Entre les montagnes de munitions, les fusils soigneusement alignés et les gilets pare-balles, l'effervescence règne à la foire aux armes à feu d'Ontario, en Californie. Des milliers de personnes ont défilé samedi dans le centre culturel de cette ville située en grande banlieue de Los Angeles, où l'entrée était gratuite pour les moins de 12 ans. Parmi les dizaines de stands installés pour le week-end, des mères de famille avec poussette lorgnent des mini-pistolets, pendant que de solides gaillards reluquent des fusils semi-automatiques capables d'accueillir différents calibres.
Malgré les lunettes de précision en vente, bien peu souhaitent s'attaquer à l'éléphant dans la pièce. Dans une Californie en plein deuil, la plupart des visiteurs refusent d'évoquer les récentes tueries de Monterey Park, banlieue frappée lors du Nouvel an lunaire et située à 30 minutes de voiture à peine, et de Half Moon Bay près de San Francisco, qui ont fait 18 morts la semaine passée.
"Personne ne parle des incidents, mais il y a une augmentation des achats cette semaine", confie à l'AFP l'une des vendeuses, Crystal Markanson. "A chaque fois que les médias parlent d'une tuerie de masse, les gens achètent des armes parce qu'ils ont peur qu'elles soient interdites".
Les deux massacres survenus en Californie ont ravivé l'éternel débat autour des armes à feu aux Etats-Unis. Le président Joe Biden a remis sur la table un projet d'interdiction fédérale des fusils d'assaut, qui n'a aucune chance d'être voté à Washington. "Cibler certains types d'armes n'est pas la bonne solution", s'indigne Brett Reeves, sous son chapeau de cowboy.
En Californie, où la législation est l'une des plus restrictives du pays, les fusils d'assaut sont déjà interdits depuis plus de 30 ans, observe-t-il. "Et pourtant, nous avons toujours des tueries de masses". Carabines, fusils à pompe, pistolets... Sur la dizaine d'armes que ce libertarien possède, aucune n'est officiellement enregistrée: il les a montées lui-même, en combinant différentes pièces achetées séparément dans des foires comme celle d'Ontario.
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Fort de son expérience, le trentenaire n'a pas été surpris lorsqu'il a appris que l'arme utilisée par le tueur de Monterey Park était illégale. "Les restrictions incitent les gens à passer sous les radars", juge ce vendeur de climatisations, partisan de l'auto-défense. "Les psychopathes vont continuer à s'en prendre à des gens innocents", soupire-t-il. Alors pour lui, "le Texas est bien plus sûr (que la Californie), parce que vous pouvez facilement porter une arme là-bas. (...) On doit pouvoir se protéger nous-mêmes contre ces dingues".
"Nos lois fonctionnent, les taux de violences par arme à feu en Californie sont bien plus bas que dans le reste du pays", corrige Garen Wintemute, le directeur du centre de recherche sur la prévention de la violence de l'université UC Davis. Mais les Etats-Unis comptent 400 millions d'armes à feu, soit plus que d'habitants, rappelle-t-il, une prolifération inégalée dans le monde.
Contrairement à de nombreux endroits dans le pays, personne ne peut repartir de la foire d'Ontario avec un fusil ou un revolver prêt à l'emploi. "Il y a vraiment un problème culturel, et aussi un problème de santé mentale, auxquels nous devons nous confronter", estime-t-il.
San Diego, San Francisco, Los Angeles... la Californie et ses grandes villes ont déclaré la guerre aux pistolets en kit et autres armes «fantômes» («ghost guns») vendues sur Internet sans aucun contrôle, dont l'utilisation a explosé ces derniers mois. Dernier exemple en date, mardi 14 septembre, la ville de San Diego a adopté une ordonnance visant à interdire la vente ou la possession de pièces détachées de ces armes, qui prendra effet dans un mois.
Début août, la ville du sud de la Californie avait déjà banni la vente et la possession de cadres de pistolets et d'armes à feu dépourvus de numéro de série. Ces armes sont aussi appelées «pistolets 80%» car elles sont vendues déjà montées à hauteur de 80%. Il suffit alors de se procurer les pièces restantes, souvent auprès du même marchand, de percer quelques trous et de les assembler pour avoir une arme totalement fonctionnelle mais dépourvue de numéro de série.
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D'après une étude de l'organisation Everytown for Gun Safety, qui lutte contre les violences par armes à feu, un kit permettant d'assembler un fusil de type AR-15 - l'un des plus populaires aux États-Unis et souvent utilisé lors des fusillades de masse - peut ainsi coûter moins de 400 dollars. L'argumentaire d'un des vendeurs en ligne l'assure: «Le temps de montage n'est pas très long. En une heure ou deux, vous devriez pouvoir l'étrenner au stand de tir».
Pendant longtemps réservées à une poignée de passionnés, ces armes en kit se commandent sur Internet aussi facilement que des meubles Ikea, fustigent leurs détracteurs. Elles se retrouvent désormais souvent entre les mains de délinquants et autres individus qui ne pourraient pas se les procurer dans une armurerie classique, où les vérifications d'identité sont de rigueur dans de nombreux États américains, dont la Californie.
Fin août, le conseil municipal de Los Angeles avait également adopté une mesure visant à interdire la possession ou la vente d'armes à feu en kit sur le territoire de la ville. «Quand nous voyons l'augmentation des homicides ici, et que la police de Los Angeles trouve que 40% des armes à feu liées à des crimes sont des armes fantômes, on sait que nous devons faire face à une situation critique», déclarait peu avant le vote Paul Koretz, élu municipal à l'origine de l'ordonnance contre ces armes, totalement non traçables.
«Les armes fantômes circulent depuis environ neuf ans, mais elles sont devenues un problème majeur en 2020, avec la confiscation de 814 armes fantômes rien qu'à Los Angeles», avait affirmé au conseil municipal le chef adjoint de la police Kris Pitcher.
Ces décisions interviennent dans un contexte d'explosion de la criminalité, qui n'est pas sans rapport avec la crise économique née de l'épidémie de coronavirus. Dans la cité des anges, les homicides sont en augmentation de 30% sur un an et les fusillades en hausse de 43%.
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Dans le nord de la Californie, San Francisco - où le nombre d'armes fantômes saisies a augmenté de 2.600% en cinq ans - vient de son côté d'assigner en justice trois fabricants d'armes fantômes pour tenter d'endiguer leur prolifération. D'après des statistiques de l'ATF, l'agence fédérale qui régule les armes à feu, la Californie représente à elle seule 65% des armes fantômes saisies l'an dernier aux États-Unis.
«La Californie fait figure d'épicentre» de cette épidémie, confirme Adam Skaggs, directeur juridique du Giffords Law Center. L'ONG porte le nom de Gabby Giffords, une ancienne élue grièvement blessée par balle en 2011. «L'une des raisons pour lesquelles les armes à feu sont devenues un si gros problème en Californie, c'est parce qu'elle possède les lois sur les armes les plus strictes du pays».
Donc les pistolets fantômes, «qui exploitent une sorte de faille juridique, y deviennent très attrayants», explique Adam Skaggs à l'AFP. «Qu'il s'agisse de gens qui ont un casier judiciaire, un signalement pour violences conjugales, ou qui sont trop jeunes pour avoir le droit d'acheter une arme... C'est la raison pour laquelle le Giffords Center s'est associé à la procédure engagée par San Francisco contre les trois fabricants qui, selon Adam Skaggs, enfreignent certaines lois fédérales et californiennes, notamment sur la sécurité des consommateurs par exemple.
Aux États-Unis, le port d’arme est réglementé au niveau fédéral, puis par chaque État. La Cour Suprême a décidé qu’« un particulier peut posséder une arme à feu ; mais que ce droit n’est valable que pour se défendre ».
Le Texas est un État « Shall-Issue » ; cela signifie qu’il est possible de porter une arme, mais uniquement avec un permis, délivré dès lors que vous remplissez les conditions d’éligibilité. Le futur propriétaire devra ainsi se soumettre à des tests mesurant son habilité et sa dextérité. Il devra alors tirer sur une cible depuis 2,7m, 6,4m ou 13,7m.
En Floride, montrer son arme en public sans raison légitime équivaut à une agression à main armée, passible d’une peine de 3 ans d’emprisonnement. Ces utilisations « justifiées » d’une arme doivent toutefois être motivées par la crainte d’un danger imminent, d’une violence infligée qui serait susceptible d’entraîner la mort ou de sérieux préjudices corporels.
La Californie, l’État le plus peuplé des États-Unis, est aussi l’un des plus restrictifs sur le port d’armes. Le vendeur et l’acheteur doivent obtenir un permis ; les background checks (contrôle du casier judiciaire du client) sont obligatoires et durent dix jours ; l’acheteur doit passer un test écrit. En outre, les armes et les munitions sont eux-mêmes limités : les "chargeurs" ne peuvent contenir que 10 balles maximum et il est impossible d'acheter plus d'une arme par mois. Quant aux armes d'assaut automatiques, elles sont interdites.
Depuis 2010, le nombre de tués par balles à Los Angeles a été divisé par deux, pour atteindre environ mille victimes par an début 2015. L'une des raisons avancées par le maire démocrate Eric Garcetti est le succès rencontré par le programme de buy back. Deux fois par an, la Ville offre ainsi des cartes-cadeaux à tous ceux qui rapportent leurs armes à la police. Un cadeau de 100 dollars par pistolet rendu, à dépenser dans les supermarchés Ralphs. Et même 200 dollars par fusil automatique. Depuis que cette mesure est passée, près de 15.000 armes ont été restituées aux forces de l'ordre.
État | Type de Réglementation | Principales Caractéristiques |
---|---|---|
Texas | Shall-Issue | Permis requis, délivré si les conditions sont remplies. Tests d'habilité exigés. |
Floride | Permis Requis | Permis délivré par le Florida Department of Agriculture and Consumer Services. Montrer son arme en public sans raison légitime est une agression. |
Californie | Restrictive | Permis requis pour le vendeur et l'acheteur. Background checks obligatoires. Limites sur les chargeurs et l'achat d'armes. Armes d'assaut automatiques interdites. |
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