Dans Call of Duty : Black Ops Cold War, vous vous retrouvez dans un FPS en pleine guerre froide.
Théorisé durant la guerre froide, le concept de guerre nucléaire limitée - fondé sur un emploi sélectif et limité de l’arme nucléaire - semble aujourd’hui faire l’objet d’un certain renouveau doctrinal illustré par l’expression de postures nucléaires ambiguës, voire désinhibées, vis-à-vis d’un emploi potentiel.
Défini par l’analyste Jeffrey Larsen comme « un conflit dans lequel des armes nucléaires sont utilisées en faible quantité et de manière restreinte afin de poursuivre des objectifs limités » (2), le concept de guerre nucléaire limitée est théorisé à partir du milieu des années 1950 par les stratèges américains Bernard Brodie, Robert Osgood et Henry Kissinger.
Dans un contexte marqué par une part accrue de l’arme nucléaire dans les arsenaux des deux Grands, le concept d’une guerre volontairement restreinte en ambitions, amplitude et moyens, apparaît vite comme une alternative possible à un conflit « illimité », fruit d’une ascension incontrôlée aux extrêmes.
Pour échapper au dilemme entre inaction et anéantissement mutuel, des réflexions sur un emploi limité de l’arme nucléaire se font alors jour, la pertinence d’une dissuasion fondée sur la menace de frappes massives conduisant à d’âpres débats.
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Pour autant, si la guerre nucléaire limitée semble apparaître comme une alternative possible au risque d’anéantissement réciproque, les limites conceptuelles et pratiques de cette forme de stratégie nucléaire ne manquent pas d’être rapidement soulignées, tant par ses détracteurs que par ceux mêmes qui en ont établi le concept.
Après une décennie marquée par une supériorité nucléaire incontestée des États-Unis, le milieu des années 1950 voit se dessiner le risque d’une possible parité avec l’URSS.
Ce besoin d’évolution doctrinale se trouve renforcé par les crises de Berlin (1961) et de Cuba (1962), qui mettent en exergue la nécessité d’une approche stratégique permettant de marquer la détermination tout en maîtrisant l’escalade (6).
La prise de conscience de la possibilité désormais avérée d’un échange nucléaire massif - avec le risque d’auto-dissuasion induit - amène ainsi l’Administration américaine à envisager une revue de sa posture nucléaire.
Cette réflexion aboutit à l’adoption en 1962 de la doctrine de Flexible Response (7), les premières options nucléaires limitées intégrant un ciblage « contre-forces » (8).
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L’approfondissement du concept de frappes nucléaires limitées se poursuivra sous les Administrations Carter et Reagan, avec un effort porté sur la résilience des moyens et sur la réactivité de la planification nucléaire.
Initiés dès la seconde moitié des années 1950, les travaux relatifs au rôle de l’arme nucléaire dans la stratégie de défense soviétique trouvent une première formalisation en 1962 avec le manuel de stratégie militaire du maréchal Sokolovski (12)(13).
Bien que réfutant les notions de guerre nucléaire limitée et de riposte graduée, le discours officiel soviétique inscrit l’arme nucléaire dans une logique d’emploi potentiel, selon une approche combinant manœuvre conventionnelle et frappes nucléaires massives éventuellement précédées de frappes préemptives.
L’année 1977 voit se cristalliser une inflexion doctrinale illustrée par la publication de la doctrine Ogarkov (15).
Abandonnant un concept fondé sur le recours à des frappes nucléaires massives dès les premières phases du conflit, la stratégie nucléaire soviétique intègre désormais la possibilité d’une guerre limitée, affichant - sans pour autant l’admettre officiellement - le principe d’une certaine forme de riposte graduée.
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Au cours de cette période de guerre froide, la France ne reste pas absente des réflexions liées à un éventuel emploi limité de l’arme nucléaire.
Faisant suite à des travaux initiés dès le milieu des années 1950, la décision de doter la France de l’Arme nucléaire tactique (ANT) trouve sa formalisation capacitaire dans la Loi de programmation militaire (LPM) 1965-1970.
Celle-ci prévoit le développement d’une capacité nucléaire tactique aéroportée (armes AN52 sur Mirage III-E et sur Jaguar) (18) et le lancement du programme de missile Pluton, en remplacement des bombes aéroportées américaines et du système sol-sol MGR Honest John mis en œuvre depuis 1959 par les forces françaises stationnées en Allemagne pour leur contribution à la mission nucléaire tactique de l’Otan.
La place de l’ANT dans la stratégie de défense est officiellement exposée en mars 1969 par le général d’armée aérienne Fourquet - alors Chef d’état-major des armées - lors d’un discours prononcé à l’IHEDN ; la notion de test de la détermination de l’adversaire par des moyens conventionnels puis nucléaires tactiques, ainsi que le rôle central des armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille, y sont notamment mentionnés (« … une nouvelle discontinuité dans le processus de l’épreuve de force en en changeant la nature : c’est l’ouverture du feu nucléaire tactique » « L’arme nucléaire tactique est l’arme autour de laquelle s’ordonne la manœuvre ») (19).
Le Livre blanc de 1972 vient confirmer la place des armes nucléaires tactiques au sein de la stratégie nucléaire française (20).
L’année 1976 voit cependant surgir une évolution sémantique, que d’aucuns perçoivent comme une possible inflexion doctrinale.
Le rôle que les ANT (missiles Pluton, aéronefs de l’Armée de l’air et de l’aéronavale) pourraient jouer dans le cadre d’une frappe nucléaire de théâtre, est exposé par le général d’armée Méry, nouveau chef d’état-major des armées.
Les ANT y sont présentées comme « … des armes anti-forces, c’est-à-dire destinées au champ de bataille et à son environnement, et dont l’emploi éventuel doit en conséquence s’accompagner de la recherche d’une efficacité militaire » (22).
D’une stratégie de dissuasion visant à éviter le dilemme du « tout ou rien », l’ANT semble ainsi apparaître comme glissant vers une logique d’emploi, voire de guerre nucléaire limitée.
Au vocable d’armes nucléaires tactiques, est substitué en 1984 celui d’armes « préstratégiques », alors que la fonction d’ultime avertissement vient supplanter celle de frappes anti-forces.
Si la notion d’un avertissement nucléaire « en cas de besoin, diversifié et échelonné dans la profondeur » (24) est évoquée en 1986 par Jacques Chirac, alors Premier ministre, la nature purement stratégique de l’arme nucléaire et le caractère unique de l’avertissement nucléaire sont confirmés en 1988 par François Mitterrand.
Caractérisée par une centralité de l’arme atomique, la guerre froide aura donc vu naître puis se développer le concept de guerre nucléaire limitée.
Faisant suite à une période d’hégémonie des puissances nucléaires historiques, l’ouverture du « club de l’atome » à de nouveaux acteurs constitue désormais une donnée intangible du paysage stratégique.
La première d’entre elles est incontestablement une modification profonde des rapports de force entre États.
Dans ce que Thérèse Delpech qualifiait de « monopoly de la piraterie stratégique » (26), la multipolarité nucléaire vient bousculer l’ordre international : la possession du feu nucléaire apparaît plus que jamais comme un facteur régalien de la puissance, entre volonté de combler une asymétrie conventionnelle et affirmation d’ambitions régionales.
Le rôle de l’arme nucléaire dans le développement de stratégies d’intimidation ou d’action se dessine ainsi depuis peu sous un angle nouveau : possible outil de menace ou de contrainte, l’arme nucléaire - qu’elle soit adossée à des capacités conventionnelles « haut du spectre » ou par sa seule possession - constitue une pièce maîtresse de ces nouvelles manifestations de la puissance.
Cette modification de la nature des rapports de force entre États s’accompagne d’une difficulté accrue à gérer les dynamiques d’escalade.
À un paysage stratégique bipolaire, la multiplicité des acteurs nucléaires vient substituer une scène plus confuse, au cœur de laquelle la poursuite d’objectifs moins lisibles se traduit par une incertitude renforcée.
L’absence d’intérêts partagés ou de culture stratégique commune, une propension accrue à la prise de risque selon des rationalités parfois incertaines, les interrogations quant aux processus décisionnels et aux chaînes de sécurité des arsenaux nucléaires de certaines puissances régionales, mais aussi une plus grande difficulté à établir des mécanismes de déconfliction et des canaux de dialogue fiables entre acteurs (28), sont autant de freins à l’établissement d’un dialogue stratégique efficient.
Les interrogations suscitées par une doctrine russe désormais moins lisible vis-à-vis d’un emploi limité de l’arme nucléaire illustrent cette nouvelle forme d’ambiguïté assumée.
Malgré l’affirmation du caractère central de la notion de dissuasion et la négation officielle de tout concept de frappes préventives (« Nous n’avons pas dans notre concept d’emploi de l’arme nucléaire de frappe préventive », Vladimir Poutine (29)), les conditions d’un éventuel emploi par la Russie de l’arme nucléaire font l’objet d’avis partagés.
De même, si le principe de non-emploi en premier (no first use) reste officiellement le socle de la doctrine nucléaire chinoise, les efforts que Pékin fournit actuellement pour le développement d’une triade nucléaire affermie (montée en puissance de la composante nucléaire océanique, lancement du programme de bombardier furtif H-20, mise en service des nouveaux missiles DF-31), associés au déploiement de moyens de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD), peuvent interroger quant à la réalité du concept de « dissuasion minimale » officiellement affiché.
L’opacité peut également faire partie intégrante d’une posture déclaratoire affichée.
Enfin, et de manière plus générale, ces ambiguïtés doctrinales peuvent se voir renforcées par une intrication forte des moyens nucléaires et conventionnels.
Nonobstant une absence de formalisation doctrinale et les incertitudes quant à ses capacités de vectorisation nucléaire, la posture nord-coréenne est à cet égard une source de préoccupations certaines.
Sans préjuger des résultats du dialogue stratégique initié entre Washington et Pyongyang, l’analyse de la communication jusqu’à présent mise en œuvre par la Corée du Nord met en effet en exergue une rhétorique forte, n’excluant pas la possibilité d’un recours à des frappes préemptives en cas de risque majeur sur la survie du régime (36).
Dans une moindre mesure, l’évolution de la doctrine nucléaire pakistanaise, marquée par le passage d’une notion de Credible Minimum Deterrence (« dissuasion minimale crédible ») à celle de Full Spectrum Deterrence (« dissuasion large spectre »), pourrait également s’inscrire dans une logique d’emploi potentiel.
Présentée comme une réponse à la doctrine indienne Cold Start (38), le concept de Full Spectrum Deterrence n’exclurait en effet pas le recours à des frappes nucléaires tactiques, y compris sur le sol pakistanais, et ce dès le début d’un conflit (39).
Cette évolution doctrinale s’est accompagnée d’un effort capacitaire visant à développer une composante nucléaire tactique crédible : officiellement affichée comme un outil de dissuasion, la capacité nucléaire tactique pakistanaise repose désormais sur un arsenal diversifié (missiles balistiques Abdali, Ghaznavi, Shaheen-1 et Nasr, missiles de croisière Ra’ad et Babur-3), ainsi que sur des capacités de C2 souples et résilientes.
Face à ces évolutions, la pertinence du maintien par l’Inde d’une posture fondée sur la notion de no first use fait l’objet de vifs débats au sein de la communauté stratégique du pays (40).
Ainsi, selon certains analystes dont Vipin Narang, l’hypothèse que l’Inde puisse recourir à d’éventuelles frappes nucléaires préemptives contre-forces en cas d’emploi imminent par le Pakistan de ses armes nucléaires (déploiement de lanceurs nucléaires tactiques sur le théâtre d’opérations ou autres indices précurseurs), ne pourrait être totalement exclue (41).
Face à des stratégies potentielles d’intimidation ou de coercition nucléaires, la crédibilité opérationnelle et technique de notre dissuasion doit, en premier lieu, continuer de reposer sur l’adaptabilité de nos deux composantes aux évolutions de la menace.
Dans un contexte stratégique changeant et marqué par des postures n’excluant pas un emploi limité de l’arme nucléaire, il s’agit d’affirmer la pertinence de notre stratégie de dissuasion.
La garantie de la frappe en second représente sur ce point un élément clé du dialogue dissuasif.
Pour la composante nucléaire océanique - dont le concept d’emploi repose sur la permanence à la mer, la dilution et la discrétion du SNLE - la crédibilité de cette frappe en second passe par la préservation de l’invulnérabilité de nos plateformes sous-marines et par l’adaptation des missiles balistiques aux enjeux de portée, de précision et de pénétration.
Dans un environnement qui verra se développer une diversification et un durcissement de la menace (43), la poursuite des améliorations capacitaires de nos SNLE dans les domaines de la furtivité, de la discrétion, de la détection acoustique et de la mise en œuvre des armes tactiques, constituera un élément clé de cette invulnérabilité.
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