Envie de participer ?
Bandeau

Les fêtes médiévales se sont développées dans toute la France. Dans les Hauts-de-France, une cinquantaine de manifestations mettent le Moyen Âge à l’honneur chaque année (une soixantaine en 2016 et 2018, une quarantaine en 2017). Le clou du spectacle est généralement la reconstitution de combats où s’affrontent deux armées rivales, composées de soldats piétons, d’archers et d’artilleurs.

Les fêtes les plus spectaculaires requièrent la participation de nombreuses troupes de reconstituteurs : celle de Folleville attire chaque année une vingtaine de troupes de combattants venues du sud de la France mais aussi de Belgique et de Grande-Bretagne, soit un rassemblement de plus de cent soldats.

Pour cette enquête menée dans le cadre d’une thèse, je me suis rendue dans une trentaine de fêtes dans les Hauts-de-France mais également en Normandie et en Bretagne, entre 2015 et 2019. Certaines ont été observées plusieurs fois, ce qui a permis d’établir des comparaisons d’un même événement à travers le temps. De plus, j’ai pu suivre les associations médiévales dans différentes fêtes auxquelles elles participent, qu’elles soient plutôt axées sur les activités militaires ou artisanales. Ce travail a également été mené par immersion au sein d’une troupe médiévale que j’ai rejointe dans la perspective de cette recherche à partir de 2017 et avec laquelle j’ai participé à six fêtes. Outre les données recueillies par observation, une quinzaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés, ainsi que des entretiens informels (non enregistrés). La constitution et l’analyse d’un fonds photographique personnel viennent compléter les sources utilisées pour cette étude.

La mixité dans les troupes médiévales

Les troupes médiévales, comme les membres de ces associations les désignent, sont constituées soit d’amis unis par une même passion, soit de membres d’une même famille, réunissant parfois plusieurs générations. La mixité est donc bien effective sur le terrain. Néanmoins, les femmes sont toujours moins nombreuses que les hommes dans la pratique. De plus, la composition de ces troupes varie selon le type d’activité qui y est privilégiée, à savoir, militaire ou artisanale ; les femmes sont plus présentes dans les secondes que dans les premières.

Dans la scène décrite en ouverture, deux hommes préparent le repas. Mais dans la troupe que j’ai intégrée, composée de quatre femmes et de deux hommes, c’est Adèle, la cinquantaine, qui assume cette tâche. Cela fait partie de « son animation » ; toute sa journée est vouée à l’activité de cuisinière depuis l’allumage et l’alimentation du feu, l’épluchage des légumes, la cuisson, le dressage de la table et la vaisselle. Les autres membres de la troupe présentent des métiers artisanaux : tailleur de costume, forgeron, archer, marchand d’épices… Lors d’une fête en 2017, dans un village de Normandie, le repas est préparé comme à l’habitude par Adèle tandis que dans les deux autres troupes participantes, ce sont des hommes qui cuisinent. Le sexe ratio n’y est pas tout à fait le même que dans ma troupe : celle de Rémy compte cinq hommes, une femme et deux fillettes et celle de Francis, deux hommes, une femme et trois adolescents. Qu’un homme ou une femme occupe le poste de cuisinier ne semble surprendre personne ni du côté des reconstituteurs, ni de celui du public.

Lire aussi: Stands de Tir : Guide Complet

Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine où les rôles ne sont pas sexués sur les campements médiévaux. Des artisans présentent des savoir-faire où la minutie, capacité souvent associée au féminin, est requise et des femmes font des démonstrations de métier où la force est nécessaire comme la tailleuse de pierre vue à Crisolles (2016) qui débite des pavés dans un bloc de calcaire. Les rôles semblent interchangeables. Ainsi, si des femmes présentent l’art de la calligraphie dans les fêtes de Ham (2017) et Compiègne (2017, 2018), à Coucy (2017), c’est un homme qui s’en charge. Les observations menées sur une trentaine de fêtes ont montré que les métiers de cirier, vannier, épicier, frappeur de monnaie, tailleur de pierre, ceux du livre (calligraphe, relieur) et de l’art du verre ou encore la pratique de combat font partie des activités mixtes, pour ne citer que ceux-ci.

La place des femmes dans le secteur militaire

Si les activités de commerce sont exercées aussi bien par des hommes ou par des femmes, le public pourrait être tenté de penser qu’il n’en est peut-être pas de même dans le secteur militaire. S’il a fallu attendre 1998 pour que les femmes aient accès à tous les corps de métiers de l’armée française sans restriction de quotas, leur présence était a fortiori inimaginable au xve siècle. Comment les reconstituteurs tiennent-ils compte de ce fait dans leurs mises en scène ? Tous disent que le combat est ouvert aux femmes et de fait, Julie et Adèle revendiquent d’être combattantes.

Il est difficile de recenser tous les membres des associations présents dans une fête et les observations ont montré que c’est encore plus difficile de distinguer les femmes au milieu des combattants. Afin de pouvoir quantifier leur nombre, je décide en 2018 à Folleville, de procéder à un comptage, en me positionnant aux abords du terrain de la bataille et en photographiant systématiquement chaque participant. Pour l’avoir précédemment observé, je sais que l’accès est soumis à un contrôle visuel, effectué par deux soldats : ils vérifient tout d’abord la validité des armes et autorisent ceux qui ont un rôle dans la bataille à entrer dans la zone du combat. Ainsi, chaque reconstituteur marque une pause, à visage découvert, avant de rentrer sur le champ. Ce comptage a permis de repérer que quatre-vingt-dix hommes (nombre auquel il faut ajouter la trentaine d’individus déjà positionnés sur le terrain) et vingt-cinq femmes sont passés par le point de contrôle. Pour les hommes, peu de rôles différents ; en armure, ils sont soldats. Seuls quatre n’en portent pas : ils sont photographe pour l’un et archers pour les trois autres. Pour ce qui est des femmes, les rôles sont plus diversifiés comme nous le verrons plus loin. Quatre d’entre elles portent l’équipement du soldat et une épée.

Les femmes sont donc au nombre des combattants dans la reconstitution médiévale comme en attestent des observations de diverses manifestations (Crisolles, 2017-2018 ; Berzy, 2017 ; Guise, 2019 ; Clères, 2019). Pour le constater, il faut arpenter le campement juste avant le combat quand les femmes en armure, tête découverte, avancent sur le champ de bataille. Car dès lors qu’elles entrent sur le terrain, il est bien difficile de les distinguer au milieu des hommes : elles portent l’équipement militaire (gambison et armure) et leur visage disparaît sous le casque médiéval. D’ailleurs, dans les rangs mêmes des combattants, l’ambiguïté règne quant au nombre de femmes engagées dans la bataille. Un combattant à qui je pose la question a posteriori évalue à tort leur nombre à trois. Il faut préciser que pour les combats, il arrive que les troupes recrutent à l’extérieur des membres d’associations non invitées officiellement, pour gonfler le nombre de soldats sur la scène. Plus il y a de participants, plus la recomposition est spectaculaire. On peut supposer qu’une femme qui veut combattre contribue dès lors à grossir l’effectif. Sur le champ de bataille, elle disparaît sous l’équipement de protection et d’apparat et rien ne permet au néophyte de la repérer.

Devant le petit nombre des prétendantes au jeu, je pose la question de la participation des femmes au combat à Yvon, jeune reconstituteur d’une vingtaine d’années, membre d’une troupe de soldats du xve siècle. « Oui, la femme peut participer à des combats médiévaux. Il lui faut combattre en costume d’homme. Surtout, elle doit ressembler à un homme de loin, dans un souci d’authenticité. »

Lire aussi: Saveuse : Un lieu de mémoire

Ce serait donc en adoptant l’apparence d’un homme qu’elle serait admise au jeu du combat. Quand je lui demande pourquoi il est si important qu’elle masque ses traits féminins, il répond comme une évidence : « Pour ne pas être confondue avec Jeanne d’Arc. » Si le souci de fidélité au passé est invoqué pour justifier le travestissement nécessaire pour participer à une recomposition de combat durant la guerre de Cent Ans, il n’en reste pas moins que c’est en effaçant sa féminité que la femme peut y accéder. En s’engageant dans la bataille, le rôle prime et rend invisible les caractéristiques généralement dévolues au féminin. Il n’y aurait donc qu’une seule catégorie d’individus visibles sur le terrain : le soldat masculin. C’est le port de l’armure, masquant ses traits, qui offre la possibilité à la femme française du xxie siècle, reconstitutrice, de représenter un soldat masculin du xve siècle.

À Hénin-Beaumont, en 2018, deux jeunes filles font cuire des galettes sur un feu de camp, tandis que deux hommes de la même troupe font, un peu plus loin, des démonstrations de forge. Alors que je les interroge sur la répartition des tâches au sein de leur association, l’une d’elles me répond : « Parfois, c’est un homme qui fait la cuisine. » Elle apporte un autre exemple pour prouver que le partage des tâches entre homme et femme est équitable dans sa troupe : « Avant, je combattais. Mais ça ne me plaisait pas », laissant supposer que sa décision d’abandonner était personnelle. Après un court silence, elle ajoute : « Ils disaient que je ne frappais pas assez fort ! » Dans cette hésitation entre la liberté supposée et la contrainte à quitter le combat, on comprend qu’elle a été jugée inapte à combattre par les hommes. La femme devrait montrer des capacités physiques à l’égal de l’homme, et même être plus forte. Il faut faire ses preuves pour rester sur le champ de bataille, car c’est un espace où la violence est autorisée et même valorisée. Il s’agit de mesurer sa force, sa capacité physique à frapper fort, à prouver sa virilité et son endurance dans la lutte ; la compétition ne fait aucun doute dans cet exercice, même si cela reste ludique.

L’enquête a montré que la volonté de s’adonner à l’activité de combat chez les femmes n’est pas exceptionnelle. Les femmes sont plus nombreuses à franchir le pas dans les rangs de la reconstitution de la période viking. Julie, membre de deux associations, une du xve siècle et l’autre viking, explique qu’elle participe au combat dans la seconde troupe où il est admis de se battre en robe et à visage découvert. Et surtout, elle y trouve son compte : « Moi, mon but c’était pas de me faire mal, c’était plus de m’amuser. »

On comprend qu’elle privilégie la fonction ludique à la démonstration de force. C’est un amusement, un combat « pour de faux » où il s’agit de taper, certes, mais sans se faire mal. Julie admet d’ailleurs que ses combats n’en sont pas réellement, du moins tels que l’entendrait un homme : « On faisait plus des chorégraphies de combat. » Enfin, elle estime que la violence des hommes y est tout aussi présente mais la jeune reconstitutrice dit pouvoir poser ses règles comme celle du choix de ses adversaires : « Après, je choisissais avec qui combattre car je savais que certains ne faisaient pas gaffe et tapaient comme des bourrins. »

Répartition des rôles et activités mixtes

Les mises en scène du xive siècle présentent une société où hommes et femmes partagent les activités dans une division du travail marquée par la parité. Ces représentations sont, il est vrai, confortées par certains travaux récents, tels ceux de Julie Pilorget, pour qui la femme du xve siècle semble avoir eu un rôle sur la scène économique au même titre que les hommes, du moins dans le commerce ou les activités ouvrières.

Lire aussi: Tout savoir sur le Tir à la Carabine

« Par ailleurs, on notera l’usage constant tout au long du xve siècle du modèle dyadique dans les ordonnances pour désigner les métiers exercés par les hommes et les femmes. Sur 53 corps de métiers, 17 féminisent le nom de leur métier, attestant ainsi d’une participation réelle et continue des femmes à la corporation » (Pilorget, 2016).

Répartition des participants au combat de Folleville (2018)
Catégorie Nombre Rôles
Hommes 90 + 30 (déjà sur le terrain) Soldats (en armure), photographe, archers
Femmes 25 Diversifiés, dont 4 soldats avec épée

tags: #stand #de #tir #crisolles #histoire

Post popolari: