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C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70 : Le Vieux fusil. Le temps confirmera cet engouement, et en 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession.

Genèse et Contexte du Film

L’idée du Vieux fusil revient à Pascal Jardin, impressionné par le récit effrayant d'un ami concernant un soldat allemand dormant à côté de la femme qu’il avait violée et tuée pendant la Seconde Guerre mondiale. Pascal Jardin décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944.

Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz.

Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.

Casting et Réalisation

Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti.

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Robert Enrico le connaît bien, l’ayant déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum. Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent. Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre.

Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri.

Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Romy Schneider arrive deux heures en retard. Excédé, Philippe Noiret lui jette alors un : « Ah l'Autrichienne ! On commençait à se languir de vous. Pardonnez-moi mais je dois partir » avant de lever le camp devant le réalisateur blême qui réussit pourtant à rattraper tant bien que mal son acteur quand Romy Schneider lui explique qu’elle ne peut pas jouer avec un tel goujat.

Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.

Thèmes et Contexte Social

Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico, c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie. Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos.

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Le Vieux fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique. Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry. Forcément, cette violence dérange.

Réception et Impact

En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France. Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant).

Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, c’est Le Vieux Fusil qui reste son œuvre la plus célèbre, récompensée par plusieurs Césars.

Analyse du Film

Le Vieux Fusil est nettement divisé en trois parties. Au début, le film de Robert Enrico nous entraîne à Montauban en 1944. Philippe Noiret incarne le docteur Dandieu, un médecin dont la profession est forcément bouleversée par la guerre et l’Occupation. En règle générale, c’est toute la vie à la ville qui est rendue extrêmement compliquée par l’Occupation. Au milieu de ce contexte difficile, la seule consolation de Dandieu, c’est sa petite famille, sa mère, sa fille, et surtout sa femme Clara.

Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle. Lumineuse, radieuse, elle incarne plus qu’un personnage : une lumière (ce quoi renvoie son prénom). Cette image restera constamment, tout au long du film. Si, en nombre de minutes, Romy Schneider est peu présente à l’écran, son personnage est pourtant le centre même du film. C’est son souvenir qui va guider le docteur dans son expédition vengeresse.

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Pendant qu’il prépare sa vengeance contre les soldats nazis, Dandieu va être assailli par les souvenirs de sa femme, sa rencontre avec elle, sa petite vie de famille de bon père bourgeois de province avant la guerre, etc. De ces flashbacks va donc se dégager une impression paradoxale, mélange de bonté, de sérénité, de joie, et de douleur.

A travers cette histoire de massacre(s), Le Vieux Fusil nous montre comment l’horreur de la guerre se répand et contamine tout le monde. Au début, Dandieu est un homme qui essaie de faire son métier de son mieux. Dandieu pensait sincèrement échapper à tout cela et protéger sa famille en l’envoyant à la campagne, dans le hameau de la Barberie. La Barberie devient la Barbarie.

Le Message du Film

Robert Enrico ne cautionne pas, il donne à voir de façon lucide, le résultat d'une violence inimaginable sur un monsieur tout-le-monde. Robert Enrico, au travers de son récit, sans concessions et très réaliste, délivre une vérité profondément brute et au-delà de la cruauté sur les aspects les plus noirs de l'être humain.

La cruauté peut engendrer la cruauté. Et cette cruauté est la même qu'elle soit totalement gratuite ou rendue "morale" par des mobiles affectifs donc "acceptables".

Le traumatisme vécu et agît l'a véritablement "tué" et rien ne pourra venir réparer cela. Julien ne pourra jamais accepter l'inacceptable: la mort de sa femme et de sa fille et ce qu'il vient de commettre. Constat du message délivré par Enrico qui ne juge pas: la violence dans tout ses aspects les plus extrêmes aboutit souvent à la mort autant physique que psychique, ce qui est d'autant plus souligné par l'image de générique de fin: Julien, sa fille, Clara en ballade à bicyclette, et leur chien Marcel, du temps du bonheur serein et sans tâches, sur le thème mélancolique inoubliable de François de Roubaix.

La Violence et la Réalité Crue

Mais revenons sur le traitement qui est fait de la violence dans le film: tout est montré, rien ne nous est suggéré, délivré dans sa réalité brute et sans concessions. En somme une mise en scène savamment dosée entre émotion et distance.

Il faut alors repenser à la séquence essentielle, traumatisante, qui déclenche cette violence : celle où Dandieu, découvrant les corps de son épouse et de sa fille, « voit » ce qui s’est passé. Pour des générations entières de spectateurs, Le Vieux fusil, c’est la séquence du lance-flammes, et les frissons que son souvenir procure inévitablement.

On peut notamment lui reprocher, dans cette logique, des caractérisations grossières et des transitions malhabiles. Enrico ne cherche pas spécialement à prendre des pincettes quand il s’agit de décrire ou les massacres perpétués par la division nazie ou la séquence d’assassinats vengeurs de Dandieu.

Performances Mémorables

Le Vieux Fusil est un grand film. Philippe Noiret est exceptionnel (il faut voir cette image, furtive, lorsqu’à la fin du film il se rend compte de tout ce qui vient de lui arriver). Il est parfaitement secondé par un Jean Bouise qui a toujours été un des meilleurs seconds rôles du cinéma français. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce.

Philippe Noiret (sur l’apport duquel nous reviendrons plus tard) évoque dans sa Mémoire cavalière sa déception de ne pas avoir vu ce sujet délicat traité avec plus de retenue ou de subtilité.

Je ne reviendrai pas sur la prestation exceptionnelle de Philippe Noiret en homme brisé et l'investissement hors-norme de Romy Schneider dans les scènes les plus insoutenables du film, tout a été dit et mieux que moi.

Tableau des Récompenses et Nominations

Récompense Catégorie Année
César Meilleur film 1975
César Meilleur acteur (Philippe Noiret) 1975
César Meilleure musique (François de Roubaix) 1975
César des Césars Meilleur film 1985

Conclusion

Un classique indémodable, qui n'a pas vieillit, toujours aussi fort; Une oeuvre unique et à part dans le cinéma français. A travers l'épreuve relative qu'il peut représenter Le Vieux Fusil parle surtout d'un amour fou, tragique avant l'heure mais magnifiquement dévoilé par le couple formé par Romy Schneider et Philippe Noiret. Un grand film, triste et marquant comme un souvenir, un fantasme, à l'image de ce plan ultime accompagné du fameux thème obsédant de François de Roubaix.

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