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ECSDM : ce sigle ne vous dit probablement rien mais les étudiants en médecine le connaissent par cœur. Une page pour rire, décompresser ou s’entraider, animée par un interne en médecine générale de 25 ans bien décidé à faire respecter les droits des carabins. Rencontre avec la nouvelle bête noire des directeurs d’hôpitaux.

Le Parcours d'un Carabin Engagé

“Au collège, je voulais être pilote de chasse. Je collectionnais les maquettes d’avion.” Raté. Trahi par ses yeux, le jeune ECSDM*, fils de soldat, voit son rêve de gosse s’envoler. Mais le médecin militaire qui vient de doucher ses espoirs lui ouvre de nouveaux horizons : ce sera la médecine.

Arrivé en Paces, l’ancien élève “branleur” et “insupportable“, qui avait pour habitude de faire ses devoirs “sur les escaliers devant le lycée”, se prend “une grosse claque”. “Je n’étais pas habitué à ce rythme de travail. Les premières semaines, je pensais travailler mais en fait je faisais semblant”, confesse-t-il.

Alors qu’il est à la traine, en octobre, sa mère, assistante maternelle, tape du poing sur la table. “Elle m’a dit : ‘j’ai investi sur toi, j’ai pris du temps pour toi, j’ai dépensé de l’argent pour toi, et je ne t’ai jamais rien demandé”, se souvient-il. Le revirement s’opère “en une semaine“.

Loin de partir favori, ECSDM déjoue tous les pronostics : il vient d’un “quartier difficile“, ses parents ne sont pas médecins -”ils n’ont même pas le brevet des collèges“- il n’a pas les moyens de se payer une prépa privée et pourtant, il réussit le concours du premier coup.

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La 2ème année de médecine est une révélation : fini le bachotage et “la mentalité ‘on écrase les autres”, il peut enfin “mettre les mains dans la médecine” et profiter de son statut d’étudiant : “J’ai rejoint la corpo, je me suis fait un groupe de copains avec lesquels on rigolait bien (encore aujourd’hui d’ailleurs), j’étais élu étudiant.”

Tout en donnant des cours particuliers de maths-physique-chimie pour le compte d’une association, le carabin bataille pour développer le tutorat dans sa fac. “Les prépas privées, ça ne devrait même pas exister.

L’externat est une nouvelle douche froide. “C’est comme si t’étais en vacances et qu’on te mettait aux travaux forcés!” raille-t-il. La découverte de l’hôpital public, qu’il qualifie de “terrible, dégoûtant“, va jusqu’à remettre en cause sa vocation. “Il y a des soirs où je rentrais chez moi et je pleurais.”

Ecole d’ingénieur, concours de gendarmerie, pilote de ligne, enseignement… ECSDM se met désespérément en quête d’une porte de sortie. C’est sa mère, encore une fois, qui intervient pour le maintenir sur le droit chemin. “Elle m’a dit que c’était dommage, vu le chemin déjà parcouru… et au final, elle avait raison.

Après avoir beaucoup gambergé, ECSDM a finalement opté pour la médecine générale, qu’il a découverte en 5ème année, lors d’un stage dans un cabinet. “J’aimais bien la cardiologie et la chirurgie digestive, mais ça demande beaucoup de temps à l’hôpital et j’étais tellement écœuré que je ne voulais pas.

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Son premier semestre d’internat aux urgences d’un centre de lutte contre le cancer le réconcilie un peu avec l’exercice hospitalier. “La formation est vraiment exceptionnelle. Ça n’a rien à voir avec l’hôpital public : on n’est pas en sous-effectif, je ne suis pas exploité, j’ai des horaires, je suis très bien encadré, il y a toujours un senior avec moi, qui est disponible en cas de doute.

Le plus triste, c’est que ces gens-là ne sont pas des personnels universitaires. C’est paradoxal d’être mieux encadré par des gens qui n’ont pas vocation à encadrer que par des gens qui reçoivent un salaire pour ça.” En mai, il effectuera son stage au cabinet de médecine générale et pourra enfin “retoucher du doigt la spécialité”.

Entre deux gardes, ECSDM participe à des groupes de débat. Politique, philosophie, éthique, écologie… l’interne a un avis sur tout. “J’ai besoin que mon cerveau fonctionne en permanence. J’ai deux ennemis : la solitude et l’ennui”, nous dit-il. C’est sans doute ce qui explique cet attrait pour les réseaux sociaux. En une heure d’interview, l’interne a reçu pas moins de 174 notifications.

ECSDM et la Création d' "Et ça se dit médecin"

Tout a commencé en deuxième année d’externat. “Et ça se dit breton”, “Et ça se dit catho”… surfant sur l’identité communautaire, les pages de ce genre se multiplient comme des petits pains. C’est ainsi qu’il créé “Et ça se dit médecin” (=ECSDM).

“Je publiais des photos et des mèmes* du genre ‘ça fait pas de gâteau et ça veut valider son stage’ ou ‘ça ne se présente pas aux infirmières et ça veut survivre’. La première semaine, j’avais zéro abonné, même pas moi”, se souvient-il, encore surpris par son succès. Puis “une jeune fille blonde” se met à “liker” toutes ses publications, rapidement suivie par ses amis et les amis de ses amis. “Il faudrait que la retrouve, c’est mon patient zéro”, s’amuse-t-il.

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Un succès qui attise les convoitises. “Je rassemble la quasi-totalité des étudiants de Paces, j’atteins 150 000 à 200 000 personnes, alors forcément pour eux ce serait très rentable.” Refus catégorique. “Je ne fais pas ça pour l’argent”, assure-t-il. L’interne n’accepte par ailleurs aucune publicité sur Instagram, réseau sur lequel il se livre davantage : il partage son quotidien en stage, publie des selfies avec ses fans… tout en cachant son visage derrière un smiley.

Dénonciation et Engagement Social

Un rôle de lanceur d’alerte qu’il assume de plus en plus. Au début du mois, le carabin a publié des photos prises au centre de régulation du Samu 29, où les externes dormiraient à même le sol lors des gardes, à quelques centimètres des postes. “Empêcher quelqu’un de dormir, c’est de la torture, lance-t-il. Ça m’énerve, je ne supporte pas la maltraitance, l’injustice. Personne ne devrait avoir à dormir par terre, encore moins dans un hôpital où on travaille.

Tâches ingrates, conditions de formation indignes, humiliations … “Ma boite de réception est pleine de témoignages de ce genre. J’oriente vers les élus étudiants, voire vers la police pour ceux qui ne relèvent plus de la pédagogie, mais de la justice”, fulmine-t-il. “Nous les étudiants en médecine, on est une population fragile, dans le sens où on n’ose pas parler, on est formaté.

A l’instar de Vie de carabin, l’un de ses modèles, ECSDM est devenu la bête noire de certaines administrations hospitalières, qui vont jusqu’à brandir la menace de poursuites judiciaires. “Je m’en fous. Je ne vise pas de postes d’assistant ou de PU-PH. J’ai ma liberté, je n’ai de comptes à rendre à personne“, répond-t-il.

Ce qui l’indigne, en revanche, c’est que les hiérarchies n’hésitent pas à “faire pression” sur les étudiants concernés de près ou de loin par ses publications. “Dans ces cas-là, je supprime la photo… Mais au bout d’un moment, je vais me blinder contre ça et arrêter de le faire. Une “omerta” qui révolte cet ancien élu étudiant “grande gueule”.

“De par mon vécu, je n’ai pas peur de dénoncer. Un assistant à qui j’avais dit que je n’étais pas sa secrétaire avait menacé de ne pas valider mon stage. Je l’ai attendu à la sortie. Finalement il n’a pas osé sortir. Je n’aurais pas dû réagir comme ça… mais mon stage a été validé et mes co-externes n’ont plus eu à faire de secrétariat, raconte-t-il.

Sans surprise, c’est donc vers la médecine de ville qu’ECSDM se dirige. “Si je peux, j’exercerai en zone sous-dotée. Je dis ça parce que je n’ai pas d’attaches… Si d’ici là, j’ai une femme et des gosses, je ne vais pas m’installer dans un village où la première école est à 30 km, forcément“, annonce-t-il. Salariat ou libéral ? La question n’est pas tranchée, mais ce n’est pas la rémunération qui fera la pencher la balance.

“Faire médecine pour l’argent, ce n’est pas une bonne idée, ironise-t-il. Si t’as envie de faire l’argent, tu fais comme mon frère, tu fais ingénieur : il a un an de moins que moi et il gagne 6 fois mon salaire. Clairement, on ne fait pas ce métier pour le salaire ni pour les conditions d’exercice.

Témoignages et Réflexions sur la Vie de Carabin

Les étudiants en médecine partagent leurs expériences, souvent marquées par des injustices et des conditions difficiles. Voici quelques extraits de discussions:

  • "La plupart des infirmières, c'est des p... frustrées qui ont pas réussi med, donc qui te pourrissent ta vie de médecin. J'ai bien dit la plupart... Y 'en a des très sympas... mais c'est comme les baleines ou les aigles, des espèces en voie de disparition.Et le pire, c'est les vieilles qui supportent pas qu'un jeunot d'à peine 25 ans soit prescripteur !!!"
  • "Parmi les infirmières, il y en a qui sont de vraies connasses qui prennent un malin plaisir à te rendre la vie plus chouette!!!!à nantes la palme d'or revient au service de dermato, qui -je me demande comment ils font-recrutent que des chieuses de première."
  • "Ca fait vraiment plaisir de savoir quelle est leur vision de l'infirmière!! Et ils oublient pas les AS !!! j'ai ai croisé de tous genres : des connes, des intelligentes, des compétentes, des merdes, des vieilles, des jeunes, des épanouies et des visiblement frustrées."

Ces témoignages reflètent une réalité souvent dure et conflictuelle, où la collaboration entre les différents corps de métier est parfois mise à mal.

Vie de Carabin : La BD qui Dénonce

Dans le dernier tome de Vie de Carabin, l'interne Védécé se voit contraint, après le suicide de deux médecins, d'effectuer son dernier stage au Samu. Il débarque dans un univers mouvementé où il doit rapidement apprendre à faire le tri entre vraies et fausses urgences.

Védécé : Non, ça ne va pas mieux. Il y a une dichotomie entre le son de cloche du Gouvernement, la parole publique, et la réalité de terrain. C'est de la communication. Il n'y a eu aucun changement, et ce n'est pas seulement moi qui le dis mais la quasi-totalité des professionnels de santé. On arrive à un stade où il faudrait renverser la table et tout reconstruire. Ce ne sont pas des mesurettes qui vont régler le problème. Le Ségur a été un pansement sur une hémorragie.

Pour le côté hôpital délabré… Il faut remettre dans le contexte : c'est une bande dessinée pas une photo. Mais il n'y a rien qui est inventé : le crépi qui tombe des murs, les mégots de cigarette, les tags, les souris… tout ça c'est du vu et revu. J'ai même pris une photo d'affiche "dératisation la semaine prochaine" que je montre de temps en temps pour montrer l'état de l'hôpital. Les bâtiments sont vétustes, complètement laissés dans leur jus. Il faudrait reconstruire en repartant de zéro.

Le 15 est déjà débordé, les surcharger encore davantage, ce n'est pas une solution ! J'évoque la nécessité de responsabiliser chacun pour réguler un petit peu… Mais la solution, c'est de se donner les moyens face aux besoins qui augmentent. Jusqu'à présent, ça tenait sur la vocation des professionnels qui compensait le manque de moyens. Mais pour beaucoup de soignants, le Covid a été la goutte d'eau. Ils ont vu qu'après les applaudissements, rien n'avait changé. Beaucoup sont partis, voire ont complètement changé de branche et ont quitté le soin. On a atteint le maximum de ce que peut supporter le personnel soignant.

Les dessins sont très travaillés. Le temps, c'est justement la raison pour laquelle désormais je travaille avec ChullyBunny, une dessinatrice. J'étais arrivé à un stade où je voulais avoir un peu d'ambition, m'améliorer, mais je n'avais pas le temps nécessaire.

Il est beaucoup plus difficile de parler d'un sujet sereinement. D'ailleurs, parfois je rediffuse un dessin et je me retrouve avec une polémique alors qu'il y a 4 ans c'était passé comme une lettre à la poste et tout le monde avait rigolé. On a beau faire attention, il y aura toujours des polémiques. Tant que ça reste au stade de la critique, ça va. C'est plus embêtant quand ça devient insultant ou menaçant.

Expériences Personnelles et Sexisme

Une étudiante raconte son expérience, marquée par le sexisme et les agressions :

Deuxième année: Je viens d’avoir 18 ans et d’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours voulu devenir médecin. La première année n’a pas été simple, mais j’ai pu compter sur le soutien de mes proches et de mes amis de lycée pour réussir le concours.

Il est d’usage pour les nouveaux admis d’être « parrainés » par les 3e années, afin de les initier aux us et coutumes carabins. Les filles sont parrainées par les garçons et vice versa. Pour créer ces paires, un questionnaire circule au sein de la promo. Parmi les questions me viennent pêle-mêle : le tour de poitrine, la position sexuelle favorite et le nombre de partenaires.

Quelques jours plus tard, pour financer le bureau des étudiants, toute la promo est envoyée vendre des gâteaux en centre-ville, dans des déguisements soigneusement choisis par ces fameux « parrains ». Prostituée. J’accepte de porter cette tenue pour le moins dévêtue sans broncher, ça fait partie du folklore. Et puis, j’ai la chance d’avoir un long manteau qui me permet de me camoufler.

Par un jour pluvieux d’octobre, vient le fameux « WEI » : le weekend d’intégration. Autrement dit un weekend où les 3e années peuvent humilier les 2e année en toute légitimité. Plusieurs bus sont affrétés pour amener les quelques 400 étudiants sur le lieux. Les réjouissances commencent sur le trajet : on demande aux candidates à la couronne de « Miss Chaudière » de se mettre « à poil ».

A l’arrivée, après quelques animations bon enfant, commence le parcours du combattant des bizuths : jets de farine, lait, nourriture pour chien, ingestion d’alcool, d’huile, café ou autres pour nous faire vomir. Les plus récalcitrants auront le droit à un lavement rectal, ou à leur pénis dans la moutarde.

Mon parrain, très alcoolisé lui aussi, vient me voir pour me demander si je veux passer « un moment ensemble ». Contre des poubelles, il me plaque, m’embrasse et baisse mon pantalon. Je ne réagis pas, j’ai le cerveau embrumé. Il force mais ça ne passe pas, c’est un peu douloureux. Puis me vient une pensée absurde : au moins ce sera fait, je ne serai plus vierge.

Je retrouve les autres à l’intérieur, je souris. Il m’aime bien, je ne suis plus vierge, il n’y a pas de drame finalement. La soirée touche à sa fin, c’est déjà le matin. On fait le chemin ensemble pour regagner nos tentes. Il me demande si « il ne m’a pas fait trop mal » et si « il peut me toucher les seins ».

Le lendemain l’alcool redescend. Je commence à réaliser ce qui s’est passé. J’ai mal, j’ai honte, je saigne un peu. Je confronte plusieurs fois mon parrain qui finit par sortir un rageux « bon ça va, je t’ai pas violée !». Le mot est lâché, mais pas par moi. Je n’avais jamais envisagé l’évènement sous cet angle, et d’ailleurs je ne savais pas comment le qualifier.

Quatrième année : C’est le début des stages d’externat, direction la chirurgie viscérale. On entend les bruits de couloirs, on sait qu’un chirurgien a les mains baladeuses et aime se frotter aux étudiantes au bloc sous prétexte de montrer les gestes techniques.

Lors d’une opération d’une tumeur du pancréas, il demande à l’interne de toucher la masse. « Tu aimes quand c’est long et dur, hein ? ». Elle veut devenir chirurgienne, pas moi. Elle rit, pas moi.

Quelques années plus tard une étudiante portera plainte contre lui pour agression sexuelle. On découvrira qu’une patiente avait également été victime mais l’affaire avait été étouffée par la direction hospitalière et réglée à l’amiable. Le vice-doyen défendra jusqu’au bout son confrère au motif que « c’est un bon médecin ».

Sixième année : Stage de réanimation chirurgicale, le dernier avant le concours de l’internat. L’équipe est accueillante, c’est émotionnellement difficile mais passionnant. De garde, le chirurgien plasticien vient donner un avis. Il rentre dans la chambre de la patiente et lance à la volée « je te connais pas toi, t’es mignonne dis donc, t’as un mec ? ».

Etudiants, nous sommes constamment jugés sur notre participation au folklore. Ces comportements sont sans cesse encouragés et valorisés. La non-adhésion vaut exclusion tacite du club fermé de l’élite médicale. Puis il y a « l’omerta ».

Voilà comment, de petites phrases « anodines » en petits gestes « anodins » on construit une mentalité, une rhétorique, qui nourrit l’esprit carabin et la domination masculine et permet à certains de s’autoriser le pire. Voilà comment on brise des vies et des carrières. Et il n’y a pas que les étudiantes en médecine : les infirmières, aides-soignantes, secrétaires subissent le même sort.

Anonymat et Liberté de Ton

Le Point : Pourquoi tenez-vous tant à votre anonymat ?

Védécé : C'est une manière efficace de garantir ma liberté de ton. Je peux témoigner de ma vie et de mes expériences sans risquer de me faire taper sur les doigts. Au début, j'étais certain d'être démasqué à cause de ma description des conditions de vie dans l'hôpital. En réalité, j'ai eu énormément de témoignages d'autres étudiants en médecine, un peu partout en France, qui me disaient : « Ce que vous décrivez correspond exactement à ce que je vis. » Même si, aujourd'hui, les langues commencent un peu à se délier, la médecine reste un milieu où règne une certaine omerta. Si l'un de nous sort trop du rang, il risque de se faire rappeler rapidement à l'ordre et de se faire sanctionner. Je garde donc précieusement mon anonymat.

Si on lit votre BD, entre les gardes et la rédaction de votre thèse, vous travaillez quatre-vingts heures par semaine. Comment arrivez-vous à dégager du temps pour votre ouvrage ?

Quand quelque chose d'intéressant m'arrive dans la journée, je le note sur mon téléphone. Tout ce que je raconte dans mes livres est inspiré de mon expérience. Même des scènes très choquantes ou délirantes. Il faut dire qu'il y a matière !

Avez-vous l'impression que la situation à l'hôpital s'est dégradée depuis le premier tome de votre BD ?

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