À l’occasion des commémorations des 80 ans de la Libération, les Archives de Montpellier proposent une évocation des événements qui ont marqué l’été 1944, depuis les bombardements qui ont rudement frappé le sud de la ville le 5 juillet jusqu’au défilé de l’armée française de libération commandée par le général de Lattre de Tassigny dans les rues de Montpellier le 2 septembre.
Après quatre années de guerre, le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie marque un tournant. L’occupant allemand est débordé au nord, et bientôt au sud par le débarquement en Provence le 15 août, tandis qu’il est harcelé de l’intérieur par la Résistance qui intensifie ses actions, soutenue par la pression des bombardements anglo-américains. Pour la première fois, la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie semble inéluctable.
En cet été 1944, Montpellier suffoque, non pas tant à cause de la chaleur que des trop longues restrictions alimentaires qui accablent la population. L’insuffisance de diversification des cultures dans la plaine viticole affecte durement l’approvisionnement de la ville, malgré les tentatives de création de coopérative de cultures vivrières à Lattes et à Gignac. Montpellier manque de lait, de viande, de matières grasses, d’œufs et de pain, sans compter les pénuries d’essence, de pneus, de vêtements ou de chaussures. Les queues s’allongent devant les magasins ; au Pavillon Populaire, les Services municipaux du ravitaillement distribuent les titres d’alimentation.
Ces difficultés sont accentuées par la surpopulation en ville. On estime que Montpellier passe de 90 000 à 104 000 habitants au début de la guerre. Au flot des réfugiés de 1940 venus du Nord de la France, d’Alsace-Lorraine, de Belgique et du Luxembourg, s’ajoute entre l’automne 1942 et l’hiver 1943 le poids de la présence allemande. Cette occupation militaire implique en premier lieu la réquisition de nombreux logements (hôtels, clinique mutualiste Beau Soleil de la route de Lodève nouvellement bâtie, villas) pour héberger officiers, soldats ainsi que les bureaux de la Kommandantur (à l’hôtel de Guidais) ou de la Gestapo (à la tristement célèbre villa des Rosiers).
Face à cette situation ingérable, les autorités municipales n’ont qu’une faible marge de manœuvre. Elles s’attellent surtout à protéger la population en cas de bombardements en organisant les services de « défense passive », structurés sous la houlette de Jean Guizonnier, directeur urbain, et de Marcel Bernard, chef des services travaux et abris. Elles font aménager les caves afin de constituer des refuges, nettoyer les puits et creuser des tranchées couvertes sur les terrains de sport. On désigne des « chefs d’îlot » pour constituer des équipes responsables de la sécurité au niveau de chaque secteur de la ville, notamment pour faire respecter le couvre-feu et le camouflage des lumières. Les départs vers les campagnes environnantes sont fortement encouragés. On voit régulièrement des familles quitter Montpellier chargées de matelas, de couvertures et de grandes valises.
Lire aussi: Stands de Tir : Guide Complet
En effet, depuis l’été 1943, les alertes sont de plus en plus fréquentes dans le département de l’Hérault jusqu’à devenir quotidiennes au printemps 1944. Les premiers bombardements alliés en 1944 visent l’aéroport de Fréjorgues, mais touchent le territoire montpelliérain. Le bombardement du 27 janvier 1944 fait trois victimes civiles, tandis que celui du 27 mai 1944 entraine une dizaine de morts et une trentaine de blessés au sud-est de la commune. Mais c’est le bombardement de Sète, Frontignan et Balaruc le 25 juin 1944 qui fait véritablement prendre conscience du danger à la population.
À l’été 1944, Charly Samson a 16 ans. Il réside avec sa famille boulevard Pasteur, près du collège Legouvé (actuel collège Clémence-Royer). Il vient d’obtenir son brevet. Il est engagé en juin à la Chambre de commerce au sein du service de la caisse de compensation en qualité de mécanographe et traverse la ville tous les jours pour rejoindre son travail dans la Grand-rue. Il vit dans une certaine forme d’insouciance, écrit des chansons pour le bal musette et des poèmes, se produit sur scène et tient un petit carnet dans lequel il consigne les événements importants dont il est le témoin.
Au jour le jour, parfois heure par heure, Charly Samson note avec un sens de l’observation minutieux tout ce qu’il voit ou entend lors des journées de la libération de Montpellier. Son carnet de l’année 1944 est aujourd’hui une source essentielle pour ressentir la « vie mouvementée » des Montpelliérains. Les différentes séquences de l’exposition seront ponctuées d’extraits de ce document exceptionnel :
Avec l’été, le mois de juin a ravivé la guerre sur le sol de France. Tout le monde a hâte que tout soit terminé. La vie devient de plus en plus pénible, autant moralement que physiquement. A Montpellier, les alertes se font de plus en plus fréquentes. Cependant, depuis les bombardements de Sète et de Frontignan, les gens sont beaucoup plus prudents.
Le 5 juillet 1944, l’armée de l’air américaine (Fifteenth US Air Force) décide de détruire 5 ponts ferroviaires et 5 gares de triage entre la frontière espagnole et Montpellier, afin de stopper le mouvement de deux divisions de l’armée allemande sur le point d’être transférées sur le front de l’ouest (bataille de Normandie). L’offensive aérienne vise Montpellier, Béziers, Narbonne, Rivesaltes, Carcassonne, ainsi que le port de Toulon. A Montpellier, l’objectif est de bombarder la gare d’Arènes au sud de la ville, où se trouvent stationnés sur les voies deux trains militaires allemands transportant soldats, munitions et essence.
Lire aussi: Saveuse : Un lieu de mémoire
La gare de triage d’Arènes a été aménagée et agrandie dans les années 1920 sur les terres du domaine des Prés d’Arènes, au point de convergence de trois voies ferrées : la ligne Sète-Tarascon (ancien réseau de la Compagnie du PLM), la ligne Montpellier-Bédarieux (ancien réseau de la Compagnie du Midi) et le raccordement vers la ligne Montpellier-Palavas (ancien réseau de la Compagnie de l’Hérault). Elle possède un dépôt de locomotives construit en demi-rotonde. Elle sert surtout de gare de marchandises, pour délester la gare du centre du trafic de fret.
L’alerte est donnée à 12h40. On signale des appareils volant en direction de Montpellier.
A 13h08, un avion largue des papiers argentés, afin de brouiller les radars, puis marque l’objectif par un cercle de fumée.
A 13h40, les premières bombes sont lancées sur la gare d’Arènes. L’attaque a lieu en trois vagues d’avions mobilisant une soixantaine d’appareils venant du sud-ouest. La première vague cadre bien l’objectif, mais le cercle de fumée se déplace, poussé par un petit vent. Cela trompe les deux autres vagues dont les bombes tombent plus au nord, Cité Mion, jusqu’au boulevard Rabelais et l’avenue de Palavas. Le manque de précision est imputable également au vol en haute altitude des avions américains.
Vers 14h00, l’attaque est terminée.
Lire aussi: Tout savoir sur le Tir à la Carabine
A 14h15, l’alerte-menace est levée.
Le bombardement laisse un paysage lunaire. 975 bombes ont été larguées dont 230 sont tombées sur la gare d’Arènes. L’objectif est atteint. Les lignes de chemin de fer sont coupées, les voies de triage sont détruites. L’explosion d’un train de munitions à proximité d’un train de soldats allemands provoque la mort de plus d’une centaine d’entre eux. C’est un carnage. Au dépôt des locomotives de la gare d’Arènes, une bombe est tombée sur la rotonde : elle s’est écroulée en partie, endommageant trois ou quatre locomotives.
Mais plus encore, c’est le bilan des victimes civiles qui est dramatique, malgré la faible densité de population. Les habitants de ce quartier périurbain s’étaient réfugiés dans les abris, principalement des tranchées creusées par les services de la Ville. Certains furent ensevelis sous des monticules de terre, d’autres sous les décombres des immeubles effondrés.
On relève 53 morts dont 29 femmes et 5 enfants (au total 57 victimes si on ajoute les personnes décédées des suites du bombardement) et 87 blessés parmi les civils.
Les dégâts matériels sont importants : 64 immeubles détruits, 35 immeubles partiellement détruits, 338 immeubles endommagés.
Les rues les plus touchées sont le boulevard Berthelot, le chemin de Maurin, le chemin de l’Herbette (7 morts dans la tranchée du restaurant Parisien tenu par la famille Bancarel), le chemin de la Perruque (2 morts), le boulevard Rabelais (3 morts). Les Ateliers méridionaux sont détruits, ainsi que l’entrepôt des tabacs (4 morts). En revanche, la cave coopérative de Montpellier, située derrière le dépôt de locomotives, est toujours debout.
Les inscriptions "signé De Gaulle" à la croix de Lorraine visibles sur certains clichés accusent le chef du Gouvernement provisoire de la République française d'être responsable du bombardement. Elles ne sont nullement le fait de la Résistance.
Le 5 juillet 1944, Charly Samson écrit dans son journal :
L’alerte sonne à 12h45 comme je finis de diner. Nous descendons vite vers les abris. Les avions apparaissent bientôt, très haut et brillant dans le ciel. Ils sont chassés par la D.C.A. qui n’a pas l’air de les gêner. On entend un bombardement dans le lointain, puis tout s’apaise. Soudain des avions apparaissent beaucoup moins haut que les précédents et j’entends tout aussitôt de violentes détonations. Tout le monde se précipite dans l’abri et durant un long moment je n’entends que le bruit des explosions. Le sol tremble, des gens pleurent, d’autres essaient de leur donner du courage. Bientôt de la fumée obscurcit le ciel entièrement. Tout à l’heure, il n’y avait pas un seul nuage, et maintenant on ne voit plus le soleil. Une personne sort de l’abri et tend instinctivement la main pour voir s’il ne pleut pas. De fines cendres tombent comme une poussière impalpable. Anxiété. La ville a été bombardée, mais où ? Petit à petit le ciel s’éclaircit et enfin le soleil réapparait. On entend toujours des explosions : bombes à retardement ? De nombreux bruits circulent quant aux quartiers atteints. D’après le bruit, il nous a semblé que c’était tout à côté de nous ; on dit : la gare, la citadelle, la poste.
L’alerte finit à 14h10. Dans la rue, une agitation fébrile : ambulances, cycliste[s], équipes de la défense passive. J’enfourche mon vélo et je me rends immédiatement aux équipes nationales au Peyrou. J’entends toujours des explosions. J’apprends que c’est la cité Mion, la gare d’Arènes et les quartiers voisins qui ont été bombardés. Je suis affecté agent de liaison avec 4 camarades qui ont un vélo comme moi, et nous partons sur les lieux sinistrés. Attente au Boulevard Rabelais, danger des bombes à retardement. On avance : maisons éventrées, entonnoirs [c.a.d. cratères] pleins d’eau sale, immeuble coupé en deux, roulotte en miette. Dans une maison à demi éboulée, un piano au 2e étage. Le pavé est recouvert de terre et de débris divers : fils, branches, feuilles etc. Le service d’ordre qui arrête la circulation nous laisse passer. Du pont, une locomotive recouverte de terre fume encore ; de tous côtés des entonnoirs et au loin, un train de munitions qui explose continuellement. Nous arrivons à l’ambulance (?) réservée à la Croix-Rouge, j’apprends qu’il y a de nombreuses victimes. Je fais plusieurs liaisons en ville. J’apprends que l’accès au Boulevard où je suis passé tout à l’heure est maintenant interdit car on a décelé la présence de bombes à retardement. On me renvoie à 6 heures.
C’était le 1er bombardement auquel j’assistais ; et surtout, c’était la première fois que je voyais ce triste spectacle de maisons détruites, de malheureux tout à l’heure dans l’aisance et maintenant dépourvus de tout, même de l’indispensable.
Alors que le bombardement est toujours en cours, les équipes de la Défense passive se rendent sur les lieux du drame : ambulances de la Croix Rouge pour porter les premiers secours aux sinistrés, camions des sapeurs-pompiers pour déblayer les décombres et éteindre les incendies. Parfois dans des conditions extrêmement périlleuses, au milieu des explosions, elles interviennent pour dégager les blessés et les morts. Le service sanitaire émanant de la Faculté de Médecine s’illustre particulièrement en envoyant des équipes d’urgence constituées de médecins et d’étudiants au plus près du danger. Les blessés français et allemands sont brancardés et dirigés vers les hôpitaux.
Sitôt l’alerte levée, les Montpelliérains se mobilisent à leur tour spontanément pour prêter main forte aux secours. Beaucoup de jeunes gens enrôlés au sein des « équipes nationales », comme Charly Samson et ses amis ou les groupes de scouts, doivent intervenir au milieu des cadavres, entre les cratères et les décombres. Vers 17h, toutes les victimes ont pu être secourues. Ce jour-là, les Montpelliérains ont fait preuve d’un courage, d’une solidarité et d’un dévouement exceptionnels. Les autorités saluent l’attitude exemplaire de la population et expriment publiquement leur reconnaissance.
Avec le débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944, les forces de la Résistance s’activent pour affaiblir l’occupant allemand. Les sabotages, les coups de main et les pillages redoublent. Cependant, elle doit faire face à une violente répression de la Gestapo (police politique secrète d’Etat des Nazis) et de la Milice (organisation politique et paramilitaire française au service de l’Etat français).
Catégorie | Nombre |
---|---|
Morts | 53 (57 en incluant les décès ultérieurs) |
Femmes décédées | 29 |
Enfants décédés | 5 |
Blessés | 87 |
Immeubles détruits | 64 |
Immeubles partiellement détruits | 35 |
Immeubles endommagés | 338 |
tags: #stand #de #tir #montmaur #histoire