Envie de participer ?
Bandeau

Un des traits les plus marquants de l’Occupation de 1914-1918 dans les descriptions qu’en donnent ceux qui l’ont vécue, à côté de l’obsédante disette, est l’arsenal répressif auquel les autorités occupantes ont soumis la population locale. La longueur, l’ampleur et l’extension de la guerre ont en effet conduit l’appareil militaire allemand à développer les moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité de l’armée sur ses arrières. Ce dispositif sécuritaire a en réalité étendu son emprise sur une population civile et un sol étrangers. Devenu un instrument des politiques de maintien de l’ordre, mais aussi d’exploitation du pays occupé, il s’est imposé comme outil de régulation des relations entre militaires occupants et civils occupés.

Bien qu’il soit souvent évoqué par l’historiographie, cet appareil répressif reste à vrai dire assez mal connu. Les chercheurs belges et français qui ont abordé la question l’ont fait uniquement sur base de sources autochtones et très rarement en le plaçant au centre de leurs préoccupations. L’historiographie allemande elle-même a totalement négligé ce domaine, alors qu’elle est pleinement engagée dans l’étude détaillée du phénomène répressif lors de la période nazie et du conflit suivant. La question de la comparaison et des généalogies entre les logiques sécuritaires à l’œuvre lors des deux conflits mérite pourtant que l’on s’y attarde.

Cette contribution entend donc explorer la manière dont le système répressif allemand s’est organisé au niveau local, en l’occurrence dans l’arrondissement de Mons, en prenant comme point de départ l’action des polices secrètes allemandes. Nous abordons la nature, les méthodes et l’organisation de ces polices, ainsi que les résultats obtenus sur le terrain et leur effet sur la vie des occupés. Ces polices ne peuvent cependant être envisagées que comme une pièce au sein d’une mécanique plus complexe, qui comprend aussi les autres organismes policiers, les juridictions militaires et le système carcéral, autant d’aspects qui retiennent également notre attention.

Précisons que les limites géographiques de notre propos sont celles de l’arrondissement administratif de Mons plutôt que celles - plus étendues - de l’ancien arrondissement judiciaire de Mons qui constitue le fil rouge de cet ouvrage. La raison en est que l’architecture occupante s’est en partie calquée sur le découpage administratif belge, et pas sur le découpage judiciaire. Or, c’est principalement le point de vue de l’occupant que nous adoptons ici. La zone étudiée est donc une aire de 611 km2, peuplée de 263 000 habitants en 1917. La densité de population est particulièrement importante à Mons, cité bourgeoise et cœur administratif et commercial de la région, et dans le Borinage, dominé par la population ouvrière. Les communes de la périphérie de l’arrondissement, principalement au sud et à l’ouest, le long de la frontière française, ont par contre un profil nettement plus rural.

Cet objectif d’éclairer le fonctionnement du système répressif allemand ne peut cependant pas faire fi des sources autochtones, ne fût-ce que parce que les archives allemandes de l’Occupation ont été en grande partie détruites, notamment celles concernant la police secrète et les tribunaux du gouvernement-général. En outre, les importants reliquats qui ont été conservés restent à ce jour sous-exploités.

Lire aussi: Informations détaillées sur l'établissement à Chambéry

Les Exactions Initiales et la Mise en Place de la Surveillance

Lors de la bataille de Mons des 23 et 24 août 1914, qui oppose pour la première fois l’armée britannique et l’armée allemande, les exactions commises par les envahisseurs contre la population civile sont nombreuses dans l’arrondissement de Mons. Elles sont particulièrement violentes à Nimy, Mons, Flénu, Jemappes, Quaregnon et Ville-Pommeroeul ; la 1. Armee du général von Kluck passe par les armes des dizaines de civils, en utilise d’autres comme boucliers humains et détruit des centaines de bâtiments. Ces actions sont censées servir de représailles aux attaques de prétendus francs-tireurs, grande obsession de l’armée allemande au cours des premières semaines de la guerre. La plupart des exécutions de civils à ce moment sont commises en l’absence de toute procédure judiciaire. Elles sont perpétrées dans le feu de l’action, ou dans le sillage immédiat de celle-ci. Si condamnation à mort il y a, elle résulte alors d’un simulacre judiciaire expéditif.

On peut supposer que le déferlement de violence a largement dissuadé la population locale d’entreprendre quoi que ce soit contre l’armée allemande au lendemain de la bataille. Si cela ne devait pas suffire, les différents corps d’armée allemands disposent d’unités de la Feldgendarmerie, la police militaire allemande, chargées du maintien de l’ordre au sein des unités et dans la zone sous leur autorité. Chaque armée allemande dispose aussi dans ses bagages d’un petit corps spécialisé de policiers professionnels, la Geheime Feldpolizei (police secrète en campagne ; GFP), détachés auprès de la troupe pour lutter contre les éventuelles menées clandestines qui pourraient la menacer, et plus particulièrement contre d’éventuels espions. À cette fin, la 1. Armee bénéficie, au même titre que ses six consœurs du front Ouest, d’un Feldpolizeikommissar assisté de six Feldpolizeibeamte. Le premier, le commissaire Wennrich, a été détaché de la police criminelle d’Essen, notamment du fait de sa connaissance du français.

Étant donné la vitesse à laquelle la 1. Armee a continué sa route vers Paris, il est assez probable que les policiers allemands ne se soient guère attardés dans la région de Mons. À vrai dire, la surveillance du Borinage semble assez peu serrée durant les premières semaines de l’Occupation. De nombreux soldats britanniques égarés après la bataille de Mons, ainsi que des militaires français parvenus à s’extirper du siège de Maubeuge sont en effet cachés par des civils belges. Quelques-uns prennent même l’initiative de les guider à travers le Hainaut occidental afin de leur faire regagner les lignes alliées avec armes et bagages. Sans doute sont-ils quelques centaines à quitter la zone occupée en profitant du flou existant sur le flanc ouest des armées allemandes durant les premières semaines de septembre, avant que la stabilisation du front et l’affermissement du contrôle allemand sur la région ne referment la nasse.

Les autorités allemandes sont bien conscientes de la présence de ces soldats « perdus », ou pour mieux dire pour beaucoup d’entre eux « occultés » avec la complicité d’autochtones, et multiplient les menaces, notamment par voie d’affiche, en vue d’obtenir leur reddition. L’espionnage est aussi une des préoccupations constantes de l’armée allemande. Elle se traduit notamment par les mesures prises contre les pigeons. Dès le 2 septembre 1914, l’autorité militaire décide de réquisitionner en masse les colombins domestiques pour servir au ravitaillement des troupes. Le jour même, 1542 pigeons sont tués et distribués aux ambulances de la région pour nourrir les blessés des deux camps. Les colombophiles, nombreux dans la région, sont atterrés.

Organisation de la Police Secrète Allemande

La fin de la guerre de mouvement et l’entrée dans la guerre longue obligent les autorités allemandes à prendre des mesures en vue d’affermir le contrôle exercé sur le pays. Sur les arrières du front, la sécurité reste du ressort des armées elles-mêmes, mais dans la zone d’occupation, qui comprend l’arrondissement de Mons, le gouvernement-général a tout pouvoir de prendre les mesures qu’il estimerait nécessaires à cette fin. À la fin du mois de décembre 1914, il se dote d’une police secrète, principalement chargée d’assurer le contre-espionnage et la police politique sur l’ensemble du territoire de son ressort : la Zentralpolizeistelle. Celle-ci forme la section I.d de l’état-major du gouvernement-général. Elle établit ses quartiers en plein cœur de Bruxelles, au 10 rue de la Loi, dans des locaux précédemment affectés à la Chambre des Représentants.

Lire aussi: Chevaliers Tireurs : Récit complet

Afin d’assurer un quadrillage serré du pays, la Zentralpolizeistelle découpe le pays en cinq secteurs, les Polizeiabschnitte, qui à leur tour disposent de quelques bureaux, les Polizeistellen, établis généralement dans des chefs-lieux d’arrondissement. Cette géographie policière ne recouvre par conséquent pas exactement les découpages administratifs ou judiciaires belges, ni même ceux de l’administration du gouvernement-général et de l’administration civile allemande, plus ou moins calqués sur les réalités belges. Les différents niveaux de la police secrète agissent d’ailleurs de manière totalement indépendante des administrations locales, qu’elles soient occupantes ou, a fortiori, occupées. Tout au plus informent-ils les premières des arrestations auxquelles ils procèdent sur le territoire de leur ressort. Les agents secrets allemands n’ont de comptes à rendre qu’à leurs supérieurs au sein de la police secrète, autrement dit, les Polizeistellen s’en remettent aux Polizeiabschnitte, qui elles-mêmes font rapport à la Zentralpolizeistelle. Ce n’est donc qu’au niveau supérieur de la hiérarchie des instances du gouvernement-général que s’exerce un certain contrôle sur les activités de la police secrète.

Au sein de ce dispositif policier, Mons occupe une place importante, puisqu’elle est le siège du Polizeiabschnitt IV, les quatre autres étant installées respectivement à Anvers (I), Liège (II), Namur (III) et Bruxelles (V). Nous savons cependant qu’elle dispose de Polizeistellen à Charleroi, Maubeuge, Tournai et, bien sûr, à Mons. La Polizeistelle de Mons n’est pas mieux documentée que son échelon supérieur.

Mesures de Contrôle et Dénonciations

Le travail de contrôle de la Polizeistelle est facilité par les mesures de contrôle de la population prises par les autorités allemandes, que l’initiative en revienne au gouverneur-général lui-même, au gouverneur militaire du Hainaut, le général-major von Gladiß, ou au Kreischef von Quast, responsable de l’arrondissement de Mons. Ainsi, sur le territoire de ce dernier, la carte d’identité, assortie des données permettant d’identifier le porteur et d’une photographie, devient obligatoire en février 1915 pour toute personne âgée de 16 ans ou plus. À partir de mars 1915, la population masculine en âge de porter les armes est soumise plus spécifiquement à une nouvelle obligation.

Les activités de la police secrète sont également grandement aidées par les dénonciations - souvent anonymes - qui lui sont adressées par des occupés. L’ampleur supposée du phénomène des dénonciations de Belges par leurs propres concitoyens inquiète d’ailleurs certains observateurs locaux. C’est certainement le cas du notaire Adolphe Hambye, observateur attentif et bien informé de la vie locale sous l’Occupation, qui note dès le printemps 1915 dans son journal intime que leur « nombre va en augmentant », et ajoute : « Il est écœurant de constater en ces temps d’épreuves que dans la population Belge, il y a des gens assez vils pour recourir à des procédés aussi lâches en face de l’Occupant. » Les dénonciations ne constituent pas le seul concours autochtone de la Polizeistelle.

Autres Forces de Police et Système Carcéral

La Polizeistelle de Mons peut aussi compter sur les contrôles effectués par la police en uniforme que constitue la Feldgendarmerie, qui installe ses bureaux montois également dans le centre de la ville, au 16 rue d’Havré et aux 37, 39 et 41 rue de la Halle. La présence militaire allemande dans les rues et dans les campagnes est quant à elle assurée d’une manière générale par les bataillons de Landsturm (réservistes de second ordre) des troupes d’occupation. Un certain nombre d’entre eux sont d’ailleurs affectés à la Militärpolizei des différentes Kommandanturen. Contrairement à la Feldgendarmerie, cette dernière n’est pas une police professionnelle, mais plutôt une unité ad hoc accomplissant des tâches de surveillance policière, auxquelles sont affectés des soldats du Landsturm reconnaissables à un simple brassard.

Lire aussi: Plongez dans le passé de l'institution chambérienne de l'Avenue des Chevaliers Tireurs.

Le tableau du système policier allemand serait incomplet sans une mention de la Sittenpolizei, dont une section est officiellement établie à Mons le 6 mars 1915. Cette police est spécialisée dans l’identification et la surveillance des prostituées principalement à des fins sanitaires, c’est-à-dire pour limiter les risques d’infection des soldats allemands par des maladies vénériennes. Les femmes infectées sont enfermées et soumises à un traitement médical forcé, et ce jusqu’à guérison. La Sittenpolizei dispose pour ce faire à partir de mai 1915 d’un centre de traitement vénérien, qui allie dimensions médicales et carcérales.

Dès le 1er novembre 1914, les autorités allemandes prennent possession pour leur propre usage d’une section de la prison de Mons. Les rapports entre les membres du personnel allemand affecté à la « section allemande » de la prison et leurs homologues de l’administration pénitentiaire belge restent longtemps très corrects. Le service de la section allemande est d’ailleurs en partie assuré par le personnel belge, du moins jusqu’en 1915. Il est ensuite réduit aux seuls barbier et bibliothécaire. C’est d’ailleurs le rapport établi après la guerre par ce dernier qui nous permet aujourd’hui d’en connaître les grandes lignes. Les cellules de la section allemande accueillent aussi des soldats allemands poursuivis pour divers délits sanctionnés par le code pénal militaire allemand. Les prévenus belges sont quant à eux généralement soumis au secret pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, selon les nécessités de l’instruction.

tags: #avenue #du #tir #mons #histoire

Post popolari: