénéficié d'une solide équipe technique. On retrouve d'ailleurs la future réalisatrice Claire Denis créditée au générique en tant qu'assistante à la mise en scène.
« Dans la scène où Romy Schneider est violée puis assiste à l'assassinat de sa petite fille, j'ai coupé volontairement le son pour ne laisser agir que l'image, mais les hurlements étaient terrifiants », dira Enrico. Le cri de l'actrice a d'ailleurs saisi d'effroi l'ensemble des techniciens et des personnes réunies sur le plateau.
Pour la mort de Clara au lance-flamme, l'équipe a utilisé un trucage optique « à la Méliès ». Pour plus de réalisme, un groupe à air comprimé lançait sur l'actrice un jet puissant qui plaquait sa robe et déformait son visage. L'effet à l'écran est sidérant et il a marqué les esprits de manière indélébile.
Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico (qui va des Grandes gueules aux Aventuriers en passant par Pile ou face ou Fait d’hiver) c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie. Pourtant, Le Vieux fusil s’inscrit dans un double contexte particulier.
Le Vieux Fusil raconte un acte de vengeance. Celui d'un homme qui a perdu les êtres qui lui étaient les plus chers et qui décide de se faire justice. Robert Enrico lance d'ailleurs le projet un an après la sortie d'Un justicier dans la ville (1974) avec Charles Bronson, le film matriciel et emblématique de la justice expéditive au cinéma (le « vigilante movie », le film d'autodéfense). Certains le lui ont reproché.
Pourtant, plus que l'histoire d'une vendetta, le film est surtout le récit d'un amour brisé, d'un bonheur saccagé. Le film est construit, en effet, sur une série de flash-back. Ce sont ces « retours en arrière » qui recouvrent le film d'un voile mélancolique. Les souvenirs qui, par vagues successives, assaillent le chirurgien sont liés à des moments de bonheur.
Dès le tout premier plan du film, on voit par exemple la famille Dandieu lors d'une randonnée à bicyclette sur une route de campagne, accompagnée de leur chien Marcel. Plus tard, on découvre des images de leurs vacances en 1939 sur la plage de Biarritz. Et parmi les jours heureux qui surgissent du fond de la mémoire de Julien, il y a celui de sa rencontre avant-guerre avec Clara à Paris, à la Closerie des Lilas. Une magnifique scène de coup de foudre. Il y a enfin la fête du village où Clara a soudain la prémonition de sa mort autour d'un feu…
Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos. Le Vieux fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique. Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry.
Le Vieux Fusil est bien plus qu’un simple drame de guerre ; c’est une réflexion sur les traumatismes et les violences engendrés par les conflits. Ce film illustre comment un homme ordinaire peut être poussé aux limites de l’humanité face à une douleur insoutenable. La représentation de la brutalité de la guerre, sans détour ni artifice, a marqué le cinéma français et international. Le Vieux Fusil est une œuvre intemporelle qui ne laisse personne indifférent.
Il explore la frontière entre la justice et la vengeance, et invite le spectateur à s’interroger sur les effets destructeurs de la guerre. Le Vieux Fusil est inspiré d’un fait réel qui a profondément marqué Robert Enrico. Il s’inspire également de la tragédie d’Oradour-sur-Glane, un village français où la population civile a été massacrée par les nazis en 1944. Enrico et Pascal Jardin, le scénariste, ont voulu mettre en scène un drame personnel et intime pour illustrer la brutalité de la guerre.
Forcément, cette violence dérange. Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert. À sa sortie, Le Vieux Fusil a reçu un accueil enthousiaste du public français, touché par l’intensité du drame et la profondeur de ses personnages.
Quand Le Vieux Fusil est présenté à la presse, la critique est très divisée. Certains journalistes le trouvent trop manichéen. La question de la justice expéditive fait aussi débat. Mais tout le monde salue l'interprétation hors pair du couple Noiret-Schneider.
En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance.
Distribué par Les Artistes associés, la filiale française de la société de distribution et de production américaine United Artists, le film sort le 20 août 1975 sur les Champs-Élysées au George-V. Le succès est immédiat. Le film réunit près de 3,4 millions d'entrées dans les salles. Ce plébiscite sera bientôt suivi par la reconnaissance de la profession.
Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant). Le film a été couronné du César du meilleur film en 1976, du César de la meilleure musique (écrite par François de Roubaix) et Philippe Noiret a remporté le César du meilleur acteur pour sa prestation. Ce succès a contribué à établir le film comme un classique incontournable, reconnu pour sa puissance dramatique et son réalisme brut.
Le 3 avril 1976, lors de la toute première cérémonie des César du cinéma présentée par Pierre Tchernia, quatre films sont en lice pour décrocher la récompense suprême : Cousin, cousine de Jean-Charles Tacchella, Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio, Que la fête commence de Bertrand Tavernier et… Le Vieux Fusil. Finalement, Robert Enrico reçoit des mains de Jean Gabin et de Michèle Morgan (le couple mythique du Quai des brumes de Marcel Carné) le premier césar du Meilleur film. Philippe Noiret est sacré Meilleur acteur. Et François de Roubaix reçoit, à titre posthume, le césar de la Meilleure musique. En effet, le compositeur venait de trouver la mort quatre mois et demi plus tôt dans un accident de plongée sous-marine au large des îles Canaries. Le jour des César… il aurait dû fêter ses 37 ans. Romy Schneider recevra de son côté le césar de la Meilleure actrice, mais pour L'important, c'est d'aimer d'Andrzej Żuławski.
Le temps confirmera cet engouement. En 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession. Dix ans plus tard, en 1986, Le Vieux Fusil recevra aussi… le césar des César. Une récompense prestigieuse.
Diffusé à de nombreuses reprises à la télévision dans les années 1970 et 1980 sur FR3, avec la signalétique du rectangle blanc en contrebas de l'image, le film bat des records d'audience. Il est même parodié en 1992 au détour d'une scène de la comédie belge C'est arrivé près de chez vous.
Aujourd'hui, Philippe Noiret, Romy Schneider, Jean Bouise, Robert Enrico, son scénariste Pascal Jardin et son compositeur François de Roubaix ont disparu. Mais loin de disparaître, le film, lui, reste dans la mémoire collective. Il est devenu un classique du cinéma français. Le souvenir qu'il a laissé dans le cœur du public ne risque pas de s'éteindre. La déflagration du Vieux Fusil résonne encore cinquante ans plus tard. Et après l'avoir revu récemment lors d'une projection, on vous confirme que ce « fusil » n'a rien de « vieux ». Il est figé dans le temps.
Ce soir, la diffusion sur C8 est une occasion de redécouvrir ce chef-d’œuvre qui rappelle les douleurs de l’histoire et la résilience humaine face aux plus terribles épreuves.
Le Vieux Fusil Mercure Productions - Les Productions Artistes Associés - Sorti en salles le 22 août 1975 et couronné par trois César, le film Le Vieux Fusil de Robert Enrico ne cesse de susciter un intérêt. Cinquante ans, de nombreuses manifestations sont organisées dans le Tarn-et-Garonne où le tournage s'est déroulé. Montauban, Montricoux, Bruniquel ont servi de décor. De nombreux habitants ont été figurants dans ce film où l'histoire se déroule sous l'Occupation allemande. Pour fêter cet anniversaire, les châteaux de Bruniquel accueillent une série d'événement à partir de ce vendredi 5 septembre Jérôme Enrico, fils de Robert Enrico et Jean Achache assistant réalisateur lors du tournage.
Année | Récompense | Catégorie | Lauréat(e) |
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1976 | César | Meilleur film | Le Vieux Fusil |
1976 | César | Meilleur acteur | Philippe Noiret |
1976 | César | Meilleure musique | François de Roubaix |
1986 | César | César des César | Le Vieux Fusil |
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