Soleil de plomb, gros plans sur des trognes cuivrées aux rictus menaçants, meurtrière des regards qui ne cillent pas, mains sur le colt, prêtes à défourailler, postures de défi. Temps suspendu, vibrations de l’air et son de l’harmonica, au moment où tout se joue à pile ou face. Monde sans pitié d’archétypes déracinés.
Réduit au statut d’inventeur du western spaghetti, Sergio Leone n’en finit plus d’être redécouvert, enfin estimé à sa juste valeur. La belle exposition à la Cinémathèque française, élaborée par Gian Luca Farinelli, directeur de la Cinémathèque de Bologne, qui possède le fonds et les archives de la famille Leone, apporte une contribution décisive à cette réhabilitation posthume. Le plaidoyer ne manque ni d’arguments, ni de preuves. Les textes du catalogue confirment l’importance d’un metteur en scène cultivé, inspiré par la mythologie et les grands maîtres, qui a renouvelé le genre du western et laissé une empreinte durable sur le cinéma contemporain.
« Longtemps sous-estimé par la critique, enfermé dans l’image du cinéaste à succès, donc sans profondeur, Leone représente un cas presque unique d’expérimentateur, capable de renouveler le 7e art, à partir des éléments les plus disparates de la culture du XXe siècle, insiste Gian Luca Farinelli. Sa filmographie forme une œuvre dense dans laquelle chaque nouveau film défie le précédent en termes de complexité, d’inspiration et de budget. »
Romain du quartier populaire du Trastevere, Sergio Leone est né dans le cinéma, a grandi avec le cinéma, été élevé par le cinéma, a vécu pour le cinéma. Sa mère était actrice et son père l’un des réalisateurs les plus talentueux de l’entre-deux-guerres, interdit de tournage pendant dix ans par le régime fasciste. Ses études chez les salésiens lui donnent le goût de l’histoire grecque et romaine. Il tient d’ailleurs Homère pour le meilleur écrivain de western. Depuis l’enfance, Sergio Leone connaît tous les métiers du cinéma. À ses débuts, assistant-réalisateur prisé, il dirige les secondes équipes des péplums hollywoodiens tournés à Rome. Son imaginaire, marqué par les atrocités de la guerre, se nourrit de la mythologie de l’Amérique.
Cinéphile, il puise chez Kurosawa et Ozu l’art d’étirer le temps et de transposer dans l’Ouest sauvage les affrontements codifiés des samouraïs japonais, et chez Chaplin l’usage de l’ironie. Grand lecteur, il s’inspire des structures narratives de Goldoni, des personnages de Cervantès. Sa culture visuelle s’imprègne des peintres (Goya, Degas, Chirico, Hopper) dont il collectionne les tableaux.
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Après un volet introductif sur la généalogie familiale et ses sources d’inspiration, l’exposition, riche de documents visuels (dont un entretien du maestro dévorant des fettucine tout en évoquant les fripouilles de ses films ou un document sur son bruiteur…) fait évidemment la part belle à ses westerns, découpés par thèmes : rapport acteurs-paysages, fascination pour les grands espaces, travail précis du son, rapport narratif entre ses images et la musique d’Ennio Morricone.
Une salle est consacrée à son chant du cygne, l’admirable et mélancolique Il était une fois en Amérique, dont la préparation et le tournage l’occupèrent pendant douze ans. Après son triomphe à Cannes, ce chef-d’œuvre sortit charcuté par ses producteurs américains.
L’exposition présente des photographies de tournage, des dessins de son scénographe attitré (Carlo Simi), des maquettes de décors et des accessoires mythiques (le poncho de Clint Eastwood, les colts de ses films, les robes colorées de Claudia Cardinale). Elle offre de découvrir un Sergio Leone cinéaste expérimental et populaire, trivial et lyrique.
Sergio Leone est mort à 60 ans, le 30 avril 1989, chez lui, en regardant le film de Robert Wise, Je veux vivre !. Il travaillait au scénario d’une fresque sur le siège de Leningrad, de 1941 à 1944, inspiré par le premier mouvement de la Symphonie n° 7 en ut majeur de Dmitri Chostakovitch.
«Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent.» Phrase culte soufflée au «Truand» par le «Bon» devant le trou à pelleter, cigare italien entre les dents, sourire en coin. Bonheur de la sentence qui claque, du coup de hache enfantin, joyeusement simpliste, de l'humanité fendue en deux avec un aplomb tranquille et désinvolte, comme il est parfois jouissif de la fendre. Il y a ceux qui tiennent le revolver et ceux qui creusent. Et il y a un autre partage chaque jour revérifié, en deux camps aux dispositions psychologiques irréconciliables : les optimistes et les pessimistes. Les candides et les réalistes. Les enthousiastes et les sceptiques.
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D’un côté les confiants, les prêts à croire, les disposés à s’enflammer et à compatir, les toujours prompts à risquer, à espérer, à se tromper. De l’autre les prudents, les méfiants, les rétifs aux emballements comme aux excuses, les chiches - en audace, en enthousiasme, en empathie.
«On va y arriver», c'est le credo des optimistes. Ce fut le mantra de Merkel et des Allemands pendant l'ouverture des frontières au million de réfugiés accueillis en 2015. On va y arriver, wir schaffen das : promesse d'une majorité d'hommes et de femmes qui avaient choisi la confiance et en étaient fiers - chacun se souvient des collectes de vêtements et de couches, des roses tendues sur les quais, des bras ouverts aux familles arrivant par trains entiers. Merkel vient d'être défaite en Poméranie, les Allemands sont aujourd'hui dans le doute.
Le sort des optimistes est cruel : il suffit d’un nouvel an façon Cologne et patatras. On vous l’avait bien dit, se gaussent les tristes - et dans la seconde l’optimisme change de nom, ses ennemis l’appellent angélisme, inexpérience, amateurisme. Les sceptiques, eux, sont tranquilles, en embuscade, jamais pris en défaut. Qui pense à railler après-coup, si tout s’est bien passé, les esprits chagrins qui annonçaient à tort une catastrophe ? L’enthousiaste a tout à perdre, le sceptique tout à gagner. La plupart de nos hommes politiques le savent bien, qui ne cessent de mettre en scène leur «réalisme» - à tout bout de champ faire étalage de fermeté, montrer qu’on ne se couche pas, qu’on ne fait pas carpette, ni devant les manifestants, ni devant les grévistes, ni devant les réfugiés, ni devant les voyous, ni même, dernier danger en date, devant les burkinis.
Mais la vacherie a un défaut : elle rend triste. Le vache est malheureux. Il le sent bien, qu'il ne fait pas rêver avec sa ceinture serrée, ses arrières toujours assurés. C'est inéluctable : les vaches à la fin dépriment.
Le candide a sur le vache cet ascendant insupportable : il est plus heureux. C’est comme si l’enthousiaste respirait mieux, avait plus de souffle. Comme si d’être plus aimé, de s’aimer mieux lui-même, il était plus vaste, plus spacieux, plus ample.
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Sans doute oscillons-nous sans cesse entre les deux humeurs. Sans doute est-il des époques plutôt portées à la générosité collective, d’autres plutôt portées au contraire (peur, crise, iniquité, fatigue) au repli, à la glissade en pente douce vers le côté de Javert. On se recroqueville, se durcit, se mure. On n’est pas très heureux.
Le bon, la brute et le truand, de Sergio Leone nous permet de comprendre différents aspects qui expriment la signification du méchant dans son ambiguïté fondamentale : il est un composite normatif qui en fait un arbitre tout en ayant déclenché ces phases conflictuelles. The good, the bad and the ugly, by Sergio Leone can help us to understand a variety of aspects that each express the meaning of the wicked in its fundamental ambiguity: it is a normative mixte, and an arbitrator that triggered different phases of conflicts.
Nous allons étudier la manière dont s’incarne la figure du méchant à travers les personnages du film de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand, et ce qu’il signifie. Précisons que nous ne parlons pas ici de la qualification morale de la méchanceté, mais des situations dans lesquelles les personnages peuvent être qualifiés de méchant et ce que cette position révèle ontologiquement. Avec ses rôles-titres interprétés par Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Eli Wallach, ce Western italien de 1966 propose à notre avis une variété de méchants - dont nous aurons à déterminer l’unité significative - qui se rencontrent à l’occasion d’une chasse au trésor dans le contexte de la guerre de Sécession.
Je prenais le cinéma conventionnel comme base puis je m’acharnais à démolir les codes, à me jouer des apparences en accentuant un esprit de jeu de massacre pour balayer tous les mensonges attachés au contexte historique du sujet. J’ai inventé trois protagonistes : un bon, une brute et un truand. Ces appellations étaient arbitraires. Très vite, on peut s’apercevoir que le bon est tout autant fils de pute que les deux autres.
L’originalité de son approche consiste à ne pas présenter un rôle unilatéral par contraste explicite avec un « gentil », ou la bonne société, ni même avec un régime politique présenté selon une juste cause puisque Leone situe l’action en pleine Guerre civile américaine sans choisir son camp. De multiples « méchants » entrent en interaction au sein d’une phase historique où l’État et la société américaine se déchirent et se cherchent une légitimité.
Sur cette perte de repères, nous pensons notamment à une scène du film où le général du camp Nordiste réprimande Angel Eyes en lui disant : « la gangrène lui dévore la jambe mais pas les yeux ». Il lui promet la Cour martiale s’il continue de voler et torturer les prisonniers Sudistes. Ce à quoi Angel Eyes répond qu’il en arrive là par nécessité de « faire respecter l’ordre dans le camp ». Et c’est avec ce genre de répartie que se révèle l’un des premiers caractères du méchant : son discours et son attitude vide de tout contenu la norme admise comme juste dans ses finalités « bonnes » ; il ne reste que la forme conforme et contractuelle, la « légitimité » n’est plus que la sèche obligation ; ainsi, en son discours, le méchant ne peut pas être analysé au niveau de ses intentions. Et à défaut d’être justes et bonnes, ses intentions ne font que se rapporter à une simple forme de nécessité de l’intérêt immédiat - ici, garder les prisonniers par tous les moyens, même les plus criminels.
Angel Eyes avait déjà fait jouer ce respect du contrat au début du film en tuant le commanditaire après le paiement de la première victime. Il y a donc dans le méchant un respect formaliste revendiqué, mais ce n’est pas non plus celui de la « banalité du mal » dont parle Arendt à propos d’Eichmann, car Angel Eyes est autonome et n’obéit qu’à lui-même, et respecte son contrat par cynisme, en en riant au moment de tuer : il n’est pas « une petite saucisse dans la grande machine nazie », et ce qu’il dit est son langage propre : le méchant utilise donc les rouages de la norme sociale (qu’elle soit bonne ou mauvaise n’est pas son problème), mais il n’y participe pas, ou s’il le fait - comme Angel Eyes revêtant l’uniforme Nordistes ou Tuco et Blondin avec les Sudistes - c’est provisoirement, par dissimulation et ruse, mais non par conviction bureaucratique et besoin de reconnaissance sociale. Ainsi le méchant, dans son cynique face à la norme, n’est pas reconductible à l’obéissance sans pensée que Arendt envisage avec Eichmann.
Faisons une première analyse pour cerner notre champs d’interprétation par rapport à celui des intentions morales : selon Kant, l’homme moralement « mauvais » ne l’est que relativement à l’inconditionnelle loi morale qu’il porte en lui, et dont il refuse l’universelle contrainte, le devoir, pour lui préférer des motifs sensibles particuliers ; l’homme mauvais l’est radicalement par « penchant » et rébellion face à l’universalité. pour donner un fondement du mal moral dans l’homme, la sensibilité contient trop peu ; car, en ôtant les motifs qui peuvent naître de la liberté, elle rend l’homme purement animal ; mais en revanche une raison qui libère de la loi morale, maligne en quelque sorte (une volonté absolument mauvaise) contient trop au contraire, parce que par là l’opposition à la loi serait même élevée au rang de motif (car sans un motif l’arbitre ne peut être déterminé) et le sujet deviendrait ainsi un être diabolique.
Comment se distingue l’homme mauvais de l’homme méchant ? Là où Kant cherche à déterminer la forme des motifs (la sensibilité et l’universalité) évalués comme « mauvais » à partir d’une structure morale intentionnelle, nous cherchons seulement, à partir du film de Leone, à savoir dans quelles configurations émerge le méchant, et ce qui est signifié comme tel à travers les situations et les actes qu’expriment ces personnages. L’homme mauvais ne l’est que parce qu’il pourrait ignorer toute loi morale ou aller jusqu’à détruire toute loi morale d’où procède la vie normale, que ce soit en animal ou en diable ; alors que le méchant ne peut pas se passer des normes, parce qu’il s’y réfère, les utilise et cherche à en profiter. Cependant, ce jeu avec les normes qu’effectue le méchant n’est pas pour autant du même ordre que ce que cherche le scélérat sadien, lequel recrée d’autres normes pour une société criminelle.
Il nous semble que nous pourrons déterminer ce sens en repérant ce qui génère les domaines de tensions où s’exprime l’homme méchant ; et dans le film de Leone, nous suivrons pour expliciter cela deux fils conducteurs principaux : la justice et la vérité. Nous aurons aussi à nous interroger sur l’état du monde capable de faire place à ces personnages « méchants » dont nous ne saurons jamais vraiment l’identité ; ces personnages passent également d’un parti à l’autre lors de la guerre, des Sudistes aux Nordistes, en s’en détachant sans aucun scrupule.
Faisons une esquisse pour approcher un premier mode d’identification. Précisons tout d’abord ce que nous indiquions en objet de notre recherche dans la mesure où nous nous limitons aux situations dans lesquelles le méchant adopte une position qui le qualifie comme tel : c’est une position vis-à-vis des normes donc des effets moraux dans les mœurs et les institutions en tant que modes généraux, c’est-à-dire en tant que permissions ou interdictions.
Par ailleurs, nous nous intéressons à une position du méchant, et là-dessus Husserl indique ceci sur le jugement : « le juger au sens prégnant du mot consiste à se décider ainsi ou autrement, et de la sorte c’est une décision pour ou contre : reconnaissance ou refus, rejet (…) en ce sens spécifique, le juger est donc l’acte par lequel le Je accomplit la positio, la position, avec la double forme qu’elle peut prendre : celle de l’accord ou du refus, du rejet ». La position vis-à-vis des normes implique donc cette multiplicité d’une position spécifique à l’ordre instituée comme norme qui permet ou interdit d’une part ; et d’autre part, le Je « en face » d’elle qui reconnait, refuse ou rejette.
Dans le même registre que la position décrite par Husserl pour le jugement, le méchant serait alors analogue au sophiste, lequel joue avec la vérité, il joue avec la pensée de la vérité en elle-même, mais aussi avec la vérité de la justice et du retour critique d’une société sur ses propres valeurs instituées et ses normes : en cela, le sophiste n’est pas le sceptique pour qui la vérité n’existe pas, ou comme Nietzsche selon qui « la vérité n’est pas vraie » ; le sophiste s’intéresse aux effets de la vérité via le discours, et il relativise toute forme de signification en dehors de son efficacité pragmatique. De même, le méchant pense à ses intérêts dont il doit constamment calculer et adapter les modes d’assouvissement avec ou sans repères normatifs pour ne pas être dupé.
Or, si l’on suit Hegel, « rien n’est connu, voire seulement senti, comme limite, comme défaut, qu’à condition en même temps d’être à cet égard en dehors » : sentir, connaître ou reconnaître une limite, c’est percevoir ce qui forme une certaine consistance propre ou interne, et en même temps avoir déjà dépassé celle-ci par une mise en perspective extérieure, hors de ces mêmes repères ; ainsi, le méchant en tant que « hors-la-loi » s’engage aussi dans cette même dialectique dans sa position vis-à-vis de la norme. Le méchant transgresse la norme parce qu’il sait aussi en profiter en la respectant, il en connaît la raison profonde et en révèle les hypocrisies.
Le méchant saute les limites sans habiter nulle part, il saisit l’occasion sans chercher de stabilité, il erre au gré des intérêts à assouvir rapidement, et ainsi, le méchant s’incarne de façon précaire car il vit une aventure permanente où il ne construit que selon les visées fugaces de la survie. Un moment capital témoigne de cela dans ce film lors de la rencontre entre Tuco et son frère prieur Pablo ; après que Tuco ait sincèrement pleuré la mort de ses parents, il va montrer le plan sur lequel il se situe vis-à-vis de son frère Pablo.
Ce dernier lui demande : « Et toi, à part faire le mal que fais-tu ? Tu te crois meilleur que moi ? Chez nous, pour ne pas mourir de pauvreté, on devenait prêtre ou bandit. Tu as suivi ta voie, moi la mienne, une voie difficile. Tu parles de nos parents, mais quand tu es rentré au monastère, je suis resté seul. J’avais douze ans et je suis resté. J’ai lutté mais c’était inutile. Ce sur quoi son frère le gifle et Tuco rétorque immédiatement en lui assénant un coup de poing qui met Pablo à terre - tout ceci sous le regard de Blondin, qui observe la scène, caché.
Puis après un temps de silence, Tuco relève son frère qui le fixe, inquiet et muet ; puis Tuco se retourne et se retire, sans écouter la dernière adresse de Pablo qui lui demande pardon. Dans cette scène, la force même de la gifle du Prieur face au coup de poing du Truand est filmée après une série de champs / contre-champs, exprimant une certaine forme de relation entre la bonté instituée qui rappelle avec mépris à un ordre abstrait, hautain, officiel, face à la transgression qui frappe en montrant la dure réalité et son ordre cruel : car en faisant vœu de pauvreté, le prieur Pablo a fui les responsabilités matérielles et ses devoirs d’aîné envers sa famille ; et ainsi, il a laissé de facto au futur truand Tuco l’obligation de subvenir aux besoins de celle-ci. Aussi le Prieur demande-t-il pardon, parce que la méchanceté est peut-être ce sur quoi fait fond la bonté (et non l’inverse), comme si l’image du Bien s’excusait d’être face au Mal apparent parce que le Bien le rend possible et l’occasionne ; et nous voudrions donc montrer que le méchant ne s’identifie pas pour autant au Mal, il n’est pas l’unilatéral opposé au Bon comme un simple être mauvaiset vicieux. Mais il est comme la surface réfléchissante sur laquelle la bonté (ou ce qui est symbolisée comme telle) est renvoyée à elle-même en ses présupposés.
I. Si le sens de la justice est minimalement la procédure d’évaluations et de délibérations qui rend impartialement à chacun son dû en considération du contexte, dans Le Bon, le Brute et le Truand, les scènes évoquant ces procédures constituent la dynamique du film. Plus exactement, au début du film, on voit par exemple se former ces phases de délibération à travers la relation entre Blondin et Tuco : le premier attrape le second pour le livrer à la justice et toucher la prime, puis il le libère une première fois, partage la prime en part égales puis le livre à nouveau afin de faire monter encore les enchères de sa tête mise à prix : après la première « libération » de Tuco et le premier partage, s’ensuit un débat avec Blondin sur celui qui mérite le plus selon les risques encourus, entre celui qui a la corde au cou et celui qui tire dessus. Puis Blondin abandonne Tuco et l’accuse d’ingratitude. Il y a également Angel Eyes, Sentenza qui « finit toujours le travail pour lequel on le paie » comme nous l’avions vu : il respecte les contrats qu’on lui donne et tue la victime et le commanditaire parce que les deux l’ont payé. Tuco fait évaluer puis payer au marchand d’armes le pistolet qu’il a confectionné en le volant.
Que signifient donc ces jeux de contrats et d’évaluations constantes ? Pour qu’il y ait délibération et recherche d’une décision juste, il faut qu’il y ait une zone d’indécision engendrant potentiellement un conflit ou du moins des visions, des versions contradictoires inconciliables dont on cherche l’issue la plus équitable. Or, le méchant émerge au cœur de ces moments indécis ; il est dans une position médiane où se combine et s’engendre la tension d’un partage entre différents pôles inconciliables ; il survient au moment crucial des oppositions, il est aussi en même temps le témoin des conflits comme on le voit avec Tuco et Blondin qui, plus ou moins médusés, regardent en spectateurs étrangers et incrédules la bataille entre Nordistes et Sudistes pour un pont « à peine indiqué sur une carte ».
Aussi erre-t-il sans attaches réelles, il est un « vagabond » comme se définit Tuco après avoir quitté le monastère de son frère. Encore une fois, ce n’est pas le fonctionnaire interdépendant comme un rouage, l’animal, le scélérat ou le monstre diabolique, mais le zéro indifférencié qui accompagne et situe, qui donne forme en prenant forme parce qu’il a la plasticité d’un vide rempli et s’emplissant en fonction des circonstances et des limites. Le fait de respecter son contrat au sens de la Brute, c’est qu’il supprime la victime et son commanditaire, il se place ainsi comme et selon la force d’une position qui supprime, tout en établissant les deux, et en cela, il agit de l’extérieur selon une impartiale équivalence : la Brute devient alors ce miroir entre la victime et son commanditaire, et il les renvoie à leurs limites : la mort qu’ils ont tous deux commandé les condamne. Le méchant relativise, c’est-à-dire diminue la valeur singulière d’une personne en la mettant en relation, en comparaison avec une autre qui n’a souvent et normalement pas de rapport : Blondin le fait lui-même lors de sa première scène lorsqu’il « délivre » Tuco des chasseurs de prime qui l’évaluent selon l’affiche et la récompense ; il entre alors en jeu en disant : « Mais toi tu n’as pas la tête de celui qui le...
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