Chaque tuerie de masse relance le débat sur le port d'armes, autorisé aux Etats-Unis pour chaque citoyen américain, et très peu contrôlé. Le port d'armes est inscrit dans l'ADN des États-Unis.
«Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé»: le second amendement de la Constitution des États-Unis est le fondement de la défense du port d'armes.
Au même moment, au Texas, le gouvernement vient d'élargir le droit de porter des armes aux étudiants sur les campus de cet État. À partir du 1er août 2016, ceux-ci pourront aller en cours un colt dans la poche arrière de leur jean.
Un des grands arguments des «pro-guns» est le suivant: c'est parce qu'il n'y a pas assez d'armes qu'il y a de la violence. Comme le résume un des slogans favori de la Nationale rifle association, puissant lobby pro-armes à feu: «Comment arrêter un sale mec armé d'un flingue? Avec un bon mec armé d'un flingue».
D'après les partisans des armes à feu, si tout individu était armé, il n'y aurait pas de tueries.
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Avant d'être la défense d'une «liberté», le lobby pro-armes à feu est avant tout la défense d'intérêts juteux. Au pays du dollar, Gun is good for business.
«On ne peut pas faire un massacre à coups de couteau»: ce slogan résume bien la pensée des anti-guns, pour qui il y a une corrélation entre la prolifération des armes à feu et le nombre élévé des meurtres par balles aux États-Unis. 8855 homicides par armes à feu ont eu lieu en 2012 aux Etats-Unis.
«Nous devons admettre le fait que ce type de violence n'arrive pas dans d'autres pays développés, cela n'arrive pas avec la même fréquence», a déclaré Barack Obama après la fusillade de Charleston. En effet, les tueries de masse sont fréquentes aux États-Unis.
Sans aller jusqu'à remettre en cause le droit de porter des armes, certains s'inquiètent de leur prolifération et voudraient mettre en place un contrôle et une régulation plus juste. Aujourd'hui, il y a 88 armes pour 100 habitants aux États-Unis, le taux le plus élevé au monde. Dans certains états, les enfants ont le droit de «jouer» avec des armes à feu.
Ceux qui militent pour la régulation des armes s'appuient sur l'opinion, règulièrement choquée par les tueries de masse. Après la tuerie de Newton, qui avait coûté la vie à 20 enfants abattus par un tueur fou, un sondage constatait une nette augmentation des opinions favorables à un contrôle plus strict des armes: 58% des sondés s'y disaient favorables.
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Fatiguée par ce lobbying s’appuyant sur un vide argumentatif, Amanda Marcotte du magazine Rolling Stone avait « débunké » en 2015, lors d’un précédent drame, quatre de ces idées préconçues qui circulent sur les réseaux sociaux, y compris francophones, pour justifier le libre port des armes à feu.
C’est probablement l’argument le plus courant chez les pro-armes. Il ressort à chaque tuerie de masse pour défendre l’objet ayant permis à des individus dangereux de commettre leur crime avec un maximum de dégâts. L’arme ne serait qu’un simple outil au même titre qu’un marteau ou une pelle.
En pratique, il s’agit d’un sophisme séduisant mais totalement fallacieux, comme l’explique la journaliste : « Cet argument est fantastique pour ceux qui ne savent pas faire la différence entre un mort et une douzaine de morts. Il est vrai, un meurtrier pourrait tuer une personne ou deux avec un couteau avant d’être arrêté.
Ainsi, la question n’est pas de déterminer si la haine existe dans le cœur de telle ou telle personne (ce qui semble inévitable dans toutes les sociétés), mais bien d’éviter d’offrir un accès facile à l’expression meurtrière de cette haine à un instant T.
En effet, si chacun peut admettre que la culture américaine et l’éducation jouent un rôle important dans ces tueries de masse, il n’est pas raisonnable de croire qu’on puisse changer par magie cette culture, alors que le contrôle des armes peut-être un choix immédiat et simple à appliquer.
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La solution concrète, rationnelle et immédiate est donc bien de limiter l’accès aux armes les plus meurtrières comme le font des pays pacifistes comme le Japon. Une solution qui prévient concrètement des décès inutiles en limitant immédiatement le potentiel meurtrier des âmes perturbées.
On imagine ainsi mal un lycéen, sous le coup d’une colère ou d’une frustration, tuer 20 « camarades » avec une simple belle ou son cartable. C’est bien l’arme à feu qui rend la tuerie de masse possible.
Si ce n’était vraiment qu’une question d’individu, de psychologie, et pas d’armement, pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement ? Si on devait pousser la comparaison encore plus loin, au risque de faire soi-même une exagération hasardeuse, faudrait-il mettre à disposition de tous les citoyens des armes nucléaires en espérant que personne ne l’utilise ?
À partir de quel moment une arme devient-elle à ce point dangereuse qu’elle ne devrait pas, au nom de la sécurité de tous, être entre les mains des badauds ? N’est-ce précisément pas le cas pour un certain nombre d’armes à haute cadence de tir, souvent utilisées dans ces massacres ?
La solution miraculeuse se trouverait dans l’armement de tout le monde, avec de potentiels « bons gars » dans le lot. Ceux-ci, ne quittant plus leur arme, y compris les instituteurs en classe, ils seraient en mesure de tuer « les méchants » dans un « happy ending » digne d’un mauvais films Netflix.
Tout ce beau monde semble avoir oublié l’adage : les cimetières sont remplis de héros. « Si vous regardez le monde réel, vous verrez que, loin d’être notre seul espoir, les bons gars avec des fusils ne sont d’aucune aide.
Aucune fusillade dans les 30 dernières années n’a été arrêtée par un civil armé. En 1982, un civil armé a tué avec succès un terroriste, mais seulement après qu’il ait commis son crime. Et ce n’est pas qu’on manque d’armes. Il y a autant d’armes que de gens dans ce pays. Un tiers des habitants sont armés.
Même quand des fusillades se produisent dans des zones armées, où des civils armés sont à proximité, ce scénario d’autodéfense ne fonctionne tout simplement pas », précise Amanda Marcotte.
Pour cause, les USA sont déjà le pays où on trouve le plus d’individus armés dans le monde entier. Pour cause, nous ne vivons pas dans un film hollywoodien et la réalité en cas de fusillade est infiniment plus tragique.
Les civils n’ont généralement ni l’expérience ni le savoir-faire pour gérer une situation de stress où leur vie et celle des autres sont en jeu. Dès lors, de nouveaux échanges de tirs en pleine fusillade ajoutent du tragique au tragique et de la confusion à une situation déjà confuse.
Après chaque fusillade, les opposants au contrôle des armes à feu aiment évoquer le problème des soins de santé mentale, qui sont clairement insuffisants aux USA, pour détourner la question sur un problème humain.
S’il est vrai que la prise en charge des malades est insuffisante dans le pays, rien n’indique que les Républicains (la droite réactionnaire américaine) ne souhaitent s’attaquer politiquement à cette question.
C’est même généralement l’inverse, la politique d’Obama (Démocrate) en matière de sécurité sociale fut vivement critiquée par les Républicains qui préconisent la loi implacable du marché. Donald Trump était d’ailleurs revenu sur toutes les avancées sociales de son prédécesseur, abandonnant les individus à leurs problèmes personnels et économies.
À nouveau, la vente d’armes de guerre est évacuée du débat pour tenter de reporter la responsabilité sur le caractère humain donc individuel, comme dans le cas du premier argument.
Sauf qu’en pratique, la question de la santé mentale reste vague, comme l’explique la journaliste. Tout le monde à sa petite idée de ce qu’est un psychopathe, mais dans la réalité, comment anticiper de tels comportements ?
« Quel est exactement le plan ? Rassembler tout le monde avec un problème de santé mentale et les enfermer ? Cela équivaut à 1 Américain sur 5, la grande majorité d’entre eux n’ayant aucune tendance violente. »
Ainsi, ce déplacement du débat vers le « malade » pourrait être une porte d’entrée vers des lois liberticides et sécuritaires vivant chaque personne jugée « anormale » sans vraiment pouvoir régler le problème.
« Aurons-nous une sorte de vaste registre de santé mentale ? Par ailleurs, les données montrent qu’à peine 23% des tireurs répertoriés avaient un problème mental avéré. 77% des forcenés étaient donc « normaux » aux yeux de la société.
La nature humaine étant complexe, il n’y a aucun moyen fiable de savoir qui, demain, peut prendre une arme et réaliser un massacre. Il en va de même pour les meurtres.
La question de la constitution est évidemment centrale aux États-Unis. Objet de tous les patriotismes, elle se définit comme « loi suprême du pays » et promet prospérité et liberté au peuple.
Dans le monde, c’est l’une, sinon la plus ancienne constitution qui soit encore appliquée. Vingt-sept amendements la constituent, dont un, tout particulièrement, qui pose polémique depuis longtemps : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. » (Deuxième amendement de la Constitution des États-Unis).
Mais entre Républicains et Démocrates, les interprétations de la constitution sont nombreuses. Selon l’interprétation la plus raisonnable, la précision d’une « milice organisée » ne signifie pas que chaque individu a droit à une arme sur lui.
Pour la journaliste, le débat ne se situe pas là, mais dans le contexte temporel : « Voici le bon moment pour rappeler à tous que le deuxième amendement a été écrit par des esclavagistes avant que nous ayons l’électricité, et ne concernait pas les armes que les meurtriers peuvent acheter aujourd’hui. »
Elle précise enfin que les amoureux de cet amendement (écrit en 1791) peuvent également se sentir libres de vivre avec une perruque poudrée, de déféquer dans un pot de chambre tout en essayant de survivre avec ce qu’ils arriveront à tuer grâce à un fusil du 18e siècle. Car les armes de l’époque sont diamétralement différentes de celles d’aujourd’hui.
Les fondateurs n’avaient aucun moyen de s’imaginer que, 200 ans plus tard, il serait possible de s’acheter une arme automatique à haute cadence de tir au coin de la rue.
En France, le port d’armes est strictement encadré par la loi. Le Code de la sécurité intérieure définit plusieurs catégories d’armes et réglemente leur acquisition, détention et utilisation. Pour les particuliers, la possession d’armes de catégorie B nécessite une autorisation préfectorale, accordée sous conditions strictes (pratique du tir sportif, collection). Les armes de catégorie C (certains fusils de chasse par exemple) doivent être déclarées en préfecture. Seules les armes de catégorie D comme certaines armes blanches ou de défense (matraques, bombes lacrymogènes) peuvent être acquises et détenues librement par les majeurs. Ce cadre restrictif vise à limiter la circulation des armes dans la société.
La légitime défense est un concept juridique central dans le débat sur le port d’armes. La jurisprudence interprète ces critères de manière restrictive. Le principe de proportionnalité est particulièrement important : l’usage d’une arme face à une agression sans arme sera rarement jugé proportionné. Cette conception stricte vise à éviter les débordements et à maintenir le monopole de la violence légitime entre les mains de l’État.
Certains plaident pour un assouplissement de la législation sur le port d’armes, notamment dans un but d’autodéfense. Le droit à la sécurité : ils considèrent que l’État ne peut garantir une protection totale des citoyens face à la criminalité. L’effet dissuasif : la possibilité pour les citoyens d’être armés découragerait les criminels et réduirait ainsi la délinquance.
L’augmentation des accidents : la présence accrue d’armes dans la société multiplierait les risques d’accidents domestiques, notamment impliquant des enfants. L’escalade de la violence : la possibilité d’être confronté à une personne armée pourrait pousser les criminels à s’armer davantage, créant une spirale de la violence. Les dérives sécuritaires : le port d’arme généralisé pourrait alimenter un climat de méfiance et de peur, nuisible à la cohésion sociale. Ces opposants considèrent que la sécurité des citoyens doit rester la prérogative de l’État et des forces de l’ordre professionnelles.
À court terme, un assouplissement radical semble peu probable. La tradition juridique française reste attachée à une conception restrictive du port d’armes et de la légitime défense.
Les États-Unis, ce pays de tous les records… Mais il y a un record dont les habitants aimeraient se passer : celui du nombre de fusillades de masse qui, chaque année, emportent les vies d’innocents qui étaient au mauvais endroit, au mauvais moment.
Cette dernière tuerie de masse prend des airs de simple statistique alors que les drames s’enchaînent semaines après semaines. Nous sommes à la moitié de l’année 2022, et plus de 200 tueries de masse ont déjà eu lieu aux États-Unis selon l’observatoire Gun Violence Archive. 27 écoles ont été la cible d’une attaque à main armée au cours des 6 derniers mois seulement… C’est plus d’une école attaquée par semaine. Les chiffres ne mentent pas. Ils sont même en constante augmentation. La problématique est réelle et ne peut-être camouflée par quelques pirouettes sémantiques.
En parallèle, le très puissant lobby américain de l’armement, voguant sur une culture de la liberté totale couplée à un historique guerrier, « conspire » en haute sphère à ce que le port d’armes reste un droit fondamental dans de nombreux États, usant de tous les subterfuges intellectuels. Il faut l’avouer, l’enjeu économique est colossal.
Le 14 mai, le pays a été secoué par la tuerie de Buffalo. Dix personnes, dont une majorité d’Afro-Américains, ont été abattues par un jeune suprématiste blanc de 18 ans. Le 24 mai, un autre jeune de 18 ans a tué 21 personnes (dont 19 enfants) dans une école d’Uvalde au Texas. Le 1er juin, un homme d’une trentaine d’années a tué au moins quatre personnes dans un hôpital de Tulsa, dans l’Oklahoma. Le 9, une autre tuerie a provoqué la mort de trois personnes à Smithburg dans le Maryland.
En 2017, le lobbying pour les droits des armes à feu s’élevait à 10 millions de dollars, tandis que celui pour le contrôle des armes à feu peine à atteindre deux millions.
La Covid a favorisé l’isolement et la prise de position sur de nombreuses questions et a ainsi divisé les concitoyens. Or, lorsque l’empathie pour les autres citoyens décline, la criminalité augmente. En effet, d’après Gallup, 80 % des citoyens ne sont pas satisfaits par la direction du pays pendant la pandémie.
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