Envie de participer ?
Bandeau

L'étude des concepts de pouvoir et de force révèle des nuances importantes dans la théorie de l'État, notamment à travers les écrits de penseurs tels que Pufendorf, Wolff, Thomasius et Kant. Ces philosophes ont exploré les relations complexes entre la puissance, le droit, la morale et la légitimité, offrant ainsi un éclairage sur la nature du pouvoir et son exercice.

La Distinction entre Macht et Gewalt

Les fondements posés par Pufendorf ont continué de faire autorité dans la théorie allemande de l’État du XVIIIe siècle, même si la distinction entre Macht et Gewalt était bien moins claire dans le langage courant que la distinction entre potentia et potestas ne l’était dans la terminologie juridique. Tant que cette terminologie demeurerait le modèle de l’usage linguistique allemand, on pouvait déterminer, même dans les textes allemands, s’il était question du pouvoir [Macht] au sens de faculté de contrainte ou bien au sens d’une compétence [Befugnis] juridique, comme lorsque Christian Wolff affirme : « Le pouvoir [Macht] doit être uni [vergesellschaftet] avec la force [Gewalt], car ce n’est qu’ainsi qu’il acquiert de l’importance, la force sans le pouvoir ne pouvant rien accomplir. »

La Macht est comprise ici comme « la possibilité de faire appliquer ou d’accomplir ce que l’on a décidé », et se distingue clairement de la Gewalt, conçue comme « la liberté de commander ou plus généralement de faire quelque chose ». Pour ce qui a trait à la distinction entre Macht et Gewalt, Wolff souligne cependant de manière parfaitement cohérente que l’étendue des droits de souveraineté (la Gewalt, ici) est identique dans tous les États : « Un être ordinaire a autant de pouvoir [Gewalt] que l’autre ». Néanmoins, Wolff tend déjà à employer occasionnellement les termes Macht et Gewalt comme des synonymes.

C’est la raison pour laquelle, très fréquemment, les deux termes apparaissent conjointement, notamment lorsqu’il traite « De la puissance et du pouvoir des autorités » [Von der Macht und Gewalt der Obrigkeit]. Le fait qu’il utilise les deux termes comme des synonymes se manifeste, par exemple, lorsqu’il explique : « Ainsi Sa Majesté est insultée si l’on entreprend quelque chose qui porte atteinte à sa puissance et à son pouvoir ».

Les Fondements du Droit Naturel

Cependant, la théorie du droit de Wolff comporte également des prémisses théoriques qui favorisent un brouillage des frontières entre l’ordre « physique » et l’ordre « moral », et donc, en fin de compte, entre le pouvoir [Macht] et le droit [Recht]. Il cherche les fondements du droit naturel dans la nature et dans l’essence de l’homme. Il estime donc que certains droits sont déjà fixés par la seule existence de l’homme : Posita essentia et natura hominis, ponitur etiam omne ius connatum. En cela, il suit son ancien collègue Christian Thomasius, qui, dans la dernière partie de son œuvre, s’est fondamentalement opposé à la distinction opérée par Pufendorf entre le fait et la norme.

Lire aussi: "La Fleur au Bout du Fusil": Analyse

Le Pouvoir comme Condition de la Vertu

Dans ces conditions, le pouvoir [Macht] devient pour Thomasius la condition nécessaire de la vertu : Virtus sine potentia est potentia impotens, i. e. nec nocere valens, nec prodesse, adeoque ens moraliter insipidum. Ce primat de l’idée de pouvoir [Macht] est resté vivant dans l’école thomasienne, comme en témoigne une argumentation caractéristique de Crusius : « Une loi est une volonté générale d’un puissant, lequel ne connaît à son tour plus puissant au-dessus de lui, par laquelle on impose à ceux qui lui sont soumis le devoir de faire ou de ne pas faire quelque chose, qui découle aussi de la volonté de celui-ci ».

Dans ces conditions, la distinction entre Gewalt au sens de potestas et Gewalt au sens de violentia doit également devenir caduque. Lorsque Crusius, par exemple, exige la soumission des vaincus à la domination du vainqueur, la force [Gewalt] supérieure représente pour lui presque un titre juridique, même s’il ajoute, pour nuancer son propos, que « l’obligation vis-à-vis de celui-ci » ne découle pas « en soi […] de la force dont il use ».

Le Pouvoir et le Droit selon Kant

Des propos très similaires apparaissent également, sur la base de l’héritage luthérien commun, chez Kant, par exemple lorsqu’il souligne le devoir d’obéissance des sujets à l’égard de tout pouvoir étatique établi : « L’origine du pouvoir suprême est pour le peuple qui y est soumis une chose, qui, au point de vue pratique, ne peut pas être scrutée ». Dans ce passage comme dans de nombreux autres, chez Kant, le « pouvoir » [Gewalt] est de toute évidence compris comme la puissance [Macht] supérieure, incontestable, qui a pour lui une présomption de légalité dès lors qu’elle a pu s’établir de manière durable.

Ces remarques sont toutefois contrebalancées par d’autres, dans lesquelles Kant met en évidence le conflit latent entre le pouvoir de l’État et le droit de la raison. Il emploie le terme Gewalt pour décrire l’usage qu’un souverain fait des droits qu’il s’arroge au sens du droit naturel rationnel : « Parce que tout droit, bien qu’atrophié par un pouvoir très arbitraire, vaut mieux qu’aucun droit », c’est, selon lui, « le devoir du sujet […] que de laisser subsister ce pouvoir souverain [Herrschergewalt] jusqu’à ce qu’il soit lui-même graduellement conduit à des réformes par la nature des choses et les conceptions des sujets assujettis ».

Selon la théorie de Kant, l’État administrant le droit est une institution, dans laquelle « sous des lois extérieures, la liberté se trouvera liée au plus haut point à un pouvoir irrésistible ». Puisque les lois ne doivent régir que les actes « extérieurs », seul le pouvoir est nécessaire pour établir la légalité des actes. À ce « pouvoir » [Gewalt] de l’État qui légifère sur le plan intérieur correspond, dans sa relation à d’autres États, son statut de « puissance » [Macht], de sorte que « par rapport aux autres peuples, il s’appelle simplement puissance (potentia, d’où vient le mot de potentats) ».

Lire aussi: L'évolution du fusil à baïonnette

Il est caractéristique de cette cohabitation de deux conceptions de la puissance et du pouvoir que Kant, dans son écrit sur la Paix perpétuelle, reprend d’abord la doctrine hobbesienne selon laquelle, dans l’état de nature, le pouvoir est le fondement du droit. En dernière instance, cependant, c’est la supériorité du plus puissant qui détermine le droit, étant donné que « la guerre n’est que le triste moyen auquel on est condamné à recourir dans l’état de nature, pour soutenir son droit par la force (puisqu’il n’y a point de tribunal établi qui puisse juger juridiquement). Aucune des deux parties ne peut être tenue pour un ennemi injuste (puisque cela supposerait déjà une sentence juridique), mais l’issue du combat (comme dans ce que l’on appelait les jugements de Dieu) décide de quel côté est le droit ».

L'Épée : Symbole de Pouvoir à Travers l'Histoire

De toutes les armes, celle qui a pris la plus grande place dans l’imaginaire collectif est sans doute l’épée. D’abord, parce qu’elle a été utilisée de la fin de l’âge du bronze jusqu’à l’époque moderne, mais peut-être surtout parce qu’elle a, très tôt, occupé une fonction sociale symbolique, comme signe de pouvoir. Dans toutes les civilisations, à toutes les époques, réelles ou mythiques, le nom d’épées célèbres reste vivant : Joyeuse (épée de Charlemagne), Durandal (Roland), Excalibur (Arthur), les neuf épées de Mahomet (avec, en particulier, Zulfikar), Kusanagi (Trésor impérial du Japon) ou Thuận Thiên (épée du roi vietnamien Lê Lợi).

L’épée apparaît à la fin de l’âge du bronze, avec le développement de la métallurgie. Flèches, lances, haches peuvent être fabriquées en utilisant la pierre, l’os ou l’ivoire, quand l’épée nécessite, elle, une bonne maîtrise du travail du fer et/ou de l’acier. L’épée est un objet à la fois complexe à fabriquer et coûteux, compte tenu des matières premières à employer. Il faut en effet maîtriser différentes technologies, mettre au point des chaînes opératoires particulières pour la fabriquer.

Elle figure, à ce titre, dans les sépultures des personnages importants. Est-ce son coût qui en fait un symbole du pouvoir, ou l’inverse? Il restera probablement impossible de l’établir formellement. Dans l’armée romaine déjà, avant l’adoption du glaive, à l’occasion des guerres puniques et des combats contre les Ibères, l’arme majeure des légions était la pique.

La religion, elle aussi, s’empare du symbole. Dans son Épître aux Romains, saint Paul désigne l’épée comme symbole et auxiliaire de la justice divine : « Car le prince est le ministre de Dieu, pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée. En effet, il est le ministre de Dieu pour Le venger, en montrant Sa colère à celui qui fait le mal ».

Lire aussi: "Tirer à Bout Portant" : définition et histoire

Fabrice Cognot propose une explication de la force symbolique de l’épée : elle est, dit-il, « la seule arme qui soit proprement une arme ». La plupart sont d’abord des outils du quotidien ou utilisés à la chasse : haches, couteaux, lances, gourdins ont d’autres rôles que d’être des armes. Pas l’épée ! Elle est donc l’incarnation du combat, de la guerre, et donc de la lutte pour le pouvoir.

Au Moyen Âge, l’épée est donc l’arme la plus courante sur les champs de bataille, et Jean Flori souligne enfin que c’est « le glaive, symbole de pouvoir, que l’Église remettait aux rois lors des cérémonies de couronnement, comme elle le remettra plus tard aux chevaliers lors des cérémonies d’adoubement ».

Dans ce nouveau contexte, la noblesse se désengage progressivement des champs de bataille. L’épée demeure cependant un symbole fort du pouvoir. Et l’escrime non seulement ne disparaît pas, mais se change en art, avec ses règles, ses codes, ses maîtres. Le duel devient le lieu de confrontation d’un honneur qui reste l’apanage de la noblesse. Et l’arme du duel, l’épée, conserve de fait sa place au côté des grands.

La Citoyenneté Combattante et la Prise d'Armes

Avec la révolution de février, le citoyen n’est que secondairement un lisant et un écrivant, mais d’abord, et avant tout, un homme en armes qui peut figurer la souveraineté et revendiquer tout le mérite attaché à son expérience du combat. Pour les milieux populaires, les sentiments et les conventions fondent leur engagement civique et constituent les vecteurs par lesquels les moins initiés aux arcanes de l’espace public peuvent se forger une opinion.

La prise d’armes citoyenne exprime la volonté de prise en considération de la position de l’homme des milieux populaires, auparavant rejeté de la participation politique. Nous n’avons pas décrit un « Sujet » politique, advenant dans un mouvement d’émancipation et dans un rapport de soi à soi, mais des sujets qui expriment des requêtes, parties prenantes de la production des normes et des valeurs.

Les dossiers des combattants ne renferment pas tant une écriture de soi qu’une écriture de la socialisation, celle surtout des citoyens nécessiteux devenus requérants. C’est l’abondance, et non pas le manque d’archives sur la participation personnelle aux journées révolutionnaires parisiennes de la Seconde République qui appelle une forme d’histoire sociale de l’écriture des citoyens-combattants, même de celle des moins habiles ou des moins expérimentés à s’exprimer de la sorte.

L’écriture des citoyens-combattants n’est en aucune façon un symptôme de marginalité, elle porte la trace du légalisme des lendemains de la révolution de février 1848, même dans l’adversité. C’est aussi ce qui explique sa conformité aux normes, et son caractère stéréotypé.

Le citoyen-combattant père de famille, par exemple, n’a pas pour charge de représenter ni d’incarner ses proches les armes à la main. Il est simplement en relation avec eux, il les protège, mais la limite de son engagement au service de la cité est atteinte quand il risque de mettre en danger les siens. Le combattant s’identifie au citoyen-sauveteur, au service de ses proches et du bien public. Son patriotisme reste relié au statut du chef de famille.

La « citoyenneté » dont nous avons parlé, les « opinions », la « société civile », la « prise d’armes », la « famille », l’« insurrection », ne ressemblent pas aux idées que l’on s’en fait aujourd’hui, ni à celle que l’on trouve habituellement sous la plume des historiens ou des politistes qui se penchent sur les péripéties de la démocratie en France au XIXe siècle.

Si le discours idéologique de l’époque - républicain, philanthropique, et utopiste par exemple, mais aussi religieux, ou plus généralement encore « doloriste » - a quelque pertinence, ce n’est pas nécessairement qu’il est à l’origine des comportements, mais qu’il leur emprunte des significations, qu’il recompose ensuite sans présager d’un quelconque lien organique ou mécanique.

« Citoyenneté », « famille » et « société civile » ont été enrichis de l’ensemble des informations spatiotemporelles que nous avons réunies, comparées et exemplifiées : aucune proposition universelle et trans-historique ou donnée par avance dans notre propos, mais une description d’un monde limité et localisé, une tentative de généralisation de constats empiriques permettant une reformulation du vocabulaire interprétatif.

Le Citoyen-Combattant et le Suffrage Universel

En février 1848, la révolution parisienne surprenait tout le monde et, avec la fuite rapide du roi Louis-Philippe, laissait bien dépourvus les nouveaux dirigeants improvisés. Quoique portés au pouvoir par l’insurrection, les hommes du Gouvernement provisoire craignaient d’abord la pression armée d’une foule parisienne d’autant plus exigeante qu’elle avait eu facilement raison de la monarchie censitaire. Devant des ouvriers en armes et échauffés, l’éloquence de Lamartine n’avait pas été de trop, pas plus que sa promesse lancée dans la salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville d’instituer le suffrage universel.

Identifié par son vêtement, un ouvrier abandonne son fusil pour déposer un bulletin de vote. Dans cette scène allégorique, le suffrage universel est symbolisé par une urne antique dont le modèle est assez éloigné des urnes réelles mais qui rattache la procédure aux sources les plus anciennes. Au-delà d’un moment historique daté de la révolution de 1848, la substitution du bulletin de vote au fusil visait un sens de portée générale et universelle ; le rejet démocratique de la violence politique.

Les promoteurs du suffrage universel avaient partiellement convaincu les partisans de l’ordre en réussissant à organiser les premières élections d’avril 1848 et à démontrer aussi que le vote populaire n’était pas révolutionnaire par essence, qu’il pouvait même se révéler conservateur. Dans un pays et un siècle agités par le cours incessant et ruineux des révolutions, le suffrage universel devint, non sans difficultés et à la suite d’une longue série d’élections régulières, ce qu’un homme de la IIIe République appelait de ses vœux : le « souffle régulier de la démocratie ».

En conclusion, l'expression "le pouvoir est au bout du fusil" trouve ses racines dans une histoire complexe de luttes, de réflexions philosophiques et de transformations sociales. Elle incarne la tension entre la force brute et la légitimité, entre la violence et le droit, et continue de résonner dans les débats contemporains sur la nature du pouvoir et les moyens de l'exercer.

tags: #le #pouvoir #est #au #bout #du

Post popolari: