Le jeune Ze'ev Tavori quitte sa Galilée natale pour s'installer au sud du Mont Carmel. Il y fonde avec quelques connaissances un moshav, une coopérative agricole. Durant des générations, les Tavori ont supporté le joug de cet homme marqué par l'amertume et la colère.
Ce n'est que bien plus tard, lorsque Ruta est à son tour frappée par une tragédie qui risque de détruire sa famille, que Ze'ev révèle un tout autre visage et que Ruta choisit de rompre le silence. Le roman "Un fusil, une vache, un arbre et une femme" est un roman sur les complexités des relations humaines, en particulier celles entre frères, et des questions universelles sur la masculinité, la culpabilité, la rédemption, ainsi que les notions de mémoire, d'identité et de traumatisme.
Est-ce qu'il faut commencer par vous parler de Ruta ? Ca pourrait être un bon début. Ruta Tavori enseigne la Bible dans un des trois villages qu'a fait fonder le baron Rothschild avant la création de l'Etat d'Israël. Varda Canetti, une jeune universitaire qui travaille sur « la théorie du genre dans les villages du baron » va venir l'interviewer afin qu'elle lui raconte, à cette lumière, l'histoire de sa famille. Mais bien entendu, rien ne va se passer exactement comme cela.
« Là, vous allez entendre ce que j'ai envie de vous raconter et plus tard, peut-être, je vous raconterai ce que vous avez envie d'entendre. » Déjà, ce n'est pas par cette scène que commence le roman. Non, nous assistons au début au bref tête à tête d'un amoureux ventripotent avec sa dulcinée avant que son téléphone ne l'exhorte à sortir, nous avec, et à subir un interrogatoire salé d'où il ressort qu'il doit se rendre demain aux aurores dans le wadi, sous le grand caroubier récupérer quelque chose de compromettant. Une histoire louche me direz-vous. A raison.
Ce qui nous vaut au fil des préparatifs, le récit heureux d'autres randonnées qu'elle a entreprises avec Eitan, son premier mari, il y a plus de douze ans. Avant que Neta, leur fils ne meure tragiquement, avant qu'Eitan se mure en cet étranger muet et massif. Cet Eitan qu'elle appelle son deuxième mari, qui ne la touche plus, ne lui parle plus, ne vit que pour expier par l'effort, la peine et le silence une mort impossible.
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Les chapitres se suivent, on ne sait pas toujours qui parle. Parfois, ce sont des brouillons d'histoires que Ruta a écrites pour Neta, son fils, avant ou après sa mort. Parfois, ce sont les échanges entre Varda et elle. Mais ne vous y fiez pas, ils débordent toujours et les méandres des péripéties reviennent nous happer sans qu'on ait même su comment.
Très vite, on comprend qu'à cette strate là de l'histoire, il faut ajouter celle du Grandpa Ze'ev. Il est un des fondateurs du village. C'est pour glaner des anecdotes sur lui que Varda interroge Ruta. Arrivé sans rien, il a vu venir un jour son frère sur une calèche qui contenait un fusil, une vache, un arbre et une femme, dans cet ordre-là. Il y tient. Soit tout ce dont on peut avoir besoin pour fonder un foyer.
La vache pas trop, quoi que, en tout cas par directement, mais le fusil, l'arbre (un murier) et la femme (Ruth) auront chacun une part importante dans cette histoire. Celle que je vous raconte, qui s'emmêle, concerne la mort du petit Neta, à six ans. Celle de Ruth, l'épouse de Grandpa Ze'ev, des années après qu'elle aura été la risée de tous à chercher obstinément dans le sillage de la herse, dans les cavités exhumées par n'importe qui on ne sait exactement quoi avec un air tragique et perdu.
Ruth, c'est donc la femme de la calèche, de l'arbre et du fusil, la femme de Grandpa Ze'ev. Tout le village sait ce qui s'est passé avec le voisin aux jolies bottes. Mais personne n'a rien dit. Grandpa Ez'ev a perdu un oeil. Ruth sans doute la raison. Ils ont eu deux fils ensuite, qui se sont tirés dès que possible très très loin. Grandpa Ze'ev est un monstre, une ordure sans pitié, un homme de revanche et de fureur. Il y a des précédents sur cette terre biblique.
Voilà, vous savez tout. Grandpa Ze'ev, Ruth, Ruta et Eitan, leur fils Neta. Quelques autres aussi dont les truands du début parce qu'il en faut. Tout s'enroule autour de cela. Dès le premières pages, on a tous les éléments dans un concentré stupéfiant qui nous saute à la figure. Et puis, au fil des chapitres, à condition de renoncer à mettre les choses dans un ordre logique (à quoi bon ?), on aura l'explication de chacun des mystères qui auront été déposés sous nos yeux. Mais ce n'est pas tant pour avoir le fin mot de l'histoire que j'ai continué à tourner avidement les pages.
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Sous prétexte de répondre aux questions de Varda, venue faire une enquête sociologique sur le monde du moshav israélien, Ruth Tavori, dite Ruta, déballe tous les secrets de sa famille. Des histoires qui ont commencé avec l'installation de Zeev, son redoutable grand père, dans un village agricole de Galilée. Le récit de Ruta mêle continuellement le passé et le présent pour dire l'amour, la trahison, la vengeance, la violence et le meurtre. Ses histoires dignes des tragédies grecques, Ruta, en bonne conteuse, sait les enchanter par l'évocation de la nature qui tient une place importante dans le roman : le désert, lieu d'épreuves mais aussi de grâce; la végétation et en particulier les arbres aimés de Zeev comme le caroubier et l'acacia participant aux événements, ou encore les fleurs sauvages dont grand-père récolte les graines.
Entre scènes de sauvagerie, jolies métaphores botaniques, petits contes, symboles bibliques et suspens, la voix de Ruta entraine le lecteur dans un univers riche de mélancolie, de douleur, de tendresse, d'ironie et de colère.
Le roman excelle à décrire les choses de l'amour et de la vie conjugale, comme il explore aussi les champs de la trahison. Cruel et d'une violence ancestral, ce roman évoque également la place des femmes dans les sociétés traditionnelles. Enfin, le meurtre, l'expiation qui s'ensuit et se poursuit sur quatre générations finissent de refermer le récit sur des temps immémoriaux.
Comme pour contrebalancer les noirceurs de l'humain, on rencontre aussi l'amour sincère de Ruta pour Eitan, des petits enfants pour leur grand père, personnage an apparence brutal et cruel qui cache une sensibilité insoupçonnable. L'humour de la narratrice nous fait pourtant traverser ces drames, ces deuils, avec une certaine légèreté.
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