« Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. » Tirée du film Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone, cette citation a été popularisée par le rappeur Kheops dans son titre Sad Hill en 1997.
Cette phrase culte suggère une division du monde en deux groupes distincts, une vision bipolaire, manichéenne ou antinomique. Elle est simple à retenir et marque les esprits par son style et son contenu.
Il s’agit d’abord d’une société hautement pure (sans mélange, sans dégradation, noble) et d’une autre société aboutée plus vulgaire et impure (quotidienne, mélangée, dégradée, ignoble). Ces deux sociétés, dans leurs diverses formes de vies, face-à-face et aboutées, affirment et accomplissent les catégories de l’invisible et du visible, du pur et de l’impur, de l’homme et de la femme, de l’immatériel et du matériel, de l’unique et du répétable, du caché et du dévoilé, du haut et du bas, de la droite et de la gauche, du devant et du derrière.
Et, par conséquent, tout ce qui est comme or et comme plomb nomment et baptisent, organisent et garantissent la mentalité et le comportement des êtres invisibles (divinités, demi-dieux, olympiens, etc.) et visibles (sujets sociaux, animaux, objets, excréments, etc.). Ainsi ces deux mondes, dans leur diversité, c’est-à-dire dans leur séparation et leur organisation propre, définissent-ils et encadrent-ils les moindres goûts, dégoûts et couleurs à la fois sociaux-collectifs et psycho-individuels.
Tout l’univers de ces sociétés face-à-face et aboutées - ou la totalité sociale - est ainsi qualifié, structuré, « primitivement » rationalisé par les catégories du visible et de l’invisible, c’est-à-dire des catégories intelligibles et appréhendables (quoiqu’illusoires), car socialement organisées et supportables par les individus. Ces mondes sont reliés par des rapports d’oppositions pragmatiques précisément définitoires. Le monde sacré se divise lui-même en deux catégories : la société hautement pure ou le monde faste et la société hautement impure ou le monde néfaste. Toutes les divinités y symbolisent et y célèbrent les pulsions animales et sociales (humanisées).
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Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont les moyens d’agir (consommation) et qui possèdent l’économie et l’argent véritable, le Capital en action (production, distribution, destruction), et ceux qui n’ont guère les moyens que de regarder l’économie et l’argent véritable en action, c’est-à-dire de regarder le Spectacle (Debord) de ceux qui ont les moyens.
Cet exercice de style peut être utilisé pour créer des répliques cultes. Voici quelques exemples d'une vision bipolaire, manichéenne ou antinomique :
Il y a un autre partage chaque jour revérifié, en deux camps aux dispositions psychologiques irréconciliables : les optimistes et les pessimistes. Les candides et les réalistes. Les enthousiastes et les sceptiques.
D’un côté les confiants, les prêts à croire, les disposés à s’enflammer et à compatir, les toujours prompts à risquer, à espérer, à se tromper. De l’autre les prudents, les méfiants, les rétifs aux emballements comme aux excuses, les chiches - en audace, en enthousiasme, en empathie.
«On va y arriver», c'est le credo des optimistes. Le sort des optimistes est cruel : il suffit d’un nouvel an façon Cologne et patatras. On vous l’avait bien dit, se gaussent les tristes - et dans la seconde l’optimisme change de nom, ses ennemis l’appellent angélisme, inexpérience, amateurisme. Les sceptiques, eux, sont tranquilles, en embuscade, jamais pris en défaut. Qui pense à railler après-coup, si tout s’est bien passé, les esprits chagrins qui annonçaient à tort une catastrophe ? L’enthousiaste a tout à perdre, le sceptique tout à gagner.
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Dans la vie sociosexuelle, les individus se sentent et s’apprécient ou se rejettent violemment ; les hormones travaillent et la Culture présélectionne/détermine nos relations hormonales avec untel ou untelle. La Culture nous prive alors de certains et de certaines, et nous recommande d’autres sujets sociaux, sinon nous oblige (contrainte sociale-morale) à les fréquenter et à les préférer. Cette règle est la construction psychoculturelle des moindres groupes socio-sexuels et l’explication générale de la xénophobie culturelle. Les effets symboliques des intérêts animaliques et matériels (patrimoine) se font sentir ici aussi. Le biologique déjà présélectionné d’un groupe entretient la psychoculture de ce groupe, de cette famille, lignée ou dynastie, et la psychoculture (héritage) entretient le biologisme de cette famille (hérédité).
Il y a une difficulté avec le nu occidental : le nu y est historiquement un signe sacré dans les scènes picturales sacrées et y est un signe profane dans les scènes sociales profanes. Assez rondement, on peut avancer ici que les mises en scène artistique (picturale, photographique, cinématographique, etc.) sont comme le commentaire de la mise en scène de la vie quotidienne ou de nos cérémonies de base. Ce commentaire est alors une mise en abîme (visuelle) de nos comportements et comme le premier degré de recul sur nous-mêmes, un dézoom artistique.
Réduit au statut d’inventeur du western spaghetti, Sergio Leone n’en finit plus d’être redécouvert, enfin estimé à sa juste valeur. La belle exposition à la Cinémathèque française, élaborée par Gian Luca Farinelli, directeur de la Cinémathèque de Bologne, qui possède le fonds et les archives de la famille Leone, apporte une contribution décisive à cette réhabilitation posthume.
« Longtemps sous-estimé par la critique, enfermé dans l’image du cinéaste à succès, donc sans profondeur, Leone représente un cas presque unique d’expérimentateur, capable de renouveler le 7e art, à partir des éléments les plus disparates de la culture du XXe siècle, insiste Gian Luca Farinelli. Sa filmographie forme une œuvre dense dans laquelle chaque nouveau film défie le précédent en termes de complexité, d’inspiration et de budget. »
Romain du quartier populaire du Trastevere, Sergio Leone est né dans le cinéma, a grandi avec le cinéma, été élevé par le cinéma, a vécu pour le cinéma. Sa mère était actrice et son père l’un des réalisateurs les plus talentueux de l’entre-deux-guerres, interdit de tournage pendant dix ans par le régime fasciste. Ses études chez les salésiens lui donnent le goût de l’histoire grecque et romaine. Il tient d’ailleurs Homère pour le meilleur écrivain de western.
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Depuis l’enfance, Sergio Leone connaît tous les métiers du cinéma. À ses débuts, assistant-réalisateur prisé, il dirige les secondes équipes des péplums hollywoodiens tournés à Rome. Son imaginaire, marqué par les atrocités de la guerre, se nourrit de la mythologie de l’Amérique.
Cinéphile, il puise chez Kurosawa et Ozu l’art d’étirer le temps et de transposer dans l’Ouest sauvage les affrontements codifiés des samouraïs japonais, et chez Chaplin l’usage de l’ironie. Grand lecteur, il s’inspire des structures narratives de Goldoni, des personnages de Cervantès. Sa culture visuelle s’imprègne des peintres (Goya, Degas, Chirico, Hopper) dont il collectionne les tableaux.
L’exposition présente des photographies de tournage, des dessins de son scénographe attitré (Carlo Simi), des maquettes de décors et des accessoires mythiques (le poncho de Clint Eastwood, les colts de ses films, les robes colorées de Claudia Cardinale). Elle offre de découvrir un Sergio Leone cinéaste expérimental et populaire, trivial et lyrique.
Sergio Leone est mort à 60 ans, le 30 avril 1989, chez lui, en regardant le film de Robert Wise, Je veux vivre !. Il travaillait au scénario d’une fresque sur le siège de Leningrad, de 1941 à 1944, inspiré par le premier mouvement de la Symphonie n° 7 en ut majeur de Dmitri Chostakovitch.
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