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Arme blanche apparue au XVIIe siècle, la baïonnette est une lame qui vient s’adapter au canon d’un fusil ; elle constitue un des principaux équipements du combat d’infanterie.

Bayonne est la capitale du Pays basque français. On associe la ville à son jambon, le jambon de Bayonne. Dans un tout autre style de boucherie, c’est aussi à Bayonne qu’est née la baïonnette. Cette arme blanche montée sur un fusil fait des ravages sur les champs de bataille jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Origines et évolution de la baïonnette

Nous voici dans le sud-ouest de la France, à Bayonne. Entre la peste, les guerres de religion et la prise de la ville par Charles Quint, Bayonne a vécu quelques heures mouvementées.

On attribue la paternité de la baïonnette aux paysans de Bayonne, en révolte dans les années 1660, qui, à court de munitions, fixèrent des couteaux de chasse au bout de leurs bâtons. Séduisante, cette version ne doit pas faire oublier que, dès le début du XVIIe siècle, les mousquetaires à pied avaient déjà introduit des lames dans le canon des mousquets. Une autre version fait remonter son origine au « baionnier », archer français maniant le couteau court.

Au XVIe siècle, l’arme la plus courante est le mousquet. C’est une arme à feu assez rudimentaire que l’on charge avec de la poudre noire. On raconte qu’un jour, les paysans de Bayonne, alors qu’ils livrent un combat pour on ne sait trop quoi, tombent à court de poudre noire et de projectiles. Leur mousquet devient donc inutile. Que faire ? Fuir ? Se rendre ? Se battre à mains nues ? C’est alors que l’un des paysans a l’idée d’utiliser le couteau qu’il porte toujours en poche. Il plante le manche du couteau dans le canon de son mousquet et c’est ainsi, dit-on, que naît la baïonnette.

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En réalité, il est possible et même probable que d’autres aient eu l’idée auparavant. À commencer par les mousquetaires, ces militaires armés d’un mousquet. Mais c’est l’épisode de Bayonne qui va imposer l’appellation ‘baïonnette’. En 1655, le médecin personnel de Louis XIV note : « on fait à Bayonne des dagues qu’on appelle des bayonnettes ». À la même époque, Furetière fait entrer le terme dans son dictionnaire, précisant lui aussi qu’il « est venu originairement de Bayonne ».

Quelle qu’en soit l’origine, les premières baïonnettes apparaissent dans les armées françaises dans les années 1640. Le régiment Royal-Artillerie en est doté en 1671. Elles ne sont alors que des lames d’une trentaine de centimètres de long, directement fichées par une poignée cylindrique dans le canon des mousquets. Ce modèle à manchon laisse la possibilité aux tireurs de se protéger au corps à corps quand une charge ennemie les menace en-deçà de la zone de tir utile du mousquet (moins d’une centaine de mètres), mais ne peut remplacer l’office rempli par les piquiers, chargés de protéger les tireurs.

Dotés d’une pique à hampe longue d’environ 4 mètres et munie d’un fer, les piquiers assurent la protection des tireurs lorsqu’ils rechargent leurs armes. L’introduction du fusil, qui remplace le mousquet sous Louis XIV, vient accroître la cadence de tir mais ne résout pas le problème de la protection des tireurs. C’est l’intuition de Vauban, qui s’en ouvre à Louvois en 1687, de penser à adopter un système qui n’obstrue pas le canon. Naît alors le principe de la baïonnette à douille, composée d’une lame droite avec une base coudée rattachée à une douille cylindrique.

Le coude laisse libre l’axe du canon, permettant de recharger sans gêner le passage de la main ou de la baguette. Cette innovation augmente les possibilités de tir tout en permettant au tireur d’assurer sa défense. Une circulaire de novembre 1689 ordonne d’en équiper l’infanterie française. Tous les fantassins et les dragons sont désormais équipés d’armes à feu. Devenus sans utilité, les piquiers disparaissent du règlement militaire de 1703.

La baïonnette se diffuse rapidement en Europe : son usage contribue à la victoire des jacobites sur les forces soutenant Guillaume d’Orange à Killiecrankie (1689). Fortement associée à l’attaque, comme le rappelle au XVIIIe siècle le feld-maréchal russe Souvorov déclarant : « La balle est folle, mais la baïonnette est une brave ! », la baïonnette a l’avantage d’économiser les munitions ; elle fait figure d’arme des braves puisqu’elle engage un combat au corps à corps. Elle requiert un entraînement spécifique, afin d’acquérir des automatismes.

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L'évolution de la baïonnette

Au départ, la baïonnette n’est qu’un système D pour transformer en arme blanche une arme à feu, à défaut de pouvoir faire mieux. Mais ce système D ne tarde pas à intéresser l’armée. En effet, le mousquet a ses limites… Il ne permet guère plus d’un tir par minute - le temps de recharger. Et une minute, c’est très long lorsque l’ennemi est juste en face ! Si les mousquets sont équipés de baïonnette, cela va permettre soit de tenir l’ennemi à distance respectable soit, s’il s’approche, de l’embrocher.

Les tactiques militaires s’adaptent, en théorisant les charges et défenses groupées ; c’est le cas de l’usage de la baïonnette comme épée courte, avec notamment le Baker rifle qui équipe l’infanterie britannique jusque dans les années 1840. L’introduction du fusil rayé à partir de 1854 ne met pas fin à la baïonnette, mais conduit à en développer un usage multifonctionnel, tel le modèle Sawback adopté par la Prusse en 1865 qui permet d’utiliser la lame pour découper les barbelés et couper du bois. La Grande-Bretagne se dote d’un modèle similaire en 1869.

Se diffusant dans les armées, la baïonnette voit aussi apparaître de nouvelles formes de combat. Au cours de l’ère Meiji, les Japonais développent une technique de combat particulière, le juken jutsu. La baïonnette rentre dans le quotidien du soldat et trouve une place de choix dans l’argot militaire. Les surnoms affectueux, comme la « Rosalie », côtoient des expressions plus réalistes comme « l’aiguille à tricoter les côtes » ou, pendant la Grande Guerre, le « tire-boche ». « Aller à la fourchette » désigne les charges à la baïonnette, de même qu’un soldat qui embroche un adversaire lui fait « une Rosalie à la boutonnière ».

La baïonnette dans les conflits

L’armée française équipe de baïonnettes l’infanterie, puis la cavalerie. La baïonnette se généralise sous l’Empire, dans l’armée napoléonienne. Et ce que l’on considérait à l’origine comme une arme française finit par équiper toutes les armées européennes. La baïonnette a pour avantage non négligeable d’économiser les munitions. Alors, pour inciter les soldats à l’utiliser, on la présente comme l’arme des braves. Le roi de Suède exhorte ainsi ses troupes : « Mes amis, joignez l’ennemi, ne tirez point; c’est aux poltrons à le faire ».

La baïonnette est encore très présente lors de la Première Guerre mondiale. La plupart des combats sont, il est vrai, des combats de tranchées. Mais lorsque les hommes se retrouvent face à face, les baïonnettes sont assassines. En ce temps-là, l’armée allemande utilise encore des baïonnettes à dents de scie, interdites depuis. C’est d’ailleurs par l’un de ces engins que Charles de Gaulle, alors jeune capitaine, est grièvement blessé du côté de Verdun.

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Toutes ces expressions disent l’importance de la baïonnette dans l’équipement, l’entraînement et le quotidien du fantassin. Mais il est à noter que la part qu’elle occupe effectivement dans les combats n’est pas à la hauteur de sa place dans l’imaginaire. Ainsi, au cours de la période 1792-1815, la baïonnette n’est responsable que de 4,5 % des blessures connues chez les vétérans français. Bien qu’installée dans une guerre de tranchées, la Première Guerre mondiale voit encore son usage lors des montées à l’assaut. Le jeune capitaine Charles de Gaulle est ainsi blessé à la cuisse par baïonnette en 1916 dans le secteur de Douaumont.

La baïonnette occasionne une effroyable boucherie, mais les poilus ont pour elle une certaine tendresse… Et ils la surnomment Rosalie. Un chansonnier de l’époque, Théodore Botrel, à qui l’on doit notamment La Paimpolaise, lui consacre même une chanson : « Rosalie est si jolie Que les galants d’Rosalie Sont au moins deux, trois millions Au milieu de la bataille Elle pique et perce et taille Et faut voir la débandade Des Bavarois et des Saxons ».

Deux siècles plus tôt, Voltaire avait déjà consacré à la baïonnette quelques vers. Cette baïonnette « dite ergonomique », avec son système de fixation innovant, permet au militaire d’utiliser qu’une seule main, lors de la mise en place sur l’arme. La lame au départ de section ronde était rendue cruciforme par forgeage à chaud, c’était pour l’époque une innovation.

Sa conception est le résultat d’études réalisées au cours de la guerre civile américaine et la guerre franco-prussienne qui a démontré que les sabres-baionnettes de type Chassepot modèle 1866, sauf dans des mains d’experts, étaient rarement efficaces en cas de combat rapproché. Le crochet destiné en théorie à briser la baïonnette de l’ennemi est aussi utilisé pour former les faisceaux à trois fusils baïonnette fixée au canon.

Les lames étaient marquées en théorie d’un petit poinçon de contrôle qualité et de la marque d’acceptation militaire appelée Contrôleur Poinçons (tampons des contrôleurs). Il y avait trois types différents de marques d’acceptation utilisées : Directeur de Manufacture, Contrôleur Généraux Principaux et Contrôleur de 1ère, 2ème et 3ème Classe. Le fourreau utilisé avec les premières baïonnettes à soie courte est en tôle d’acier reliée par brasure, ce mode de fabrication a été utilisé jusqu’en 1893.

La poignée de cette variante, modifiée à partir de mai 1890, est maintenue à la soie grâce à un écrou à deux ergots. La lame d’aspect identique au modèle à soie courte est munie d’une soie longue avec extrémité filetée. Au cours de la grande Guerre, les trois manufactures d’armes Nationales ont du faire appel à l’industrie privée pour la fourniture de certaines pièces (lames, pommeaux, croisières).

Des lames ont également été rencontrées avec les codes suivants: (P, SG, SC, C&P, CF, GR, MP, etc ….) et des poignées ont également été rencontrées avec un B et M. entrelacés. Le fourreau utilisé avec la baïonnette à soie longue, peut être en tôle d’acier brasée ou à partir de 1893 fabriqué par emboutissage ceci afin d’améliorer la solidité du corps. En 1903, est publiée au BMO une circulaire relative à l’utilisation de rivets de fourreaux de trois tailles différentes afin de compenser l’ovalisation des trous lors de la remise en état (jeu) du ressort.

Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, l’armée française a commandé des centaines de milliers de baïonnettes, de ce fait les usines d’armement Nationales ont dû prendre des mesures pour maintenir le rythme. En fonte grise d’acier, utilisée à partir du 20 juillet 1917, mais très rarement rencontrée. Le fourreau utilisé avec la baïonnette 1886-15, peut être en tôle d’acier brasée ou à partir de 1893 fabriqué par emboutissage ceci afin d’améliorer la solidité du corps.

Il arrive de rencontrer des baïonnettes modèle 1866, 1886-15 dont la lame a été raccourcie aux alentours de 35 cm. Dans la majorité des cas, ces armes raccourcies sont des armes qui ont été appointées, fournissant ainsi un poignard de tranchée fort convenable. La fabrication du fusil Lebel s’arrête avec la fin de la Première Guerre mondiale, mais sa carrière continue et on le retrouve encore durant la Seconde Guerre mondiale aux mains des unités de réserve principalement, les troupes d’actives étant équipés du modèle 07-15 ou du fusil modèle 16.

Dès lors, le fusil et la baïonnette symbolisent le soldat d’infanterie, et le XVIIIe siècle voit s’affronter les tenants de la prédominance du feu et ceux d’une tactique où l’assaut à la baïonnette doit remporter la décision. Ainsi, le général Souvorov (1730-1800) affirmait que « si la balle est folle, la baïonnette est sage ». confiance de nombreux chefs militaires dans la charge à la baïonnette, dont l’impact moral permet de bousculer l’ennemi et symbolise l’ardeur militaire nationale. En France, celle du fusil Lebel de 1886, surnommée « Rosalie », fait l’objet d’une chanson populaire ; la Première Guerre mondiale et ses charges à la baïonnette, vouées à l’échec face aux mitrailleuses, sonnent le glas de ces conceptions.

L'héritage de la baïonnette

Cependant, le mythe des charges à la baïonnette est encore à relativiser. Le fusil Lebel flanqué de sa baïonnette mesure 1,83 m, ce qui le rend difficile à manier. De plus, une fois plantée dans le corps de l’ennemi, elle n’est pas aisée à retirer, ralentissant la progression et exposant dès lors le combattant.

Après 1918, les formes en sont réglementées. Les armées occidentales donnent leur préférence aux baïonnettes courtes. La dernière charge à la baïonnette de l’armée française se déroule en février 1951, lors de la guerre de Corée, face aux Chinois. Le développement de l’arsenal militaire, avec la généralisation de la grenade, pouvait laisser penser que la baïonnette allait disparaître du quotidien des fantassins. Il n’en est rien, l’arme se perfectionnant même.

Les baïonnettes modernes sont équipées d’une gouttière concave qui en réduit le poids et qui permet de laisser rentrer l’air dans la blessure, facilitant ainsi le retrait de la lame. M9, mise en place en 1984, en est une des manifestations. Son fourreau peut être utilisé comme pince coupante pour sectionner le fil barbelé.

L’histoire de l’armement est intimement liée à l’histoire des batailles et donc à la grande Histoire. Des changements techniques ou ornementaux dans l’armement résultent de volontés politiques, d’évènements militaires majeurs, ou encore d’un climat social particulier. S’intéresser aux baïonnettes, comme le fit avec une rigueur magistrale Monsieur A.B., c’est s’intéresser à des considérations historiques bien plus larges.

Une première partie de la collection qu’il a constituée est présentée en vente le vendredi 5 mai 2023 en salle des ventes Favart à 14 heures.

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