Le cabinet d'ingénierie mémorielle et culturelle En Envor s'engage sur le plan international dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale en organisant, en partenariat avec l'association à but non lucratif Centenaire 14-18 en Val de Sambre et l'université de Namur, un grand colloque sur la bataille de Charleroi, en Belgique.
En l’espace d’un siècle, l’historiographie de la Première Guerre mondiale connaît de nombreuses évolutions, passant d’une démarche visant à établir les faits et à démontrer les responsabilités des belligérants à une entreprise de compréhension globale de ce conflit. Or, force est de constater que l’histoire scientifique de la Grande Guerre ne va pas à rebours de cette « soif » que manifeste le grand public.
Bien au contraire même puisqu’au cœur de ce terrain d’investigation se situe la question de la violence, point nodal de nombreuses et virulentes querelles historiographiques en France (entre partisans de la « contrainte » et du « consentement »), mais aussi en Grande-Bretagne (les « learning-curves ») et dans une moindre mesure en Allemagne (on pense bien sûr à la « querelle des historiens » et au rôle accordé à la Première Guerre mondiale dans la genèse de la destruction des Juifs d’Europe).
Pourtant, paradoxalement, ces controverses amènent sans doute les chercheurs à détourner leur regard de ce qui est sans nul doute le sel de la guerre : la bataille. Des auteurs comme V. D. Hanson, G. Duby, O. Chaline ou encore A. Blin contribuent tous à renouveler profondément la connaissance et la compréhension d’événements dont chacun s’accordait auparavant à dire que rien de nouveau ne pourrait être découvert à leur sujet.
Dans l’introduction de l’ouvrage qu’ils consacrent à la bataille de Saint-Cast (11 septembre 1758), S. Péréon, Y. Lagadec et D. Hopkin entament d’ailleurs leur propos en rappelant que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, tout n’a pas été écrit sur le sujet, constat qui invite « à aller plus loin, à penser différemment, à réinterroger l’événement ».
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Un cavalier à Fooses-la-Ville (Belgique) en 1914. L’un des grands chantiers qui attend celles et ceux qui réfléchissent à la bataille de Charleroi est assurément celui de la datation de l’événement. Poser une telle question peut paraître inutile tant il est évident depuis E. Hobsbawm que la Première Guerre mondiale pose la borne inaugurale d’un siècle des extrêmes où la violence atteint des sommets inégalés.
Pourtant il apparaît que pour être de brillantes constructions intellectuelles, ces grilles de lecture présentent parfois le défaut de sérier inutilement le réel en tranches artificiellement distinctes. Or, il est un fait que l’histoire est un fil continu où les dates se succèdent, formant ainsi cette chaîne ininterrompue qu’est la chronologie.
Une monographie récemment publiée indique que « c’est pourtant [à Charleroi] que l’histoire de la violence guerrière du XXe siècle commence ce vendredi 21 août 1914 ». Pour autant, il est indéniable que si 14-18 marque une rupture dans la pratique guerrière, c’est dans son ensemble et non dès son déclenchement. Affirmer le contraire serait se méprendre sur la profondeur d’une telle mutation qui ne peut s’opérer en quelques instants.
Pour ne citer qu’un exemple, le fantassin français de la bataille de Charleroi est avant tout un homme qui se déplace à pied. Bien entendu, tel n’est plus tout-à-fait le cas au moment de l’Armistice. C’est donc cette interrogation qui justifie, à nos yeux, la tenue d’un grand colloque sur la bataille de Charleroi dans le cadre de son centenaire, manifestation qui aura pour ambition de dresser un état sérieux des connaissances mais également de proposer au plus grand nombre - en nous inspirant de la public history anglo-saxonne - de nouvelles pistes de réflexion.
On l’a dit, si l’historiographie de la Grande Guerre se focalise grandement sur la violence et l’un de ses corolaires, l’endurance des combattants, la bataille est paradoxalement absente de ces nouveaux questionnements, si l’on excepte toutefois les travaux de J. Keegan sur la Somme ou la récente Marne d’H. Herwig. Intercalés entre la phase de mobilisation générale et la première bataille de la Marne, les combats de Sambre et Meuse, autrement appelés « bataille de Charleroi », « bataille de Namur » ou encore « seconde bataille des frontières », nous paraissent donc être un champ d’étude particulièrement fécond que la perspective du centenaire de l’année 1914 doit encourager à redécouvrir.
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La question de la violence, autrement dit de la conduite sur le champ de bataille, de l’armement et de ses effets sur les corps des combattants, doit assurément compter parmi les points centraux de la réflexion. Les communications devront ainsi faire varier les échelles, interrogeant les enjeux stratégiques et tactiques, tandis que d’autres interventions, au contraire centrées sur des unités en particulier - tant françaises qu’allemandes - questionneront le niveau opératif.
Il est en effet certain que c’est dans ce changement de focale, dans cette variation des échelles, que réside une clef essentielle du renouvellement de la compréhension de la bataille de Charleroi. Le recours aux grilles de lecture forgées par l’historiographie britannique, les fameuses learning curves, sera d’autant plus apprécié qu’il permettra d’aborder des points trop souvent laissés dans l’ombre et de resituer les opérations dans une perspective chronologique plus ample.
Ainsi de la liaison défectueuse entre l’artillerie et l’infanterie, attribuée généralement à un manque d’artillerie lourde et au brouillard particulièrement dense dans les matinées des 21 et 22 août 1914 sur le champ de bataille. Pour ne citer que l’exemple du 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo, la bataille de Charleroi peut se résumer à l’assaut sans soutien d’artillerie de troupes fauchées par les mitrailleuses allemandes.
Or, pour dramatique qu’elle soit, cette phase de combat semble plus relever du XIXe siècle que du XXe puisque que ce n’est qu’un mois plus tard, au fort de la Pompelle, que le 47e RI parvient à réaliser cette liaison primordiale avec l’infanterie, entrant de ce fait réellement dans le premier conflit mondial.
D. Baldin et E. Saint-Fuscien avancent qu’on professe à l’Ecole de guerre que « toute offensive doit être précédée d’un bombardement des positions visées qui doit affaiblir la capacité de feu adverse et favoriser ainsi l’avancée des fantassin ». Pour autant, il n’en demeure pas moins que cet enseignement théorique doit être distingué de la pratique, comprise ici comme l’ensemble des savoir-faire et compétences qu’une unité possède réellement.
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L’exemple du 47e régiment d’infanterie renvoie ici clairement au XIXe siècle et plus particulièrement à la guerre de 1870. C’est en effet après l’année terrible qu’est engagée en France une série de réformes qui fondent l’armée qui combat à Charleroi en août 1914. Or cette réorganisation conduit les fantassins du 47e RI à ne côtoyer qu’exceptionnellement, dans leur garnison de Saint-Malo, des artilleurs - les grandes manœuvres d’automne sont à ce titre exceptionnelles - ce qui, à n’en pas douter, ne favorise pas la liaison entre les deux armes.
Il y a donc tout lieu de croire que là encore, la bataille qui se livre entre Sambre et Meuse en août 1914 relève plus du XIXe siècle que du XXe, ce que permettra sans doute de confirmer des études ciblées sur des unités de la 10e région militaire mais également des 1er, 3e et 18e corps d’armées. Si la théorie, rappelée par D. Baldin et E. Saint-Fuscien plus haut, semble pour partie anticiper la guerre du XXe siècle, la réalité qui s’exprime à Charleroi parait, elle, plus ambivalente.
A contrario, l’historiographie s’entend pour accorder aux troupes allemandes qui combattent à Charleroi une indéniable supériorité dans l’usage de l’artillerie. D. Baldin et E. Saint-Fuscien l’attribuent à une certaine antériorité de l’expérience, imputable au fait que les troupes du Kaiser ne vivent pas à Charleroi leur baptême du feu mais combattent déjà depuis une dizaine de jours.
Ceci signifierait que les armées allemandes parviendraient à réaliser plus rapidement que les troupes françaises la liaison entre leur infanterie et leur artillerie, le délai généralement observé étant sensiblement plus long. En effet, si ces résultats devaient être avérés, l’analyse se devrait d’être poussée plus loin afin de déterminer entre autres les éléments structurels qui conduisent les troupes allemandes à être plus rapides que les françaises dans la réalisation de la liaison infanterie-artillerie.
Sans vouloir suspecter une historiographie qui aurait peut-être tendance à accorder une trop belle part aux - incontestables - vainqueurs, il est indéniable que c’est en retournant aux faits, dans tout ce qu’il y a de plus concret même si ceux-ci sont très difficiles à établir avec certitude, que l’on parviendra à retrouver l’essence de ces combats d’entre Sambre et Meuse à l’occasion de leur centenaire.
Aussi, si une telle manifestation ne permettra sans doute pas de faire le tour de cet objet historique aussi vaste que complexe, il semble impossible de faire l’économie d’une histoire des représentations liées à la bataille de Charleroi. Une réflexion devra donc être menée non seulement du point de vue d’une comparaison de l’historiographie de la bataille de Charleroi suivant qu’elle soit britannique, française, belge ou encore allemande mais aussi des sources disponibles pour écrire cette histoire. En d’autres termes, quelles sont-elles à Paris, Londres, Bruxelles et Berlin… ?
Allemands au passage à niveraux de Fosses-la-Ville. Sans date. Dès lors, il importera de réunir dans une perspective internationale (regards allemands, belges, français mais aussi britanniques, bien que le corps expéditionnaire du field-marshall French ne soit pas au cœur de cette bataille) des travaux portant sur l’ensemble des combats de Sambre et Meuse, tant du point de vue des « chefs » (on pense notamment au rôle controversé du général Lanrézac) que du simple fantassin.
En effet, là où dans son acceptation classique, l’histoire bataille ne se préoccupe que des données d’ordre tactique, le renouvellement des perspectives, initié par des auteurs tels que J. Keegan, amène à appréhender cet objet historique spécifique à hauteur d’homme. En effet, de nombreuses questions concernant les acteurs même de cet événement restent encore sans réponse, un siècle après les faits.
Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le combattant demeure encore aujourd’hui le grand inconnu de la bataille de Charleroi. Qui sont les hommes de troupe ?, d’où viennent-ils ? Loin de se focaliser sur le seul soldat de deuxième classe, le regard devra se porter sur les hommes de tous grades : que sait-on des sous-officiers, des officiers subalternes et des officiers supérieurs ? Quel est leur quotidien ? Comment tous ces hommes, suivant leurs grades respectifs, appréhend...
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