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Je vous propose d’étudier le premier chapitre de Jacques le Fataliste, le roman de Diderot. Roman, c’est un grand mot ! Ce genre est complètement bouleversé par l’écriture de Diderot, qui va affirmer sa liberté d’écrivain face à un lecteur dérouté.

Un Incipit Déroutant

L’incipit de Jacques de fataliste est déroutant. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ?

Le Narrateur et le Lecteur : Un Dialogue Inattendu

Dès les premières lignes, qui nous sont données ici, le lecteur est dérouté : loin des conventions narratives traditionnelles, Diderot s’engage dans un dialogue avec son lecteur et ne cessera d’interrompre la narration. En ce début de roman, la relation entre le narrateur et le lecteur est essentielle. Dès la première phrase, alors même que nous ne connaissons que le titre, il donne la parole au lecteur : “Comment s’étaient-ils rencontrés ?” (l.1) Ensuite il s’adresse directement au lecteur à la deuxième personne du pluriel, mais ce n’est pas pour lui répondre : “Que vous importe ?” (l.2)

En répondant ainsi à son lecteur, sur le sujet même de l’écriture de son texte, Diderot auteur s’identifie au narrateur et brise l’illusion romanesque en assumant la posture du dialogue mondain avec le lecteur. Diderot narrateur s’efface dans la deuxième partie du texte pour laisser parler ses personnages, mais il reprend son rôle de conteur à la toute fin du passage : “Jacques commença l’histoire de ses amours” (l.36) Dès ce moment-là, il brise à nouveau l’illusion romanesque : “Vous voyez, cher lecteur, que je suis en beau chemin” (l.41) en affirmant qu’il invente cette histoire au fur et à mesure, il empêche le lecteur de se plonger dans le récit.

Remise en Question des Conventions Romanesques

C’est vrai qu’au XVIIIe siècle, les écrivains jouent beaucoup avec l’illusion romanesque, les histoires sont complexifiées, parfois imbriquées. Cependant, le lecteur a toujours en tête des thèmes et des modes de narration attendus. Le roman épique va raconter des actions héroïques, le roman picaresque parle de voyages et d’aventures, le roman d’amour met en scène des personnages qui répondent à certains stéréotypes, etc. Diderot va mélanger les thèmes et détourner les attentes du lecteur pour le simple plaisir de jouer avec les codes.

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En ce début de roman, le lecteur s’attend à avoir des informations fondamentales : qui, où, quand. Quels sont les personnages, quel est le cadre spatio-temporel du récit ? Le narrateur va se faire un malin plaisir de nous refuser ces informations. “Comment s’étaient-ils rencontrés ?” (l.1) Le récit commence par une question sur les deux personnages, que le lecteur ne connaît pour l’instant que par le titre. Mais le narrateur ne répond pas : “par hasard, comme tout le monde” (l.1) la réponse est une non-réponse, elle tombe à côté des attentes du lecteur, qui demande en fait les circonstances, et tout ce qui fait habituellement une histoire intéressante. Nous n’avons aucune information sur les personnages : “comment s’appelaient-ils ?” (l.2) le maître n’a pas de nom, et Jacques a justement le nom le plus commun pour un valet.

Pour le cadre spatio-temporel maintenant : “D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain” (l.2) nous avons le même type de non-réponse, qui vaut pour tout le monde, et n’a donc pas de valeur dans un roman. Par ailleurs, le narrateur répond aux questions par des questions : “que vous importe ?” (l.2) ou encore “est-ce que l’on sait où l’on va ?” (l.3) On voit que le motif du fatalisme structure déjà les questions posées : d’où l’on vient, ce sont les causes ; où l’on va, ce sont les conséquences.

Le Fatalisme et la Liberté : Un Jeu Complexe

Le sujet philosophique du fatalisme, qui est présent dès le titre et les premières paroles de Jacques, va servir de prétexte pour jouer avec le destin des personnages. Cela va nous amener à réfléchir à la liberté de l’écrivain, de ses personnages, mais aussi à celle du lecteur. Jacques formule la théorie fataliste dès les premières lignes : “tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici bas est écrit là-haut” (l.5-6). Qu’est-ce que cela signifie ? Derrière le fatalisme, il y a la notion de déterminisme : tout événement est provoqué par une série de causes. Le fatalisme pousse la logique jusqu’au bout, en considérant qu’alors tout ce qui a lieu était en fait inévitable dès l’origine du monde. Le fatalisme remet en cause la liberté humaine.

Cependant Diderot se moque du point de vue de Jacques, dont les raisonnements sont figés dans une même formule qu’il ne cesse de répéter. Diderot utilise l’écriture même du roman pour amener le lecteur à réfléchir de manière plus profonde. Il interroge l’écriture du destin en nous donnant à voir l’écriture en train de se faire. “Est-ce que l’on sait où l’on va ?” (l.3) annonce bien dès le début, que si le destin est écrit, il reste imprévisible.

Face au déterminisme de Jacques, qui affirme que « tout est écrit là-haut », Diderot fait figure de Dieu tout-puissant qui, depuis « là-haut », dirige ses personnages comme il le désire. A la fin de l’incipit, lors de sa deuxième intervention, Diderot expose au lecteur tous les possibles de la suite des aventures de Jacques et son maître : « Qu’est-ce qui m’empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d’embarquer Jacques pour les îles ? d’y conduire son maître ?

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La Relation Maître-Valet : Une Inversion des Rôles

Dans ce début du roman, Diderot fait se croiser deux conversations. Le narrateur s’adresse directement au lecteur, et lui rapporte une conversation entre deux personnages, Jacques et son maître. Cette mise en scène de la conversation est un motif célèbre en littérature et en philosophie, il évoque la discussion du disciple avec son maître, les dialogues de Platon (ce philosophe grec écrivait des dialogues, mettant en scène Socrate et ses disciples ou ses contradicteurs). Sauf qu’ici, la relation est inversée : “le maître ne disait rien, Jacques disait” (l.4) celui qui parle, c’est le valet, celui qui écoute, c’est le maître.

Justement, le narrateur agace son lecteur en affirmant son pouvoir : “il ne tiendrait qu’à moi de vous faire attendre” (l.42). En même temps, il met en scène un valet qui fait des leçons de philosophie à son maître : “tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.” (l.5). La réaction du maître : “C’est un grand mot que cela” (l.7) montre qu’il ne faut pas prendre cette affirmation au sérieux.

Le maître a le pouvoir et l’autorité : il peut frapper Jacques pour le punir. En revanche, il parle peu (« Le maître ne disait rien ») et ses répliques sont très courtes. Jacques est celui qui parle et dont nous apprenons l’histoire.

Tableau Récapitulatif des Éléments Perturbateurs de l'Incipit

Élément Description Conséquence
Dialogue avec le lecteur Le narrateur interpelle directement le lecteur. Brisure de l'illusion romanesque.
Absence d'informations Refus de donner des détails sur les personnages et le contexte. Déception des attentes traditionnelles du lecteur.
Fatalisme Présentation de la théorie fataliste de Jacques. Remise en question de la liberté et du déterminisme.
Inversion des rôles Le valet parle et le maître écoute. Subversion des hiérarchies sociales.

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